La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

11/05/2005 | LUXEMBOURG | N°19656a

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 11 mai 2005, 19656a


Tribunal administratif N° 19656a du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 avril 2005 Audience publique du 11 mai 2005 Recours formé par Madame … et Monsieur …, …, contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de rétention administrative

JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 19656 du rôle, déposée le 12 avril 2005 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, de nationalité f

rançaise, demeurant à L-…, et de Monsieur …, de nationalité serbo-

monténégrine, actuell...

Tribunal administratif N° 19656a du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 avril 2005 Audience publique du 11 mai 2005 Recours formé par Madame … et Monsieur …, …, contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de rétention administrative

JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 19656 du rôle, déposée le 12 avril 2005 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, de nationalité française, demeurant à L-…, et de Monsieur …, de nationalité serbo-

monténégrine, actuellement placé au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig, tendant à la réformation d’un arrêté du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 8 avril 2005 prorogeant son placement audit Centre de séjour provisoire une seconde fois pour une nouvelle durée d’un mois à partir de la notification;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 15 avril 2005;

Vu le mémoire en réplique déposé par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH le 18 avril 2005 au greffe du tribunal administratif en nom et pour compte des demandeurs ;

Vu le mémoire en duplique du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 19 avril 2005 ;

Vu le jugement du tribunal administratif du 22 avril 2005, n° 19656 du rôle ;

Vu l’arrêt de la Cour administrative du 3 mai 2005, n° 19741C du rôle ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;

Entendu le juge-rapporteur en son rapport complémentaire, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH en ses plaidoiries complémentaires à l’audience publique du 20 avril 2005, Madame le délégué du Gouvernement Jacqueline JACQUES s’étant rapportée aux écrits de la partie publique.

_______________________________________________________________________

Par arrêté du 12 février 2005, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, ci-après désigné par le « ministre », a ordonné le placement de Monsieur … pour la durée d’un mois au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig en attendant son éloignement du territoire luxembourgeois.

En date du 11 mars 2005, le ministre prit un nouvel arrêté ordonnant la prorogation de la mesure de placement de Monsieur… au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière pour une nouvelle durée d’un mois à partir de la notification dudit arrêté.

En date du 8 avril 2005, le ministre prit un second arrêté prorogeant la mesure de placement de Monsieur… au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière pour une nouvelle durée d’un mois à partir de la notification dudit arrêté aux motifs suivants :

« Vu l’article 15 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant l’entrée et le séjour des étrangers ;

Vu le règlement grand-ducal du 20 septembre 2002 créant un Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière;

Vu mes arrêtés pris en date du 12 février et 11 mars 2005 décidant du placement temporaire de l’intéressé;

Considérant que l’intéressé est démuni de toute pièce d’identité et de voyage valable;

-

qu’il ne dispose pas de moyens d’existence personnels légalement acquis;

-

qu’il se trouve en séjour irrégulier au pays;

Considérant qu’un laissez-passer a été demandé aux autorités bosniaques;

-

qu’en attendant l'émission de ce document, l’éloignement immédiat de l’intéressé n’est pas possible;

Considérant qu’il existe un risque de fuite, alors que l’intéressé est susceptible de se soustraire à la mesure d'éloignement ; (…) ».

Par requête déposée le 13 avril 2005, Madame… et Monsieur… ont introduit le recours qui leur est ouvert par la loi à l’encontre de la décision ministérielle prévisée du 8 avril 2005, et sollicitent à titre principal la réformation de la décision déférée, et partant la mise en liberté de Monsieur…, ainsi qu’à titre subsidiaire l’annulation de la décision déférée pour violation de la loi.

Par jugement du 22 avril 2005, n° 19656 du rôle, le tribunal administratif s’est déclaré compétent pour connaître du recours en réformation, mais a l’a déclaré irrecevable pour absence d’intérêt à agir suffisamment caractérisé.

Par requête déposée au greffe de la Cour administrative le 27 avril 2005, Madame… et Monsieur… ont relevé appel à l’encontre du prédit jugement, appel vidé par arrêt de la Cour du 3 mai 2005, n° 19741 C du rôle, arrêt qui par réformation a « dit le recours introduit devant le tribunal administratif par requête déposée le 13 avril 2005 recevable dans la mesure où, dans le cadre du recours en réformation institué par l’article 15 (9) de la loi du 28 mars 1972, il tend à l’annulation de la décision ministérielle du 8 avril 2005 » et a renvoyé le dossier en prosécution de cause devant le tribunal administratif, de sorte qu’il appartient sur renvoi au tribunal de statuer sur le fond du recours, dans la mesure des moyens de légalité invoqués par les demandeurs.

Quant au fond et à l’appui de leur recours, les demandeurs exposent que depuis le rejet d’une première demande d’asile en 1997, Monsieur… aurait déjà fait l’objet de 11 mesures de placement en 1997, 2001, 2002 et 2004, mais qu’aucune de ces mesures n’aurait pu être suivie d’un rapatriement, étant donné que le consulat de Bosnie-

Herzégovine n’aurait pas donné suite aux demandes en délivrance d’un laissez-passer lui adressées dans le cadre de chacune de ces mesures de rétention.

Les demandeurs reprochent au ministre de ne pas avoir justifié l’existence d’une nécessité absolue pour pouvoir proroger la rétention de Monsieur…, étant donné que la loi ne permettrait pas à l’autorité ministérielle de proroger purement et simplement une première mesure de rétention, mais imposerait à cette fin l’existence d’une nécessité absolue. Ils soutiennent que le ministre ne pourrait dès lors pas motiver la décision de façon identique à la décision initiale de rétention ainsi qu’à la première décision de prorogation sans relever les circonstances témoignant de l’existence d’une nécessité absolue.

Ils affirment qu’eu égard aux tentatives antérieures infructueuses d’obtenir de la part des autorités bosniaques la délivrance d’un laissez-passer, la prorogation litigieuse du placement de Monsieur… ne répondrait pas à l’exigence légale de prendre toutes les démarches requises pour pouvoir exécuter la mesure de refoulement dans les délais les plus brefs, étant donné qu’ « il ne résulte d’aucune pièce du dossier que Monsieur… a fait, antérieurement à la décision entreprise, l’objet d’une mesure d’éloignement qui était sur le point d’être exécutée, ni que celle-ci était impossible à exécuter en raison de circonstances de fait ».

Les demandeurs font encore valoir qu’en considération de leur cohabitation « depuis plusieurs mois » avant la décision initiale du 11 mars 2005, il existerait entre eux une vie familiale effective au sens de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 et que la mesure de placement et sa prorogation constitueraient une ingérence injustifiée dans cette vie familiale au motif que leur exécution entraînerait une rupture difficilement supportable et qu’il existerait des obstacles légitimes dans leur chef pour s’installer dans un autre pays. Ils s’emparent encore de l’article 12 de ladite Convention pour critiquer que la rétention administrative de Monsieur… aurait pour effet d’empêcher la célébration de leur mariage à laquelle il n’existerait aucun autre empêchement légal.

Ils font en dernier lieu valoir que le placement de Monsieur… au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig serait constitutif d’une mesure disproportionnée au regard de la loi modifiée du 28 mars 1972 précitée.

En présence de plusieurs moyens invoqués, le tribunal n'est pas lié par l'ordre dans lequel ils lui ont été soumis et détient la faculté de les toiser suivant une bonne administration de la justice et l'effet utile s'en dégageant (trib. adm. 27 octobre 1999, n° 11231 et 11232 du rôle, confirmé par arrêt du 18 mai 2000, 11707C du rôle, Pas. adm.

2004, V° Procédure contentieuse, n° 376, p. 630).

En ce qui concerne le moyen tiré de l’absence de démarches suffisantes entreprises et par conséquent de l’absence de « nécessité absolue » en résultant, pourtant nécessaire à la prorogation de la décision de placement, il appartient au tribunal d’analyser si le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration a pu se baser sur des circonstances permettant de justifier qu’une nécessité absolue rende la prorogation de la décision de placement inévitable (cf. trib. adm. 20 décembre 2002, n° 15747 du rôle, Pas.

adm. 2004, V° Etrangers, n° 337 et autres références y citées).

En effet, l’article 15, paragraphe 2 de la loi prévisée du 28 mars 1972 dispose que « la décision de placement (…) peut, en cas de nécessité absolue, être reconduite par le ministre (…) à deux reprises, chaque fois pour la durée d’un mois ».

Le tribunal vérifie si l’autorité compétente a veillé à ce que toutes les mesures appropriées soient prises afin d’assurer un éloignement dans les meilleurs délais, en vue d’éviter que la décision de placement ne doive être prorogée, étant donné que la prorogation d’une mesure de placement doit rester exceptionnelle et ne peut être décidée que lorsque des circonstances particulièrement graves ou autrement justifiées la rendent nécessaire (cf. trib. adm. 6 novembre 2002, n° 15509, confirmé par Cour adm. du 21 novembre 2002, n° 15593C, ibidem).

Il convient de préciser d’emblée que si la certitude quant à l’aboutissement effectif de la mesure de refoulement n’est pas une prémisse conditionnant la validité d’une mesure de prorogation d’un placement, la nécessité absolue d’une prorogation ne saurait cependant être retenue en présence d’éléments concordants dont il ressort que les autorités auraient raisonnablement dû anticiper l’impossibilité de l’exécution de la mesure de refoulement.

En l’espèce, en présence des précédentes tentatives de refoulement infructueuses, tentatives ayant entraîné la rétention du demandeur… à 11 reprises, la nécessité de la reconduction de la mesure de placement initiale doit s’apprécier de manière particulièrement sévère, les autorités, instruites par les échecs antérieurs de leurs tentatives de refoulement – échecs non attribuables au demandeur… - ayant d’ailleurs raisonnablement dû prévoir des difficultés dans l’exécution de la mesure de refoulement.

Or force est de constater que la partie publique ne fournit à ce sujet, face à cette obligation aggravée de justifier de l’absolue nécessité de la mesure de reconduction déférée, aucune explication ni justification, mais reste au contraire en défaut de prendre position par rapport au moyen y relatif des demandeurs ainsi que de verser le dossier administratif afférent.

La partie publique restant en défaut de justifier de l’absolue nécessité ayant impérativement dû prévaloir à la décision de seconde reconduction de la mesure de rétention ayant frappé le demandeur…, le tribunal est amené à annuler la décision querellée, sans qu’il y ait lieu d’examiner plus en avant les autres moyens avancés par les demandeurs.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

vidant sur renvoi l’arrêt de la Cour administrative du 3 mai 2005, n° 19741 C du rôle ;

au fond, dit le recours en réformation justifié dans la mesure où, dans le cadre du recours en réformation institué par l’article 15 (9) de la loi du 28 mars 1972, il tend à l’annulation de la décision ministérielle du 8 avril 2005 ;

partant annule la décision ministérielle déférée du 8 avril 2005 ;

condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 11 mai 2005 par :

Mme Lenert, premier juge, Mme Lamesch, juge, M. Sünnen, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

Schmit Lenert 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 19656a
Date de la décision : 11/05/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-05-11;19656a ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award