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11/05/2005 | LUXEMBOURG | N°19045

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 11 mai 2005, 19045


Tribunal administratif N° 19045 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 17 décembre 2004 Audience publique du 11 mai 2005 Recours formé par la société à responsabilité limitée … s.à r.l., Luxembourg contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de permis de travail

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19045 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 17 décembre 2004 par Maître Marc ELVINGER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au no

m de la société à responsabilité limitée … s.à r.l., établie et ayant son siège social à ...

Tribunal administratif N° 19045 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 17 décembre 2004 Audience publique du 11 mai 2005 Recours formé par la société à responsabilité limitée … s.à r.l., Luxembourg contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de permis de travail

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19045 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 17 décembre 2004 par Maître Marc ELVINGER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société à responsabilité limitée … s.à r.l., établie et ayant son siège social à L-…, tendant à l’annulation de la décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 20 septembre 2004 portant refus du permis de travail sollicité pour Madame …, de nationalité roumaine, demeurant à Wincheringen (Allemagne) ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 17 mars 2005 ;

Vu les pièces versées au dossier et notamment la décision ministérielle attaquée ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Marc ELVINGER et Madame le délégué du Gouvernement Jacqueline JACQUES en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 9 mai 2005.

Considérant que par arrêté du 20 septembre 2004, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, sur papier à entête du ministère du Travail et de l’Emploi, ci-après dénommé « le ministre », refusa le permis de travail à Madame … pour un emploi d’opticienne qualifiée auprès de la société à responsabilité limitée … s.à r.l. « pour les raisons inhérentes à la situation et à l’organisation du marché de l’emploi suivantes - des demandeurs d’emploi appropriés sont disponibles sur place : 7 opticiens inscrits comme demandeurs d’emploi aux bureaux de placement de l’Administration de l’Emploi et 2 personnes appropriés ont été assignées à l’employeur, - priorité à l’emploi des ressortissants de l’Espace Economique Européen (E.E.E.) - l’employeur n’avait pas l’intention d’engager un ressortissant communautaire bénéficiant de la priorité à l’embauche » ;

Considérant que par requête déposée en date du 17 décembre 2004, la société … s.à.r.l.

a fait introduire un recours tendant à l’annulation de la décision ministérielle prérelatée du 20 septembre 2004 ;

Considérant que le recours en annulation est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai prévus par la loi ;

Considérant que la demanderesse fait valoir que Madame … est de nationalité roumaine, mariée à un citoyen de l’Union européenne, Monsieur…, de nationalité allemande, les deux habitant à … à proximité de la frontière luxemburgo-allemande, l’épouse disposant d’une autorisation de séjour à durée indéterminée en Allemagne ;

Que pour le surplus, à la date de la prise de la décision déférée, une demande d’acquisition de la nationalité allemande par voie de naturalisation était pendante en Allemagne, Madame … s’étant vu notifier en date du 30 octobre 2004 une « Einbürgerungszusicherung für den Fall … , dass der Verlust der rumänischen Staatsangehörigkeit nachgewiesen wird », et les autorités roumaines tardant à suivre la demande de l’intéressée ;

Qu’en un deuxième temps la demanderesse de contester que des demandeurs d’emploi appropriés seraient disponibles sur place, tel que l’indique la décision déférée, les motifs y invoqués étant contraires aux éléments de fait établis en cause ;

Qu’ainsi, indépendamment même de la question de savoir si des demandeurs d’emploi appropriés étaient disponibles sur place, il y aurait application disproportionnée, par conséquent illégale, de la règle de la priorité accordée aux demandeurs d’emploi originaires de l’Espace Economique Européen, invoquée en l’occurrence à l’encontre d’une « presque » citoyenne européenne ;

Que de son côté, le délégué du Gouvernement de conclure au caractère non fondé du recours en ce que tout d’abord Madame … n’aurait pas pu bénéficier à la date de la prise de la décision déférée du droit dérivé dont bénéficie le conjoint d’un travailleur communautaire migrant, son époux n’étant pas résident luxembourgeois, ni n’exerçant une activité salariée indépendante au Grand-Duché ;

Que le représentant étatique d’invoquer encore le fait que l’administration de l’Emploi aurait eu, à la date de la déclaration de vacance de poste, soit au 1er décembre 2003, trois personnes inscrites aux bureaux de placement et correspondant au profil recherché par l’employeur … s.à r.l. ;

Que deux de ces personnes avaient reçu leur carte d’assignation encore le même 1er décembre 2003, mais ne se seraient pas présentées, alors qu’entre-temps elles avaient trouvé un emploi ;

Que le troisième candidat potentiel, Monsieur… , assigné en date du 18 décembre 2003, aurait parallèlement répondu à une offre d’emploi effectuée par l’employeur dans la presse écrite, mais que l’employeur aurait catégoriquement refusé de lui parler au téléphone au motif qu’il n’était pas intéressé par sa candidature ;

Que l’administration de l’Emploi n’aurait été informée par l’employeur du résultat des assignations qu’au début du mois de septembre 2004, d’où il résulterait que ce dernier n’avait nullement l’intention d’engager un demandeur disponible sur le marché de l’emploi, mais qu’au contraire il avait réservé la place vacante dans l’espoir de l’octroi du permis de travail à Madame … ;

Que de la manière, il n’aurait pas respecté la priorité à l’emploi dont bénéficient les ressortissants de l’Espace Economique Européen domiciliés au Grand-Duché de Luxembourg, disponibles pour le marché de l’emploi, condition non vérifiée par Madame … ;

Considérant qu’il est constant en cause qu’à la date de la prise de la décision déférée, 20 septembre 2004, Madame … n’a pas revêtu la nationalité allemande, mais toujours la nationalité roumaine, son « Einbürgerungszusicherung » ne datant pour le surplus que du 30 octobre 2004 ;

Considérant qu’aux termes de l’article 11 du règlement CEE 1612/68 du Conseil précité « le conjoint et les enfants de moins de 21 ans ou à charge d’un ressortissant d’un Etat membre exerçant sur le territoire d’un Etat membre une activité salariée ou non salariée, ont le droit d’accéder à toute activité salariée sur l’ensemble du territoire de ce même Etat, même s’ils n’ont pas la nationalité d’un Etat membre » ;

Considérant que les droits que confèrent les articles 10 et 11 dudit règlement CEE 1612/68 au conjoint du travailleur migrant sont liés à ceux que détient ce travailleur en vertu de l’article 39 (ex 48) du Traité et des articles 1er et suivants du règlement ;

Que dans la mesure où le conjoint peut invoquer ces droits dérivés et où ces droits impliquent l’accès à des activités salariées conformément à l’article 11, ces activités doivent pouvoir être exercées dans les mêmes conditions que le travailleur, titulaire du droit à la libre circulation, exerce les siennes ;

Que l’article 3, paragraphe 1, du règlement impose pour autant aux autorités de l’Etat membre d’accueil d’appliquer un traitement non discriminatoire à ce conjoint, le « traitement national » dont bénéficient à cet égard les travailleurs des Etats membres étant ainsi étendu à leurs conjoints (cf. CJCE, arrêt 131/85 du 7 mai 1986, n° 20) ;

Considérant que ledit article 11 institue partant un droit au profit du conjoint du travailleur, bénéficiaire de la libre circulation, d’accéder à toute activité salariée dans l’Etat membre où ledit travailleur communautaire exerce sa propre activité salariée ou non salariée et ledit droit dérivé confère ainsi un droit à un traitement national pour l’accès à l’activité salariée, l’existence du droit dérivé du conjoint étant cependant conditionnée par la nécessité d’un facteur de rattachement avec une situation envisagée par le droit communautaire, en l’occurrence une circulation intra-communautaire d’un travailleur ressortissant d’un autre Etat membre des communautés (cf. trib. adm. 27 juin 2001, n° 12703 du rôle, Pas. adm. 2004, V° Travail, n° 79, p. 703 et autres décisions y citées) ;

Considérant que d’après les faits et éléments soumis au tribunal tels que se cristallisant à la date du 20 septembre 2004 à laquelle le ministre a pris la décision déférée, il n’a existé aucun facteur de rattachement vérifié avec le Grand-Duché de Luxembourg dans le chef de l’époux de Madame …, en ce sens que celui-ci n’a ni résidé sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg, ni n’y a-t-il exercé une activité salariée ou indépendante à cette date ;

Que force est dès lors au tribunal de conclure à l’inapplicabilité in concreto des dispositions du règlement CE 1612/68 du Conseil précité au cas d’espèce à la date de référence du 20 septembre 2004 à laquelle l’arrêté ministériel déféré a été pris ;

Considérant qu’aux termes de l’article 27 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1) l’entrée et le séjour des étrangers ; 2) le contrôle de la main-d’œuvre étrangère ;

3) l’emploi de la main-d’œuvre étrangère, l’octroi et le renouvellement du permis de travail « peuvent » être refusés au travailleur étranger pour des raisons inhérentes à la situation, à l’évolution ou à l’organisation du marché de l’emploi ;

Considérant qu’il convient d’abord d’analyser le caractère vérifié ou non en fait du motif de la disponibilité de travailleurs prioritaires sur place ;

Considérant que le principe de priorité à l’embauche de ressortissants de l’Espace Economique Européen, sur lequel la décision ministérielle déférée s’est basée, ne peut être valablement invoqué par l’autorité compétente pour refuser un permis de travail qu’à la condition de se référer avec précision non seulement à la situation et à l’organisation du marché de l’emploi existant au moment où la décision a été prise, mais également à la situation particulière de la profession dans laquelle le permis est sollicité et la décision de refus d’un emploi à un non-ressortissant d’un Etat membre de l’Union Européenne doit également être motivée d’après les éléments objectifs tirés du marché de l’emploi (cf. trib.

adm. 29 juillet 1998, n° 10081 du rôle, Pas. adm. 2004, V° Travail, n° 47, p. 694) ;

Considérant que le tribunal est amené à constater que la décision déférée indique 7 opticiens qui auraient été inscrits comme demandeurs d’emploi aux bureaux de placement de l’administration de l’Emploi et que 2 personnes appropriées auraient été assignées à l’employeur ;

Que cependant, d’après le mémoire du délégué du Gouvernement à la date du 1er décembre 2003, à laquelle la déclaration de poste vacant a été faite par l’actuelle demanderesse, trois personnes auraient été inscrites aux bureaux de placement correspondant au profil recherché par l’employeur … s.à r.l. ;

Que force est dès lors au tribunal de retenir, que suite à la précision ainsi fournie en procédure contentieuse, c’est ce dernier élément qui doit être retenu pour toiser le bien-fondé du motif de refus invoqué ;

Que toujours d’après le mémoire en réponse, sur ces 3 personnes 2 auraient reçu une carte d’assignation dès le 1er décembre 2003 mais ne se seraient pas présentées, alors qu’entre-

temps elles auraient trouvé un emploi ;

Que restait Monsieur … assigné en date du 18 décembre 2003 ;

Que suivant les pièces versées par le délégué du Gouvernement en date du 12 avril 2005, dont notamment la carte de suivi de l’assignation en question, l’intéressé avait déjà fait une demande, laquelle avait été rencontrée par une réponse négative, le tout dans le cadre d’une candidature spontanée de l’opticien en question suite à une annonce d’emploi de la demanderesse ;

Que sous cet angle de vue, le refus d’emploi réitéré par la société …, face à la carte d’assignation de l’administration de l’Emploi, ne saurait autrement prêter à critique, en ce qu’il rentre dans la voie tracée antérieurement, tous autres éléments étant restés constants par ailleurs ;

Considérant qu’il suit de l’analyse des éléments de fait ainsi menée dégageant ceux établis par la partie publique que sur les trois opticiens a priori disponibles d’après les faits ainsi établis, aucun n’était en définitive sujet concret à emploi pour la demanderesse ;

Que dès lors les deux premiers moyens de refus invoqués consistant dans la présence de demandeurs d’emploi appropriés disponibles, ainsi que dans la priorité à l’emploi des ressortissants de l’Espace Economique Européen, ne se trouvent point vérifiés en l’espèce à la date de la prise de la décision déférée ;

Considérant que le troisième motif de refus tiré de ce que l’employeur n’aurait pas eu l’intention d’engager un ressortissant communautaire bénéficiant de la priorité d’embauche a été appuyé par le délégué du Gouvernement dans son mémoire en réponse sur le double fait que le dénommé … n’aurait pas obtenu de rendez-vous auprès d’… s.à r.l. et que la carte d’assignation afférente a été renvoyée seulement en date du 2 septembre 2004 ;

Considérant qu’il résulte des faits librement discutés à l’audience, ensemble les éléments produits au dossier, ci-avant relatés, que le fait pour … de ne pas répondre positivement à la carte d’assignation concernant Monsieur … se résout dans l’itérative tentative de celui-ci d’obtenir un emploi, suite à la candidature spontanée dudit intéressé, laquelle avait été antérieurement rencontrée par une décision négative du futur employeur potentiel ;

Que force est encore au tribunal de retenir dans ces circonstances que le troisième motif de refus invoqué laisse d’être vérifié d’après les éléments fournis en cause ;

Considérant qu’il suit des développements qui précèdent qu’aucun des motifs de refus ne se trouvant vérifié en l’espèce, la décision ministérielle déférée encourt l’annulation, sans qu’il faille analyser plus loin le caractère disproportionné allégué dans son chef.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en la forme ;

au fond le dit justifié ;

partant annule la décision ministérielle déférée ;

renvoie l’affaire devant le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en prosécution de cause ;

condamne l’Etat du Grand-Duché du Luxembourg aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 11 mai 2005 par :

M. Delaporte, premier vice-président, Mme Thomé, juge, M. Sünnen, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Delaporte 6


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 19045
Date de la décision : 11/05/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-05-11;19045 ?

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