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11/05/2005 | LUXEMBOURG | N°19038

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 11 mai 2005, 19038


Tribunal administratif N° 19038 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 17 décembre 2004 Audience publique du 11 mai 2005 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19038 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 17 décembre 2004 par Maître Frank WIES, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Bhoutan), de nationalité

bhoutanaise, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du minist...

Tribunal administratif N° 19038 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 17 décembre 2004 Audience publique du 11 mai 2005 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19038 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 17 décembre 2004 par Maître Frank WIES, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Bhoutan), de nationalité bhoutanaise, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 27 septembre 2004 portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 15 novembre 2004 prise sur recours gracieux ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 18 février 2005 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Entendu le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Frank WIES et Madame le délégué du Gouvernement Jacqueline JACQUES en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 13 avril 2005.

Monsieur … introduisit en date du 28 janvier 2004 une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour il fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg et sur son identité.

Il fut entendu le 25 juin 2004 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration informa Monsieur … par décision du 27 septembre 2004, lui envoyée par courrier recommandé le 28 septembre 2004, de ce que sa demande a été refusée comme non fondée aux motifs suivants : « Le fait d’appartenir à une minorité religieuse n’entraîne pas d’office le statut de réfugié. En pratique, les prêtres catholiques sont très actifs au Bhoutan dans les domaines humanitaires et de l’éducation. Une persécution à l’encontre des chrétiens ne peut être retenue. En ce qui concerne votre affiliation au parti DRUK, il convient de relever que ce parti n’exerce aucune activité sur le territoire du Bhoutan. En effet, le Royaume du Bhoutan est un Etat où les partis sont considérés comme inutiles. Cette forme de centralisation étatique n’implique cependant pas que les droits de l’homme n’y soient pas respectés. Le pays dispose d’une assemblée nationale, d’assemblées de districts et d’assemblées de village qui constituent un forum de discussion entre le peuple et ses représentants. Le fait de faire circuler des brochures ou de coller quelques affiches ne sauraient vous placer dans une situation particulièrement exposée.

Je dois donc constater qu’aucune de vos assertions ne saurait fonder une crainte de persécutions entrant dans le cadre de l’article 1er A,2 de la Convention de Genève, c’est-à-dire une crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays. » Le 28 octobre 2004, Monsieur … fit introduire un recours gracieux à l’encontre de cette décision.

Le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration confirma sa décision antérieure par une décision prise en date du 15 novembre 2004.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 17 décembre 2004, Monsieur … a fait déposer un recours en réformation à l’encontre des deux décisions ministérielles de refus citées ci-avant.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, de sorte que le tribunal est compétent pour l’analyser. Le recours en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

A l’appui de son recours, Monsieur … fait valoir qu’il appartiendrait à la minorité népalaise du Bhoutan, minorité dénommée Lhotsampas, et que cette minorité ferait l’objet depuis longue date d’une politique de discrimination voire de persécutions de la part des autorités gouvernementales du Bhoutan. Il continue que par son appartenance à la fois à la minorité Lhotsampas et à la communauté religieuse des chrétiens, il aurait vécu quotidiennement le traitement discriminatoire réservé par le pouvoir aux membres de ces communautés. Dans la mesure où il aurait lutté contre ces injustices, il serait devenu en janvier 2002, membre du DRUK National Congres, ci après dénommé « DRUK ». Il relate qu’il aurait été arrêté le 25 octobre 2003 par la police bhoutanaise ensemble avec 4 autres militants du DRUK, alors qu’il se serait apprêté à distribuer des tracts. Il aurait été emprisonné pendant 54 jours et torturé lors des interrogatoires qui auraient eu pour but d’obtenir des informations sur les membres et les activités du DRUK.

Le 17 décembre 2003 il aurait réussi à s’enfuir de la prison de Gelegphu.

Il critique la décision entreprise d’être motivée essentiellement par le fait que les partis politiques sont considérés comme inutiles au Bhoutan et que le fait de coller des affiches respectivement de distribuer des brochures pour le DRUK ne placerait pas Monsieur … dans une position exposée. Monsieur … estime que cette argumentation serait surprenante dans la mesure où différents rapports indiquent qu’il existerait au Bhoutan un risque sérieux de persécution dans le chef des personnes qui militent activement pour un parti politique, de sorte que dans ces conditions on ne saurait parler de régime politique dans lequel les droits humains seraient respectés. Il ajoute que s’il est vrai que la simple qualité de membre d’un parti politique ne constitue pas à elle seule un motif valable de reconnaissance du statut de réfugié, rien n’empêcherait cependant un simple membre d’avoir des activités politiques personnelles pour le compte de son parti et, de ce fait se voir exposer à des persécutions qui devraient rentrer dans les cas visés par la Convention de Genève. En l’espèce, la détention arbitraire de plus d’un mois ensemble les interrogatoires démontreraient clairement le caractère exceptionnel des persécutions dont Monsieur … aurait été victime en raison de ses activités politiques, de sorte que ses craintes de persécutions seraient actuelles et fondées.

Le délégué du Gouvernement soutient que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que le recours sous analyse laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

En ce qui concerne les craintes de persécution en raison de l’appartenance de Monsieur … au parti politique DRUK, le ministre motive son refus en relevant que :

- ce parti n’exerce aucune activité sur le territoire du Bhoutan, - le Bhoutan est un Etat où les partis sont considérés comme inutiles, - la forme de centralisation étatique au Bhoutan n’implique pas que les droits de l’homme n’y sont pas respectés, - le pays dispose d’une assemblée nationale, d’assemblées de district et de village qui constituent un forum de discussion entre le peuple et ses représentants, - le fait de faire circuler des brochures ou de coller quelques affiches ne saurait placer le demandeur dans une situation particulièrement exposée.

Etant donné que le Bhoutan est un pays dans lequel les partis politiques sont interdits1 et non pas inutiles, tel que indiqué par le ministre, et que les membres de partis politiques interdits doivent craindre d’être poursuivis, même si ce même rapport relate qu’il n’y a pas eu de cas rapportés d’arrestation arbitraire et de détention2, le ministre ne saurait valablement motiver sa décision de refus en soutenant que les partis politiques sont inutiles, qu’ils n’exercent aucune activité et que « la forme de centralisation étatique » au Bhoutan n’implique pas que les droits de l’homme ne sont pas respectés.

Par ailleurs il résulte d’une prise de position d’Amnesty international, section allemande du 5 août 2003 demandé par le tribunal administratif d’Augsbourg :

« Grundsätzlich ist zunächst festzustellen, dass in Bhutan politische Aktivitäten generell verboten sind. Bhutan folgt noch den Gesetzesgrundlagen, die im 16. Jahrhundert geschaffen wurden. Auf dieser Rechtsgrundlage basiert das Prinzip des TSA WA SUM (der König, die Regierung, das Volk). Die Quelle der Gesetze ist allein der König mit seinen unregelmäßig erscheinenden Dekreten. Von dieser Grundstruktur her ergibt sich das Verbot jeglicher Art von Opposition. Die Politik wird als alleiniges Vorrecht der königlichen Familie und der inneren Palastkreise betrachtet …. Oppositionelle Tätigkeit kann nach dem Strafrecht als Hochverrat bewertet werden und nach dem Staatsangehörigkeitsrecht zum Verlust der bhutanischen Staatsangehörigkeit führen3… ».

1 The law does not provide for freedom of assembly and association and the Government restricted these rights in practice by not permitting the creation of political parties and organizations; however, the Government allowed civic and business organizations to function freely. The Government regarded political parties organized by ethnic Nepalese exiles--the Bhutan People's Party, the Bhutan National Democratic Party, and the Druk National Congress as "terrorist and antinational" organizations and declared them illegal. These parties, which sought the repatriation of refugees and democratic reforms, did not conduct activities inside the country » in Bhutan, Country Reports on Human Rights Practices, 2004, Released by the Bureau of Democracy, Human Rights, and Labor February 28, 2005.

2 The Government's human rights record remained poor; although there were some improvements in a few areas, problems remained. The King exercised strong and direct power over security and sovereignty, though day-to-day governance was the responsibility of the Prime Minister and the Council of Ministers.

The Government placed limitations on civil, political, and workers' rights. The Government prohibited political parties, and none operated legally. Unlike in previous years, there were no reports of arbitrary arrest or detention. The King, using recommendations from the National Judicial Commission, made judicial appointments to the High Court and District. The National Judicial Commission reviewed judicial reform and processed appointments to the bench. The authorities infringed on citizens' privacy rights. The Government restricted freedom of religion, speech, press, assembly, and association. A significant refugee problem persisted. The Government restricted worker rights.

3 Informationszentrum Asyl und Migration vom Bundesamt für Migration und Flüchtlinge Il en résulte que la motivation telle que retenue par le ministre, au vu de la situation au Bhoutan, ne saurait valablement motiver les décisions litigieuses.

Etant donné que le demandeur a présenté un récit cohérent et crédible, lequel n’est en tant que tel pas mis en cause par la partie publique hormis la motivation ci-avant écartée, il y a lieu de retenir que celui-ci remplit les conditions pour bénéficier du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève.

Au vu de ce qui prècède, il y a donc lieu d’accorder le statut de réfugié à Monsieur ….

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare justifié, par réformation des décisions ministérielles des 27 septembre et 15 novembre 2004 accorde le statut de réfugié à Monsieur … ;

renvoie le dossier devant le ministre des Affaires étrangères et de l’Intérieur pour exécution, condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 11 mai 2004 par :

Mme Lenert, premier juge, Mme Thomé, juge, M. Sünnen, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. SCHMIT s. LENERT Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 13.5.2005 Le Greffier en chef du Tribunal administratif 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 19038
Date de la décision : 11/05/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-05-11;19038 ?

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