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11/05/2005 | LUXEMBOURG | N°18938

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 11 mai 2005, 18938


Tribunal administratif N° 18938 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 3 décembre 2004 Audience publique du 11 mai 2005 Recours formé par Monsieur …, … (F) contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de permis de travail

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18938 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 3 décembre 2004 par Maître Jean TONNAR, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom et pour le compte de Monsieur …, né le…, d

e nationalité sénégalaise, demeurant à F-…, tendant à la réformation sinon à l’annulation ...

Tribunal administratif N° 18938 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 3 décembre 2004 Audience publique du 11 mai 2005 Recours formé par Monsieur …, … (F) contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de permis de travail

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18938 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 3 décembre 2004 par Maître Jean TONNAR, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom et pour le compte de Monsieur …, né le…, de nationalité sénégalaise, demeurant à F-…, tendant à la réformation sinon à l’annulation de la décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 9 septembre 2004 portant refus du permis de travail par lui sollicité pour l’activité de « vendeur-

animateur-responsable aux fruits exotiques tropicaux » auprès de la société à responsabilité limitée unipersonnelle … , établie à L-…;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 3 mars 2005 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif par Maître Jean TONNAR au nom de Monsieur … en date du 31 mars 2005 ;

Vu le mémoire en duplique du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 6 avril 2005 ;

Vu les pièces versées au dossier et notamment la décision ministérielle déférée ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, Maître Sébastien COY, en remplacement de Maître Jean TONNAR et Madame le délégué du Gouvernement Claudine KONSBRÜCK s’étant rapportés à leurs mémoires respectifs à l’audience publique du 25 avril 2005.

Considérant que par arrêté du 9 septembre 2004, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, ci-après dénommé « le ministre », a refusé le permis de travail sollicité par Monsieur …, de nationalité sénégalaise, « pour les raisons inhérentes à la situation et à l’organisation du marché de l’emploi suivantes - des demandeurs d’emploi appropriés sont disponibles sur place : 2417 ouvriers non-qualifiés inscrits comme demandeurs d’emploi aux bureaux de placement de l’Administration de l’Emploi et 12 personnes appropriés ont été assignées à l’employeur, - priorité à l’emploi des ressortissants de l’Espace Economique Européen (E.E.E.) » ;

Considérant que par requête déposée en date du 3 décembre 2004, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision ministérielle prérelatée du 9 septembre 2004 ;

Considérant que le délégué du Gouvernement conclut à l’irrecevabilité du recours en réformation introduit en ordre principal et souligne que la réformation d’une décision du ministre du Travail et de l’Emploi ne saurait être obtenue par le demandeur étant donné que c’est le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, nouvellement compétent, qui a statué à travers la décision déférée ;

Considérant qu’aucune disposition légale ne prévoyant un recours de pleine juridiction en la matière, le tribunal est incompétent pour connaître du recours en réformation introduit en ordre principal ;

Considérant qu’en ordre subsidiaire, le demandeur sollicite l’annulation de la décision du 9 septembre 2004, étant constant que celle-ci émane du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, compétent au moment où il a statué ;

Que ce recours ayant été introduit suivant les formes et délai prévus par la loi, il est recevable ;

Considérant qu’à l’appui de son recours, le demandeur fait valoir que si suite à sa venue au Luxembourg en 2001 il a, dans un premier temps, eu un permis de travail en tant que entraîneur-joueur de football, il se serait actuellement dirigé vers sa profession d’origine, celle de vendeur de fruits exotiques, étant donné qu’il a passé sa jeunesse et son adolescence au Sénégal, pays par excellence de produits de fruits exotiques où il aurait acquis toute son expérience professionnelle ;

Qu’il entend bénéficier des principes de liberté de circulation des travailleurs, étant donné qu’il est marié à une ressortissante française, le couple résidant à …, en France, à quelques pas de la frontière luxembourgeoise ;

Qu’il affirme s’être très bien intégré dans le milieu luxembourgeois et avoir toujours été affilié au centre commun de la sécurité sociale ;

Qu’à travers son mémoire en réplique, il fait valoir qu’ayant contracté mariage en date du 5 octobre 2002 avec une ressortissante française, il serait sur le point d’acquérir la nationalité française, de sorte à ne plus avoir besoin de permis de travail dans cette hypothèse ;

Considérant que dans le cadre d’un recours en annulation, le tribunal est amené à statuer suivant la situation de fait et de droit ayant existé au moment où a été prise la décision administrative déférée ;

Qu’il est constant qu’à la date du 9 septembre 2004, Monsieur … n’a pas revêtu la nationalité française, tout comme il résulte des indications non contestées fournies par le demandeur qu’à cette date il s’est retrouvé dans les liens du mariage avec une ressortissante française qu’il a épousée en date du 5 octobre 2002 ;

Considérant qu’aux termes de l’article 11 du règlement CEE 1612/68 du Conseil précité « le conjoint et les enfants de moins de 21 ans ou à charge d’un ressortissant d’un Etat membre exerçant sur le territoire d’un Etat membre une activité salariée ou non salariée, ont le droit d’accéder à toute activité salariée sur l’ensemble du territoire de ce même Etat, même s’ils n’ont pas la nationalité d’un Etat membre » ;

Considérant que les droits que confèrent les articles 10 et 11 dudit règlement CEE 1612/68 au conjoint du travailleur migrant sont liés à ceux que détient ce travailleur en vertu de l’article 39 (ex 48) du Traité et des articles 1er et suivants du règlement ;

Que dans la mesure où le conjoint peut invoquer ces droits dérivés et où ces droits impliquent l’accès à des activités salariées conformément à l’article 11, ces activités doivent pouvoir être exercées dans les mêmes conditions que le travailleur, titulaire du droit à la libre circulation, exerce les siennes ;

Que l’article 3, paragraphe 1, du règlement impose pour autant aux autorités de l’Etat membre d’accueil d’appliquer un traitement non discriminatoire à ce conjoint, le « traitement national » dont bénéficient à cet égard les travailleurs des Etats membres étant ainsi étendu à leurs conjoints (cf. CJCE, arrêt 131/85 du 7 mai 1986, n° 20) ;

Considérant que ledit article 11 institue partant un droit au profit du conjoint du travailleur, bénéficiaire de la libre circulation, d’accéder à toute activité salariée dans l’Etat membre où ledit travailleur communautaire exerce sa propre activité salariée ou non salariée et ledit droit dérivé confère ainsi un droit à un traitement national pour l’accès à l’activité salariée, l’existence du droit dérivé du conjoint étant cependant conditionnée par la nécessité d’un facteur de rattachement avec une situation envisagée par le droit communautaire, en l’occurrence une circulation intra-communautaire d’un travailleur ressortissant d’un autre Etat membre des communautés (cf. trib. adm. 27 juin 2001, n° 12703 du rôle, Pas. adm. 2004, V° Travail, n° 79, p. 703 et autres décisions y citées) ;

Considérant que d’après les faits et éléments soumis au tribunal tels que se cristallisant à la date du 9 septembre 2004 à laquelle le ministre a pris la décision déférée, il n’a existé aucun facteur de rattachement vérifié avec le Grand-Duché de Luxembourg dans le chef de l’épouse de Monsieur …, en ce sens que celle-ci n’a ni résidé sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg, ni n’y a-t-elle exercé une activité salariée à cette date ;

Que force est dès lors au tribunal de conclure à l’inapplicabilité in concreto des dispositions du règlement CE 1612/68 du Conseil précité au cas d’espèce à la date de référence du 9 septembre 2004 à laquelle l’arrêté ministériel déféré a été pris ;

Considérant que la référence à la situation et à l’organisation du marché de l’emploi, ainsi qu’à l’accès prioritaire aux emplois disponibles de ressortissants de l’Union Européenne et de l’Espace Economique Européen (E.E.E.) se justifie en principe, face au désir de l’employeur d’embaucher un travailleur de nationalité sénégalaise, c’est-à-dire originaire d’un pays tiers par rapport aux Etats membres de l’Union Européenne et des Etats parties à l’Accord sur l’E.E.E. ;

Que les ressortissants de l’Union Européenne et de l’E.E.E. bénéficient d’un accès prioritaire aux emplois disponibles sur le marché du travail luxembourgeois, il convient partant de vérifier, in concreto, la disponibilité sur place de tels ressortissants, susceptibles d’occuper le poste vacant, en prenant notamment en considération leur aptitude à pouvoir exercer le travail demandé, avant de pouvoir attribuer un poste de travail à un ressortissant d’un pays tiers par rapport aux Etats membres de l’Union Européenne et des Etats parties à l’Accord sur l’E.E.E. (trib. adm. 24 janvier 2001, n° 11729 du rôle, Pas. adm. 2004, V° Travail, n° 31, p. 689 et autre décision y citée) ;

Concernant qu’à ce sujet, le demandeur fait exposer que « concernant le motif du refus, à savoir qu’il y avait assez de demandeurs d’emploi appropriés disponibles sur place, cette affirmation est fausse, alors que Monsieur … est vendeur de fruits exotiques, qu’il a passé sa jeunesse et son adolescence au Sénégal, pays par excellence de produits de fruits exotiques, et qu’il a acquis toute son expérience dans ce pays » ;

Qu’il est constant que comme le demandeur n’a pas autrement précisé son propos suivant lequel l’affirmation de l’existence de demandeurs d’emploi appropriés disponibles sur place serait fausse, celui-ci est resté à l’état de pure allégation ;

Que le délégué du Gouvernement de prendre position à ce sujet en faisant valoir, d’une part, le motif de refus suivant lequel 2.417 ouvriers non qualifiés étaient inscrits comme demandeurs d’emploi auprès de l’administration de l’Emploi et, d’autre part, que celle-ci a assigné 12 personnes à l’employeur, lesquels étaient, d’après les propos du représentant étatique « spécialisés dans la vente d’alimentaires » ;

Que le représentant étatique de se référer aux pièces par lui versées au dossier administratif contenant les informations du bureau de placement de l’ADEM suivant lesquelles sur 12 personnes assignées, l’employeur en a refusé 10 au motif lacunaire que la personne assignée ne correspondrait pas au profil recherché, sans préciser en quoi les personnes assignées ne pouvaient satisfaire à l’emploi offert, mettant ainsi l’ADEM dans l’impossibilité d’affiner la sélection des assignations, tandis que pour deux autres assignations restantes, l’employeur n’aurait pas encore fourni de réponse au bureau de placement ;

Considérant que la simple allégation de fausseté proposée par le demandeur face au motif de refus tiré de la présence de personnes qualifiées sur place, ensemble le fait de l’assignation de 12 candidats à l’emploi, a priori qualifiés, pour lesquels aucun motif précis de non-embauche n’a été émis par l’employeur, font en sorte que le demandeur n’a pas non plus réussi à énerver le motif de refus tiré de la présence de demandeurs d’emploi prioritaires disponibles sur place ;

Considérant que le recours n’étant fondé en aucun de ses moyens proposés, il est à déclarer non justifié dans son entièreté ;

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

se déclare incompétent pour connaître du recours en réformation ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, le dit non justifié ;

partant en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 11 mai 2005 par :

M. Delaporte, premier vice-président, Mme Thomé, juge, M. Sünnen, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

Schmit Delaporte 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 18938
Date de la décision : 11/05/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-05-11;18938 ?

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