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11/05/2005 | LUXEMBOURG | N°17796

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 11 mai 2005, 17796


Tribunal administratif N° 17796 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 22 mars 2004 Audience publique du 11 mai 2005 Recours formé par Madame …, … contre une décision du ministre du Travail et de l’Emploi en matière de permis de travail

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17796 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 22 mars 2004 par Maître Guy THOMAS, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le…, de nationalité brésilienne, demeurant actuellement à L-…,

agissant tant en son nom personnel qu’au nom et pour compte de son fils mineur …, ressortis...

Tribunal administratif N° 17796 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 22 mars 2004 Audience publique du 11 mai 2005 Recours formé par Madame …, … contre une décision du ministre du Travail et de l’Emploi en matière de permis de travail

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17796 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 22 mars 2004 par Maître Guy THOMAS, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le…, de nationalité brésilienne, demeurant actuellement à L-…, agissant tant en son nom personnel qu’au nom et pour compte de son fils mineur …, ressortissant communautaire, tendant à l’annulation d’une décision du ministre du Travail et de l’Emploi du 12 février 2004 portant refus du permis de travail par elle sollicité ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 21 juin 2004 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 22 septembre 2004 par Maître Guy THOMAS, pour compte de la demanderesse ;

Entendu le juge-rapporteur en son rapport ainsi que Maître Sarah ESPOSITO, en remplacement de Maître Guy THOMAS, et Monsieur le délégué du Gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 10 janvier 2005 ;

Vu la rupture du délibéré prononcée en date du 25 janvier 2005 ;

Vu le mémoire supplémentaire déposé au greffe du tribunal administratif le 11 février 2005 par le délégué du Gouvernement ;

Vu le mémoire supplémentaire déposé au greffe du tribunal administratif le 3 mars 2005 par Maître Guy THOMAS pour compte de la demanderesse ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;

Entendu le juge-rapporteur en son rapport complémentaire, ainsi que Maître Guy THOMAS, et Madame le délégué du Gouvernement Jacqueline JACQUES en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 7 mars 2005.

Suivant déclaration d’engagement tenant lieu d’une demande en obtention du permis de travail, la société à responsabilité limitée … s’adressa en date du 14 mars 2003 à l’administration de l’Emploi, division de la main-d’œuvre, pour solliciter un permis de travail dans le chef de Madame … en qualité de serveuse en boulangerie-pâtisserie, en indiquant que l’intéressée réside sans interruption au pays depuis 1998 et y est occupée également sans interruption depuis le mois de novembre de la même année 1998.

Par arrêté datant du 12 février 2004, le ministre du Travail et de l’Emploi refusa de faire droit à cette demande sur base des considérations suivantes :

« Vu l’article 27 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1) l’entrée et le séjour des étrangers ; 2) le contrôle médical des étrangers ; 3) l’emploi de la main-

d’œuvre étrangère ;

Vu l’article 10 du règlement grand-ducal modifié du 12 mai 1972 déterminant les mesures applicables pour l’emploi des travailleurs étrangers sur le territoire du Grand-

Duché de Luxembourg ;

Vu l’avis de l’Administration de l’Emploi ;

Vu l’avis de la commission d’avis spéciale instituée par règlement grand-ducal du 17 juin 1994 ;

ARRETE :

Article 1er – Le permis de travail est refusé à …, née le…, de nationalité brésilienne, Pour des raisons inhérentes à la situation et à l’organisation du marché de l’emploi suivantes -

des demandeurs d’emploi appropriés sont disponibles sur place : 2428 ouvriers non qualifiés inscrits comme demandeurs d’emploi aux bureaux de placement de l’Administration de l’Emploi -

priorité à l’emploi des ressortissants de l’Espace Economique Européen -

occupation irrégulière depuis le 29.03.1999 -

recrutement à l’étranger non autorisé -

a fait usage de faux papiers d’identité (…)» Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 22 mars 2004, Madame … a fait introduire un recours tendant à l’annulation de la décision ministérielle prévisée.

Le recours en annulation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

A l’appui de son recours elle relève que le ministre disposerait d’un large pouvoir d’appréciation en la matière et qu’une juste mise en balance des différents intérêts en cause aurait dû l’amener à lui accorder l’autorisation sollicitée.

A l’appui de ses prétentions elle fait valoir plus particulièrement qu’elle a travaillé depuis le 29 mars 1999 au service de la société … à Luxembourg en tant que serveuse à l’entière satisfaction de son employeur, qu’elle dispose par ailleurs d’une autorisation de séjour jusqu’au 15 janvier 2004 lui délivrée par le ministre de la Justice et prorogeable en cas de production soit d’un permis de travail soit d’un acte de mariage avec son concubin ressortissant portugais et père de son enfant … né le … à Luxembourg, et que dans ces conditions, l’attitude de l’administration gouvernementale globalement considérée serait incohérente en ce sens que le refus du permis de travail serait de nature à rendre caduque l’autorisation de séjour lui pourtant accordée à titre exceptionnel pour raisons humanitaires. Elle conclut plus particulièrement dans ce contexte à une violation du droit à la libre circulation dont se trouverait investi son enfant …, en tant que ressortissant communautaire, par le biais des dispositions communautaires applicables, en ce sens que l’exercice effectif et utile du droit de son enfant de séjourner au pays impliquerait indirectement mais nécessairement à la fois son propre droit de séjour dérivé au pays, ainsi que le droit d’y travailler. Elle fait valoir ensuite qu’en l’empêchant de poursuivre une activité salariée au pays, le ministre la contraindrait à retourner vivre dans son pays d’origine faute de la mettre en mesure de pourvoir à sa propre subsistance matérielle, ainsi qu’à celle de son enfant, de sorte à porter atteinte, à travers une ingérence non justifiée, à sa vie familiale effective qu’elle serait en droit de poursuivre avec son enfant au Grand-Duché de Luxembourg.

La demanderesse se prévaut finalement des dispositions de l’article 3 de la Convention relative aux droits de l’enfant pour soutenir que la décision litigieuse ne respecterait pas l’intérêt supérieur de son enfant qui devrait néanmoins être une considération primordiale en la matière. Dans la mesure où la décision litigieuse entraînerait inévitablement une situation matérielle extrêmement délicate tant pour elle même que pour son enfant et risquerait d’entraîner la rupture du couple et un retour de la mère et de son enfant au Brésil, elle fait valoir que l’intérêt supérieur de son enfant ne serait manifestement pas respecté en l’espèce. La demanderesse estime enfin que la décision litigieuse constituerait une violation flagrante de son droit au travail consacré par l’article 11 alinéa 4 de la Constitution.

Le délégué du Gouvernement conclut à la conformité de la décision litigieuse à la loi ainsi qu’à la non-applicabilité en l’espèce des dispositions et jurisprudences invoquées relatives à la libre circulation des travailleurs communautaires et de leur famille, alors que s’agissant d’un litige concernant un refus du permis de travail, il y aurait lieu d’écarter lesdits développements pour avoir trait à la question du droit au séjour et non pas du droit au travail. Il relève en outre que l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme ne prévoit pas un droit direct ou dérivé au travail, mais se limite à énoncer le droit au respect de la vie privée et familiale, de sorte à ne pas non plus trouver application utile en l’espèce.

Quant à la motivation de l’arrêté ministériel litigieux, il relève notamment que la demanderesse n’aurait jamais eu d’autorisation de séjour au Grand-Duché de Luxembourg et que le ministre l’aurait simplement informée qu’il serait disposé à lui délivrer une autorisation si elle était en possession d’un permis de travail, tout en donnant à considérer que cette approche serait tout à fait normale, alors que pour pouvoir obtenir une autorisation de séjour, il faut disposer de moyens d’existence personnels suffisants et légalement acquis.

Il s’est avéré en cours d’instruction du dossier que les affirmations ci-avant relatées du délégué du Gouvernement sont controuvées en fait, étant donné que le ministre de la Justice a délivré en date du 14 juin 2004 une autorisation de séjour valable jusqu’au 13 juin 2005 à Madame … tout en ayant indiqué que cette autorisation de séjour « est uniquement prorogeable sur production d’un permis de travail établi à votre nom par le ministère du Travail et de l’Emploi sur base d’un contrat de travail à plein temps et à durée indéterminée sur le premier marché de l’emploi. » Le tribunal ayant prononcé la rupture du délibéré afin de permettre notamment à la partie publique de prendre position par rapport à la contradiction ainsi relevée entre les pièces versées au dossier et les affirmations contenues dans son mémoire déposé le 21 juin 2004, le délégué du Gouvernement, suivant le dernier état de ses conclusions déposées en date du 11 février 2005, a pris position comme suit : « Après consultation du dossier, il semblerait que le Ministère de la Justice ait changé sa position alors qu’il a délivré en date du 14 juin 2004 une autorisation de séjour valable jusqu’au 13 juin 2005 à la requérante. Cette autorisation de séjour est uniquement prorogeable sur production d’un permis de travail.

Or, étant donné que le volet permis de travail relève, suite à la nouvelle attribution des Ministères, également du Ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration, il est probable que Madame … bénéficie d’un permis de travail sur nouvelle demande de sa part.

Il serait dès lors utile que la partie requérante introduise une nouvelle demande de permis de travail et l’affaire sous rubrique pourrait être mise au rôle général dans l’attente d’une nouvelle décision du Ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration. » Dans son mémoire supplémentaire, la partie demanderesse marque son incompréhension devant la position étatique en donnant à considérer que le ministre de l’Immigration, dorénavant compétent pour l’octroi tant de l’autorisation de séjour que du permis de travail, reste en défaut de lui donner une quelconque assurance relativement à la délivrance d’un permis de travail à travers son dernier état des conclusions, de sorte à la laisser dans une situation incertaine, alors que l’octroi d’une autorisation de séjour devrait normalement avoir comme corollaire l’octroi d’un permis de travail, celui-ci étant nécessaire afin de mettre l’étranger concerné en mesure de pourvoir à ses propres besoins de subsistance sur le territoire luxembourgeois.

Conformément aux dispositions de l’article 27 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1) l’entrée et le séjour des étrangers ; 2) le contrôle médical des étrangers ; 3) l’emploi de la main-d’œuvre étrangère « l’octroi et le renouvellement du permis de travail peuvent être refusés au travailleur étranger pour des raisons inhérentes à la situation, à l’évolution ou à l’organisation du marché de l’emploi. » Si la loi accorde ainsi au ministre la faculté de refuser le permis de travail à un travailleur étranger pour les raisons y plus amplement énoncées, il n’en reste pas moins que le ministre est tenu d’exercer cette faculté de refus dans le respect de la loi, y compris dans le respect du principe général de la proportionnalité.

Il s’ensuit que le tribunal, statuant dans le cadre d’un recours en annulation contre une décision de refus du permis de travail, est amené à vérifier, au-delà du respect du cadre légal énoncé expressis verbis à l’article 27 prérelaté, si la décision déférée n’est pas manifestement disproportionnée dans le contexte du dossier globalement considéré.

Il y a lieu de prendre en considération à cet égard la situation administrative de la personne concernée dans tous ses aspects, y compris l’attitude affichée le cas échéant par l’administration à travers ses différentes prises de position dans un dossier déterminé.

En l’espèce, force est de constater que le dernier état des conclusions de la partie publique est de nature à révéler une incohérence manifeste au niveau de la motivation à la base de la décision litigieuse telle que précisée en début d’instance.

Si le tribunal peut en effet certes suivre le délégué du Gouvernement dans son raisonnement développé dans le cadre de son mémoire en réponse déposé en date du 21 juin 2004 en ce qu’il y a relevé l’évidence pour le ministre compétent de ne délivrer une autorisation de séjour qu’à un étranger lorsque celui-ci est en possession d’un permis de travail, étant donné que « pour pouvoir obtenir une autorisation de séjour, il faut disposer de moyens d’existence personnels suffisants et légalement acquis », il ne peut cependant que constater une divergence patente entre le principe ainsi énoncé et la pratique suivie dans ce dossier où la démarche inverse fut retenue.

Or, le tribunal ne pouvant faire abstraction de l’évolution des conclusions prises par la partie publique, lesquelles font partie intégrante du dossier, il est amené à constater une incohérence manifeste au niveau de l’attitude affichée de la partie publique qui est de nature à invalider la motivation à la base de la décision litigieuse dans le sens d’une non-

adéquation manifeste au cas d’espèce.

En effet, face à la nécessité avouée par la partie publique de n’autoriser à séjourner au pays que des étrangers qui sont également en mesure de pourvoir aux-

mêmes à leur frais de séjour au pays, impliquant le bénéfice d’un permis de travail les autorisant à s’adonner légalement à une activité salariée au pays, l’attitude affichée en l’espèce consistant pour un même département ministériel à accorder d’un côté une autorisation de séjour à la demanderesse dont la prorogation est conditionnée par l’obtention d’un permis de travail, tout en maintenant de l’autre côté le refus du permis de travail, est inconsistante au point de justifier l’annulation de la décision litigieuse, faute pour le tribunal de pouvoir retracer utilement les considérations ayant poussé en fait le ministre compétent à exercer dans le présent cas sa faculté de refus du permis de travail.

Il s’y ajoute qu’en dépit d’une demande afférente adressée à la partie publique de verser au dossier l’avis de la commission d’avis spéciale du 17 juin 1994 visé par l’arrêté litigieux, le dossier n’a pas été complété en ce sens.

Il se dégage des considérations qui précèdent que la décision déférée encourt l’annulation.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en annulation en la forme, au fond, le dit justifié, partant annule la décision déférée du 12 février 2004 et renvoie le dossier en prosécution de cause devant le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 11 mai 2005 par :

M. Delaporte, premier vice-président Mme Lenert, premier juge, M. Sünnen, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Delaporte 6


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 17796
Date de la décision : 11/05/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-05-11;17796 ?

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