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09/05/2005 | LUXEMBOURG | N°18893

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 09 mai 2005, 18893


Numéro 18893 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 23 novembre 2004 Audience publique du 9 mai 2005 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 18893 du rôle, déposée le 23 novembre 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Pascale PETOUD, avocat à

la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né ...

Numéro 18893 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 23 novembre 2004 Audience publique du 9 mai 2005 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 18893 du rôle, déposée le 23 novembre 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Pascale PETOUD, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le 10 octobre 1986 à Monrovia (Libéria), de nationalité libériane, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 6 septembre 2004 portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 18 octobre 2004 prise sur recours gracieux;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 22 février 2005;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 21 mars 2005 par Maître Pascale PETOUD pour compte de Monsieur …;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Steve HELMINGER, en remplacement de Maître Pascale PETOUD, et Monsieur le délégué du gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 2 mai 2005.

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Le 13 janvier 2004, Monsieur …, préqualifié, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

En date du même jour, Monsieur … fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il fut entendu en date du 19 mai 2004 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration l’informa par décision du 6 septembre 2004, notifiée par courrier recommandé du 13 septembre 2004, que sa demande avait été rejetée comme n’étant pas fondée aux motifs énoncés comme suit :

« En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 13 janvier 2004 et le rapport d’audition du 19 mai 2004.

Il ressort du rapport du Service de Police Judiciaire que vous auriez marché à travers les bois et traversé différents pays, sans pouvoir dire lesquels, puis vous seriez monté à bord d’un bateau pour arriver un mois après en Europe, cependant sans savoir à quel endroit. Ensuite, vous auriez été amené au Luxembourg en voiture.

Il résulte de vos déclarations que vous auriez quitté le Libéria en raison de la guerre. En effet, les rebelles auraient tiré et jeté des bombes de sorte que vous seriez parti vous réfugier dans les bois.

Des personnes de l’église seraient venues vous chercher afin de vous aider et de vous faire quitter le pays, vous, ainsi que d’autres civils dans la même situation.

Vous ajoutez que votre père et votre frère auraient été tués à cause de la guerre. Les rebelles se battraient contre le gouvernement, tout le pays serait en guerre, même encore actuellement selon vos allégations.

Enfin, vous n’êtes membre d’aucun parti politique.

Pour le surplus, vous n’auriez subi aucune persécution ni mauvais traitement.

Il y a d’abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Je vous rends attentif au fait que, pour invoquer l’article 1er, A,2 de la Convention de Genève, il faut une crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays.

Il ne résulte pas de vos allégations, qui ne sont d’ailleurs corroborées par aucun élément de preuve tangible, que vous risquiez ou risquez d’être persécuté dans votre pays d’origine pour un des motifs énumérés par l’article 1er, A., §2 de la Convention de Genève. Force est de constater que vous ne faites pas état de persécutions personnelles et que vous ne soulevez que la situation générale du Libéria, à savoir la guerre civile. Il ressort du rapport d’audition qu’à aucun moment vous n’avez été en contact avec les rebelles, ni avoir subi une quelconque persécution ou de mauvais traitements. Vos motifs traduisent par conséquent un sentiment général d’insécurité, or, un sentiment général d’insécurité ne constitue pas une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

A cela s’ajoute qu’actuellement la situation au Libéria s’est considérablement améliorée.

Effectivement, non seulement le président Charles Taylor a été évincé pour laisser place à un gouvernement transitoire, mais de plus le conseil de sécurité des Nations Unies a adopté une résolution afin d’établir une vaste opération de maintien de la paix dans ce pays, notamment en déployant jusqu’à 15.000 casques bleus et policiers, effectif qui sera atteint en très prochainement, et dont sa mise en place a débuté le 1er octobre 2003. Une attention particulière est naturellement portée aux questions de sécurité, avec en l’occurrence l’observation du cessez-le-feu, le désarmement et la démobilisation des combattants des forces armées et de police. Néanmoins, l’opération a également pour mandat de faciliter la délivrance de l’aide humanitaire, de contribuer à la protection des droits de l’homme et d’aider le gouvernement de transition à restaurer les structures de l’Etat.

Enfin, dans un tout autre contexte, il convient de noter que vous ne vous êtes pas rendu au ministère de la Famille conformément à une convocation par lettre recommandée afin de subir un examen physique médical prévu en date du 23 avril 2004 dans le but d’évaluer votre âge probable, un tel comportement doit être qualifié de refus de collaboration manifeste.

Par conséquent, vous n’alléguez aucune crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays. Votre demande ne répond donc à aucun des critères de fonds définis par la Convention de Genève.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Le recours gracieux formé par courrier de son mandataire du 14 octobre 2004 ayant été rencontré par une décision confirmative du même ministre du 18 octobre 2004, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation à l’encontre des décisions ministérielles initiale du 6 septembre 2004 et confirmative du 18 octobre 2004 par requête déposée le 23 novembre 2004.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation, lequel est également recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur fait préciser qu’il conteste tout refus de collaboration dans son chef en raison de son défaut de se présenter au rendez-vous lui fixé pour le 23 avril 2004, au motif qu’il n’aurait reçu la convocation que tardivement. Il fait valoir qu’il aurait quitté le Libéria au moment où la guerre civile y faisait rage, qu’il aurait été détenu par un groupe de rebelles qui lui auraient infligé de mauvais traitements, que des attaques fréquentes des rebelles « Congo tribes » l’auraient obligé à fuir dans la brousse et que, n’ayant plus de proche famille après le décès de son père et de son frère et après la fuite de sa mère, il n’aurait pas hésité à saisir la première opportunité pour fuir le pays afin de sauver sa vie. Le demandeur conclut que ce dernier fait et les événements auxquels il aurait assisté fonderaient dans son chef une crainte justifiée d’être exposé, en cas de retour au Libéria, à des persécutions ou du moins des traitements discriminatoires qui lui rendraient la vie intolérable dans son pays d’origine.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que son recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2004, v° Recours en réformation, n° 12).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition du 19 mai 2004, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, même abstraction faite du reproche tiré d’un refus de collaboration du demandeur, celui-ci fait en substance état de sa crainte de voir commettre des actes de violence à son encontre par des rebelles dans la cadre de la guerre civile faisant rage dans son pays d’origine et estime que la crainte afférente pourrait être reconnue comme motif d’octroi du statut de réfugié au vu de la situation instable et non sécurisée dans son pays d’origine.

Force est dès lors de constater que le demandeur se prévaut d’actes de persécution émanant non pas des autorités publiques, mais de personnes privées. Or, s’agissant ainsi d’actes émanant de certains groupements de la population, il y a lieu de relever qu’une persécution commise par des tiers peut être considérée comme fondant une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève uniquement en cas de défaut de protection de la part des autorités publiques pour l’un des motifs énoncés par ladite Convention et dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile. En outre, la notion de protection de la part du pays d’origine de ses habitants contre des agissements de groupes de la population n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, et une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce-

qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p. 113, nos 73-s). Pareillement, ce n’est pas la motivation d’un acte criminel qui est déterminante pour ériger une persécution commise par un tiers en un motif d’octroi du statut de réfugié, mais l’élément déterminant à cet égard réside dans l’encouragement ou la tolérance par les autorités en place, voire l’incapacité de celles-ci d’offrir une protection appropriée.

Or, depuis le mois de juillet 2003, date à laquelle le demandeur affirme avoir quitté la maison familiale pour se cacher dans la brousse et puis quitter le pays, la situation a fondamentalement changé au Libéria par la signature en août 2003 d’un accord entre le gouvernement libérien, les forces rebelles, les partis politiques et des représentants de la société civile et par l’instauration en date du 14 octobre 2003 d’un gouvernement de transition. S’y ajoute qu’une force internationale (UNMIL) a été instaurée par la résolution n° 1509 du Conseil de Sécurité des Nations Unies du 19 septembre 2003 avec la mission notamment d’assurer la sécurité intérieure du pays et de soutenir la démobilisation et le désarmement des forces rebelles.

Face à cette évolution positive de la situation générale au Libéria et en l’absence d’éléments quelconques de nature à étayer un risque concret de recrudescence des violences, les faits mis en avant par le demandeur, tenant essentiellement à des actions de forces rebelles, ne sont plus de nature à fonder à l’heure actuelle une crainte justifiée de persécution.

Il résulte des développements qui précèdent que le demandeur reste en défaut d’établir une persécution ou un risque de persécution au sens de la Convention de Genève dans son pays de provenance, de manière que le recours sous analyse doit être rejeté comme n’étant pas fondé.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. CAMPILL, vice-président, M. SCHROEDER, premier juge, M. SPIELMANN, juge, et lu à l’audience publique du 9 mai 2005 par le vice-président en présence de M.

LEGILLE, greffier.

LEGILLE CAMPILL 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 18893
Date de la décision : 09/05/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-05-09;18893 ?

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