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02/05/2005 | LUXEMBOURG | N°19179

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 02 mai 2005, 19179


Tribunal administratif N° 19179 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 17 janvier 2005 Audience publique du 2 mai 2005 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19179 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 17 janvier 2005 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre d

es avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Kosovo, Etat de Serbie et Monténégro)...

Tribunal administratif N° 19179 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 17 janvier 2005 Audience publique du 2 mai 2005 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19179 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 17 janvier 2005 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Kosovo, Etat de Serbie et Monténégro), de nationalité serbo-monténégrine, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 4 novembre 2004, notifiée le 7 novembre 2004, rejetant sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 16 décembre 2004, notifiée le 17 décembre 2004, suite à un recours gracieux du 7 décembre 2004 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 17 février 2005 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport à l’audience publique du 13 avril 2005, en présence de Maître Louis TINTI, ainsi que de Madame le délégué du Gouvernement Jacqueline JACQUES, qui se sont rapportés aux écrits respectifs de leurs parties.

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Le 27 avril 2004, Monsieur … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-

après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour, Monsieur … fut entendu par un agent de la police grand-ducale, section police des étrangers et des jeux, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Grand-Duché de Luxembourg.

Monsieur … fut entendu le 4 octobre 2004 par un agent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration sur sa situation et sur les motifs à la base de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié.

Par décision du 4 novembre 2004, expédiée par courrier recommandé le 9 novembre 2004, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration informa Monsieur … de ce que sa demande avait été rejetée pour les motifs suivants :

« J'ai l'honneur de me référer à la demande en obtention du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 que vous avez présentée auprès du service compétent du Ministère de la Justice en date du 27 avril 2004.

En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 27 avril 2004 et le rapport d'audition de l'agent du Ministère des Affaires étrangères et de l'Immigration des 4 et 14 octobre 2004.

Il ressort du rapport du Service de Police Judiciaire du 27 avril 2004 que vous auriez quitté votre domicile au Kosovo seul en mars 2004. Vous auriez pris place à bord d'un camion qui vous aurait emmené au Luxembourg où vous seriez arrivé le 26 avril 2004. Votre demande d'asile date du lendemain. Vous n'auriez jamais été en possession d'un passeport et vous auriez laissé votre carte d'identité au Kosovo. Vous ne présentez aucun autre document. Vous précisez avoir séjourné avec vos parents en Allemagne de 1999 à 2000.

Il résulte de vos déclarations que vous seriez membre du parti politique LDK depuis 2000, donc depuis l'âge de 13 ans. Vous auriez collé des affiches, distribué des gadgets et envoyé du courrier. Vous dites avoir une carte de membre du LDK, mais vous l'auriez laissée à la maison. Vous auriez eu des problèmes à cause de cette adhésion. En effet, en 2002 vous auriez été battu à Kline par trois personnes masquées qui vous auraient également écrit des lettres de menaces vous imposant de quitter le Kosovo. Vous auriez été hospitalisé pendant dix jours. Après votre sortie de l'hôpital, vous seriez allé à … chez votre père où vous seriez resté deux semaines avant de quitter le Kosovo. Vous auriez également eu des menaces à ….

La reconnaissance du statut de réfugié n'est pas uniquement conditionnée par le situation générale du pays d'origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d'asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu'elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

A défaut de pièces, un demandeur d'asile doit au moins pouvoir présenter un récit crédible et cohérent. En l'occurrence, il convient de souligner que vous avez délibérément menti quant à votre âge puisque un rapport médical daté du 17 septembre 2004 atteste que vous êtes beaucoup plus âgé que vous le prétendez. Il faut également noter que vous êtes effectivement connu en Allemagne pour y avoir séjourné de 1999 à 2000, mais vous y êtes enregistré comme étant né le 27 janvier 1985. A ce sujet, l'article 6 2b) du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 portant application des articles 8 et 9 de la loi du 3 avril 1996 précitée, dispose que « une demande d'asile pourra être considérée comme manifestement infondée lorsqu'elle repose clairement sur une fraude délibérée ou constitue un recours abusif aux procédures en matière d'asile. Tel sera le cas notamment lorsque le demandeur a délibérément fait de fausses déclarations verbales ou écrites au sujet de sa demande, après avoir demandé l'asile ».

Je vous informe qu'une demande d'asile qui peut être déclarée manifestement infondée peut, a fortiori, être déclarée non fondée pour les mêmes motifs.

Force est également de constater que les contradictions dans votre récit laissent planer des doutes quant à l'intégralité de votre passé et au motif de fuite invoqué. Ainsi, vous prétendez auprès du Service de Police Judiciaire ne jamais avoir été en possession d'un passeport et que votre carte d'identité de l'UNMIK serait restée au Kosovo. Lors de l'audition du 4 octobre 2004 vous dites qu'aussi bien votre passeport que votre carte d'identité auraient été volés, sans pour autant pouvoir donner la date ou l'endroit où vous les auriez perdus. Lorsque l'agent du Ministère des Affaires étrangères et de l'Immigration vous fait remarquer que vous aviez déclaré auprès du Service de Police Judiciaire que vous auriez laissé votre carte d'identité au Kosovo, vous ajoutez avoir perdu vos documents au Kosovo. Vous donnez également plusieurs dates différentes quant à votre départ du Kosovo. Ainsi, auprès du Service de Police Judiciaire vous auriez quitté le Kosovo fin mars 2004. Lors de l'audition vous dites d'abord avoir quitté le Kosovo début mars 2004, puis en mai 2003. Vous avez également déclaré avoir été battu en 2002 et avoir été hospitalisé pendant dix jours avant d'aller à …. Vous dites ensuite avoir quitté … après deux semaines, donc toujours en 2002 ou tout au plus en 2003. D'un côté vous dites avoir quitté l'école en 2002, de l'autre côté vous prétendez avoir travaillé de 2000 à 2002.

Par ailleurs, il ne résulte pas de vos allégations, qui ne sont d'ailleurs corroborées par aucun élément de preuve tangible, que vous risquiez ou risquez d'être persécuté dans votre pays d'origine pour un des motifs énumérés par l'article 1er, A, §2 de la Convention de Genève. Des personnes masquées sur lesquelles vous ne pouvez donner aucune précision ne sauraient être considérées comme agents de persécution au sens de la prédite Convention. Il n'est également pas établi que les forces onusiennes seraient dans l'incapacité de vous fournir une protection quelconque. Vous dites que la KFOR n'aurait pas retrouvé ces personnes.

De même, la simple appartenance à un parti politique ne saurait suffire pour bénéficier de la reconnaissance du statut de réfugié dès lors que non seulement vous n'exerciez aucune activité politique au sein du LDK, mais encore que le LDK est actuellement le parti politique au pouvoir au Kosovo et vainqueur des élections législatives du 23 octobre 2004, de sorte qu'une crainte liée à l'appartenance à ce parti n'a pas lieu d'être. Notons également que vous n'êtes pas en mesure de prouver votre adhésion au LDK.

Vos motifs traduisent plutôt un sentiment général d'insécurité qu'une crainte de persécution. Or, un sentiment général d'insécurité ne constitue pas une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Il faut également souligner qu'une force armée internationale, agissant sous l'égide des Nations Unies, est installée au Kosovo pour assurer la coexistence pacifique entre les différentes communautés et une administration civile, placée sous l'autorité des Nations Unies, a été mise en place. Les élections municipales du 28 octobre 2000 se sont conclues avec la victoire des partis modérés et une défaite des partis extrémistes. Après les violences généralisées de mars 2004, « la situation en matière de sécurité est restée, dans l'ensemble, calme et stable» a indiqué Hédi Annabi, sous-secrétaire général aux opérations de maintien de la paix de l'ONU le 5 août 2004.

Le Kosovo doit également être considéré comme territoire où il n'existe pas en règle générale des risques de persécutions pour les albanais.

Par conséquent vous n'alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d'opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l'appartenance à un groupe social n'est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l'article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d'une procédure relative à l'examen d'une demande d'asile ; 2) d'un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève.

La présente décision est susceptible d'un recours en réformation devant le Tribunal administratif. Ce recours doit être introduit par requête signée d'un avocat à la Cour dans un délai d'un mois à partir de la notification de la présente (…) ».

Suite à un recours gracieux formulé par lettre du 7 décembre 2004 à l’encontre de cette décision ministérielle, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration prit une décision confirmative le 16 décembre 2004.

Le 17 janvier 2005, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation contre les décisions ministérielles précitées.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, de sorte que le recours en réformation, introduit par ailleurs dans les formes et délai de la loi, est recevable.

Quant au fond, le demandeur critique les décisions ministérielles déférées en ce qu’elles reposeraient sur une appréciation erronée des faits d’espèce. Il fait exposer à ce sujet qu’il aurait fait l’objet de persécutions au Kosovo du fait de son activisme politique au sein du parti LDK, persécutions qui auraient entraîné en 2002 son hospitalisation pendant 10 jours.

En substance, il reproche au ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration d’avoir fait une mauvaise application de la Convention de Genève et d’avoir méconnu la réalité et la gravité des motifs de crainte de persécution qu’il a mis en avant pour justifier la reconnaissance du statut de réfugié.

Le délégué du Gouvernement estime pour sa part que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur, de sorte que celui-ci serait à débouter de son recours.

Il relève notamment que le demandeur resterait « en défaut d’établir une crainte de persécution eu égard notamment aux contradictions et mensonges qui entachent sérieusement son récit ».

Il y a lieu de relever liminairement que les décisions ministérielles litigieuses, outre d’être motivées quant au fond par la considération que les motifs de persécution invoqués par le demandeur ne sauraient pas, de par leur nature, être utilement retenus pour justifier une demande en obtention du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève, sont d’abord basés sur le constat d’un défaut de crédibilité et de cohérence au niveau du récit présenté par le demandeur à l’appui de sa demande, le ministre, dans sa décision initiale du 4 novembre 2004, ayant fait état à cet égard de toute une série d’incohérences et d’éléments mettant en doute la crédibilité des déclarations du demandeur.

Le ministre a ainsi notamment relevé de nombreuses contradictions dans le récit du demandeur en ce qui concerne la perte alléguée de sa carte d’identité, la date de son départ du Kosovo ainsi que de diverses autres dates relatives à des faits marquants prétendument vécus au Kosovo.

Le ministre, et avant lui l’agent ayant procédé à l’audition du demandeur, a encore émis des doutes quant à l’appartenance du demandeur au parti politique LDK, le demandeur ayant affirmé, au cours de son audition, avoir été l’un des militants les plus actifs de ce parti et avoir occasionnellement fait parti du service d’ordre de ce mouvement politique, et ce dès l’âge de 13 ans. Le tribunal relève à ce sujet que si le demandeur a affirmé au cours de son audition que sa carte de membre du parti LDK devait lui parvenir « à tout instant », une telle pièce, pourtant cruciale, n’a été communiquée ni au ministre dans le cadre du recours gracieux, ni au tribunal dans le cadre de la procédure contentieuse Enfin, le ministre souligne que l’éventualité de persécutions du fait de l’appartenance du demandeur au parti LDK ne serait guère crédible, ce parti étant actuellement au pouvoir.

Or, concernant les motifs de refus ci-avant évoqués basés sur l’invraisemblance et l’incohérence du récit présenté par le demandeur, force est de constater que le demandeur n’a pas fourni le moindre élément tangible, voire une quelconque explication susceptible d’élucider sa situation au regard des interrogations pourtant clairement posées, de sorte que le tribunal, confronté à un dossier non autrement instruit sur ces points, ne peut que constater que lesdits motifs de refus n’ont pas été utilement combattus, le demandeur n’ayant tout simplement pas pris position y relativement, mais s’étant contenté, outre de contester l’appréciation faite par le ministre, de renvoyer à ses déclarations telles que actées par les services du ministère, de manière à ne pas avoir mis le tribunal en mesure d’engager utilement un quelconque débat afférent.

En effet, si le tribunal est certes investi du pouvoir de statuer en tant que juge du fond en la présente matière, il n’en demeure pas moins que saisi d’un recours contentieux portant contre un acte déterminé, l’examen auquel il doit se livrer ne peut s’effectuer que dans le cadre des moyens invoqués par le demandeur pour contrer les motifs de refus spécifiques à l’acte déféré, mais que son rôle ne consiste pas à procéder, indépendamment des motifs de refus ministériels, à un réexamen général et global de la situation des requérants. Il ne suffit dès lors pas de contester la conclusion d’une décision administrative donnée, en renvoyant en substance le juge administratif au contenu du dossier administratif, mais il appartient au requérant d’établir que la décision critiquée est non fondée ou illégale pour l’un des motifs énumérés à l’article 2, alinéa 1er de la loi du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif tant en ce qui concerne sa conclusion que sa motivation.

Il se dégage dès lors de l’ensemble des considérations qui précèdent qu’en l’état actuel du dossier, le tribunal ne saurait utilement mettre en cause ni la légalité ni le bien-fondé des décisions litigieuses dans la mesure où celles-ci sont motivées par un défaut de crédibilité et de cohérence au niveau du récit présenté par le demandeur.

Il s’ensuit que le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en la forme, au fond, déclare le recours non justifié et en déboute, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 2 mai 2005 par :

Mme Lenert, premier juge, Mme Thomé, juge, M. Sünnen, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Lenert 6


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 19179
Date de la décision : 02/05/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-05-02;19179 ?

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