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02/05/2005 | LUXEMBOURG | N°19164

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 02 mai 2005, 19164


Tribunal administratif N° 19164 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 13 janvier 2005 Audience publique du 2 mai 2005

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Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19164 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 13 janvier 2005 par Maître Adrian SEDLO, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats

à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Benghera (Algérie), de nationalité algérienne, demeurant a...

Tribunal administratif N° 19164 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 13 janvier 2005 Audience publique du 2 mai 2005

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Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19164 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 13 janvier 2005 par Maître Adrian SEDLO, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Benghera (Algérie), de nationalité algérienne, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration intervenue le 17 septembre 2004, notifiée le 14 décembre 2004, rejetant sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 16 mars 2005 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport et Madame le délégué du gouvernement Jacqueline JACQUES en sa plaidoirie.

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En date du 11 février 2004, Monsieur … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Monsieur … fut entendu le 20 février 2004 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 17 septembre 2004, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration l’informa que sa demande d’asile avait été refusée. Cette décision est libellée comme suit :

« En mains le rapport d’audition de l’agent du ministère de la Justice daté du 20 février 2004.

Vous auriez quitté l’Algérie le 7 janvier 2004 en prenant place dans un bateau en partance pour Marseille. A l’arrivée du bateau, vous seriez allé en Belgique avec l’intention d’y déposer une demande d’asile. A Bruxelles, on vous aurait conseillé d’aller plutôt au Luxembourg.

Vous avez déposé votre demande en obtention du statut de réfugié le 11 février 2004.

Vous n’auriez pas fait votre service militaire, l’armée ne présentant aucun intérêt à vos yeux, mais vous disposeriez d’un livret militaire falsifié ce qui vous aurait suffi pour ne pas avoir d’ennui.

Jusqu’en 2000, vous auriez travaillé dans la pâtisserie familiale. Un barbu serait passé régulièrement pour vous racketter. Votre frère en aurait eu assez et il vous aurait convaincu d’aller porter plainte. Suite à cela, vous auriez eu la paix pendant trois jours mais votre frère aurait été tué le quatrième jour. Une enquête aurait été menée, mais de façon bâclée, d’après vous. Vous auriez cependant été régulièrement convoqué à la gendarmerie.

Finalement, vous auriez pris peur et vous seriez parti vivre à Oran. Vous précisez que vous n’auriez jamais été ni menacé ni agressé. Vous n’auriez pas eu de problème à Oran où vous auriez trouvé du travail dans une boulangerie. Mais, votre mère étant décédée en janvier 2004, vous n’auriez plus d’attaches en Algérie.

Il y a d’abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Je vous rends attentif au fait que, pour invoquer l’article 1er A,2 de la Convention de Genève, il faut une crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays.

Je relève que vous vous plaignez du peu de soin que la police aurait accordé à l’enquête sur la mort de votre frère, mais que vous avez, cependant, été régulièrement convoqué pour interrogatoire. Ceci prouve que les autorités poursuivaient leurs investigations. Je note aussi que vous n’aviez aucun problème à Oran et que vous y aviez trouvé du travail. Le fait d’avoir perdu votre mère et de n’avoir plus d’attache avec l’Algérie n’entre pas dans le cadre de la Convention de Genève.

Il résulte de ce qui précède que votre demande en obtention du statut de réfugié est refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Le 13 janvier 2005, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision prévisée du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration.

Le recours en réformation est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Quant au fond, le demandeur reproche en substance au ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration d’avoir commis une erreur d’appréciation et une mauvaise application de la loi en refusant sa demande d’asile. Dans ce contexte, il décrit, d’une manière générale, la situation régnant en Algérie qu’il estime « pour le moins catastrophique pour la population » en raison des dangers émanant des groupements armés, notamment islamistes, qui seraient « capables de frapper toute personne à tout moment et à n’importe quel endroit du pays sans que les autorités puissent réagir efficacement » et il soutient remplir les conditions pour être admis au statut de réfugié, au motif qu’en 2000, son frère aurait été tué par des groupes islamistes qui avaient racketté la pâtisserie familiale et alors qu’ils auraient déposé une plainte du chef de ce racket. Il ajoute que s’il se serait réfugié « temporairement » à Oran, il estimerait sa vie en danger sur l’entièreté du territoire algérien, de sorte que suite au décès de sa mère, sa dernière attache en Algérie, il aurait décidé de partir à l’étranger. Il insiste encore que les autorités chargées d’assurer la sécurité publique ne seraient pas en mesure de lui assurer une protection efficace.

Le délégué du gouvernement estime pour sa part que le ministre compétent a fait une saine appréciation de la situation du demandeur, de sorte que celui-ci serait à débouter de son recours.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition, ensemble les moyens et arguments apportés au cours de la procédure contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, une crainte de persécution doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, le demandeur d’asile risque de subir des persécutions et force est de constater que l’existence de pareils éléments ne se dégage pas des éléments d’appréciation soumis au tribunal, alors que le récit du demandeur traduit essentiellement un sentiment général d’insécurité, sans qu’il n’ait fait état d’une persécution personnelle vécue ou d’une crainte qui serait telle que la vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine.

Pour arriver à cette conclusion, le tribunal a notamment pris en considération le fait que le meurtre allégué du frère du demandeur remonte à l’année 2000 et que le demandeur a expressément reconnu avoir pu trouver refuge dans la ville d’Oran, où il a pu s’établir et travailler depuis lors sans rencontrer le moindre problème. Or, comme la Convention de Genève vise le pays d’origine ou de nationalité du demandeur d’asile sans restriction territoriale, le défaut d’établir les raisons suffisantes pour lesquelles un demandeur d’asile ne serait pas en mesure de s’installer dans une autre région de son pays d’origine et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne doit être pris en compte pour refuser la reconnaissance du statut de réfugié (cf. trib. adm. 10 janvier 2001, n° 12240 du rôle, Pas. adm. 2004, V° Etrangers, n° 48 et autres références y citées).

S’y ajoute que le racket et le prétendu meurtre de son frère, que le demandeur entend imputer à des islamistes, relève d’une criminalité de droit commun et les racketteurs - fussent-

ils des islamistes – ne sauraient être assimilés à des agents de persécution au sens de la Convention de Genève leur action n’étant pas empreinte d’une connotation politique ou religieuse, étant relevé que le meurtre, d’après les propres déclarations du demandeur, serait à considérer comme un acte de vengeance, suite au refus de la famille du demandeur de se laisser faire et d’avoir fait appel à la police. Par ailleurs, il se dégage du dossier que la police n’a pas refusé de venir en aide, mais a entamé et semble même toujours poursuivre une enquête pour déterminer les auteurs des racket et meurtre, de sorte que le demandeur reste en défaut d’établir une situation particulièrement exposée, un refus de protection des autorités de son pays d’origine ou une l’impossibilité de leur part de lui fournir une protection d’une efficacité suffisante, étant relevé que la notion de protection des habitants d’un pays contre des agissements de groupes de la population n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission matérielle d’un acte criminel et qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers uniquement en cas de défaut de protection dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Campill, vice-président, M. Schroeder, premier juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 2 mai 2005 par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Campill 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 19164
Date de la décision : 02/05/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-05-02;19164 ?

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