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02/05/2005 | LUXEMBOURG | N°19080

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 02 mai 2005, 19080


Tribunal administratif N° 19080 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 24 décembre 2004 Audience publique du 2 mai 2005

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Recours formé par Madame …, … contre une décision du ministre de la Justice et une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière d’autorisation de séjour

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19080 du rôle et déposée le 24 décembre 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Rachel JAZBINSEK, avocat

à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le 1er mai 193...

Tribunal administratif N° 19080 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 24 décembre 2004 Audience publique du 2 mai 2005

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Recours formé par Madame …, … contre une décision du ministre de la Justice et une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière d’autorisation de séjour

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19080 du rôle et déposée le 24 décembre 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Rachel JAZBINSEK, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le 1er mai 1938, de nationalité serbo-monténégrine, demeurant à L-…, tendant à la réformation sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 13 novembre 2003, par laquelle la délivrance d’une autorisation de séjour lui a été refusée, et à l’encontre de la décision confirmative du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 1er décembre 2004 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 29 mars 2005 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 11 avril 2005 par Maître Rachel JAZBINSEK en nom et pour compte de la demanderesse ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Rachel JAZBINSEK et Madame le délégué du gouvernement Jacqueline JACQUES en leurs plaidoiries respectives.

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En date du 26 juillet 2002, Madame R. introduisit auprès du ministère de la Justice une demande en obtention d’une autorisation de séjour en faveur de sa mère, Madame ….

Le ministre de la Justice, par courrier du 13 janvier 2003, sollicita de la part de Madame R., avant tout autre progrès en cause, la production d’un certain nombre de pièces, dont notamment la preuve que sa mère « n’a pas d’autres personnes à sa charge et qu’elle n’a pas d’autres parents dans son pays d’origine qui pourraient la prendre en charge ».

Par décision du 13 novembre 2003, le ministre de la Justice refusa d’octroyer l’autorisation de séjour sollicitée aux motifs que l’intéressée n’aurait pas rapporté la preuve qu’elle n’a pas d’autres enfants ou personnes à sa charge et qu’elle n’a pas d’autres parents dans son pays d’origine qui pourraient la prendre en charge et que Madame … ne disposerait pas « de moyens d’existence personnels conformément à l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant l’entrée et le séjour des étrangers qui dispose que la délivrance d’une autorisation de séjour est en effet subordonnée à la possession de moyens d’existence suffisants permettant à l’étranger d’assurer son séjour au Grand-Duché indépendamment de l’aide matérielle ou des secours financiers que de tierces personnes pourraient s’engager à lui faire parvenir ».

Suite à un courrier de Madame R. du 21 juillet 2004 visant la décision de refus précitée du 13 novembre 2003, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, par décision du 1er décembre 2004, confirma « le contenu de mon courrier du 13 novembre 2003 à défaut d’éléments pertinents nouveaux ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 24 décembre 2004, Madame … a fait introduire un recours tendant à la réformation sinon à l’annulation des décisions ministérielles précitées des 13 novembre 2003 et 1er décembre 2004.

Si le juge administratif est saisi d’un recours en réformation dans une matière dans laquelle la loi ne prévoit pas un tel recours, il doit se déclarer incompétent pour connaître du recours (cf. trib. adm. 28 mai 1997, Pas. adm. 2004, V° Recours en réformation, n° 5 et autres références y citées).

Aucune disposition légale ne conférant compétence à la juridiction administrative pour statuer comme juge du fond en la présente matière, le tribunal est incompétent pour connaître de la demande principale en réformation des décisions critiquées.

Le recours subsidiaire en annulation, non autrement contesté, étant relevé que la date de notification de la décision initiale du 13 novembre 2003 et partant le point de départ du délai de recours contentieux sont restés incertains, est partant recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Dans son mémoire en réplique, la demanderesse soutient que le mémoire en réponse déposé le 29 mars 2005 par le délégué du gouvernement l’a été tardivement.

L’article 5 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, prévoit en ses paragraphes (1) et (6) :

« (1) Sans préjudice de la faculté, pour l’Etat, de se faire représenter par un délégué, le défendeur et le tiers intéressé sont tenus de constituer avocat et de fournir leur réponse dans le délai de trois mois à dater de la signification de la requête introductive.

(6) Les délais prévus au paragraphe (1) et (5) sont prévus à peine de forclusion. Il ne sont pas susceptibles d’augmentation en raison de la distance. Ils sont suspendus entre le 16 juillet et le 15 septembre ».

Il convient encore de relever qu’aucune prorogation de délai n’a été demandée au président du tribunal administratif conformément à l’article 5 (7) de la loi du 21 juin 1999, précitée, ni, par la force des choses, accordée par ce dernier.

Il se dégage de l’article 5 de la loi précitée du 21 juin 1999 que la question du dépôt des mémoires dans les délais prévus par la loi touche à l’organisation juridictionnelle, étant donné que le législateur a prévu les délais émargés sous peine de forclusion.

Dans la mesure où, d’une part, la requête introductive de la demanderesse a été déposée au greffe du tribunal en date du 24 décembre 2004 et que ce dépôt a été porté à la connaissance du délégué du gouvernement par la voie du greffe le même jour, le dépôt du mémoire en réponse de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg aurait dû intervenir pour le 24 mars 2005 au plus tard. Or, il convient de constater que le dépôt du mémoire en réponse n’est intervenu qu’en date du 29 mars 2005, donc en dehors du prédit délai.

Par conséquent, à défaut d’avoir été déposé dans le délai de trois mois légalement prévu à peine de forclusion, le tribunal est dans l’obligation d’écarter le mémoire en réponse des débats.

Le même sort frappe le mémoire en réplique de la demanderesse, déposé en date du 11 avril 2005, qui ne constitue qu’une réponse au mémoire en réponse écarté.

A l’appui de son recours, Madame … conclut à l’annulation des décisions déférées pour excès et détournement de pouvoir et violation de la loi. Elle soutient que lesdites décisions violeraient l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, au motif que le droit au regroupement familial n’aurait pas été reconnu en sa faveur. Dans ce contexte, elle relève qu’elle n’aurait plus de famille, ni proche, ni éloignée au Kosovo et que ses deux filles séjourneraient au Luxembourg. Pour le surplus, elle aurait été opérée d’une tumeur au cerveau et son état de santé, malgré le fait qu’il se serait stabilisé, nécessiterait toujours un suivi médical au Luxembourg. Finalement, concernant le motif de refus tiré de l’absence de moyens d’existence personnels, la demanderesse fait valoir qu’elle ne pourrait s’adonner à un emploi rémunéré au vu de son âge de 66 ans et que sa fille R. aurait signé une déclaration de prise en charge en sa faveur, démarche qui aurait d’ailleurs été acceptée dans son cas précis par le ministre de la Justice dans son courrier du 13 janvier 2003 comme preuve de moyens d’existence personnels.

L’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme dispose que :

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ».

S’il est de principe, en droit international, que les Etats ont le pouvoir souverain de contrôler l’entrée, le séjour et l’éloignement des étrangers, il n’en reste pas moins que les Etats qui ont ratifié la Convention européenne des droits de l’homme ont accepté de limiter le libre exercice de cette prérogative dans la mesure des dispositions de la Convention.

Il y a dès lors lieu d’examiner en l’espèce si la vie privée et familiale dont fait état la demanderesse pour conclure dans son chef à l’existence d’un droit à la protection d’une vie familiale par le biais de disposition de l’article 8 précité de la Convention européenne des droits de l’homme, rentre effectivement dans les prévisions de la disposition de droit international qui est de nature à tenir en échec la législation nationale.

Il ressort des pièces produites en cause et des informations fournies par la demanderesse, que cette dernière est née le 1er mai 1938, que son mari est décédé, que ces deux filles habitent légalement au Luxembourg et qu’elle n’a plus d’autre famille au Kosovo, et qu’elle habite depuis le 18 mai 2000 au Luxembourg auprès de sa fille R..

S’il est vrai qu’un parent veuf, dont l’âge ne lui permet plus de s’adonner à un travail rémunéré lui permettant de subvenir à ses propres besoins, a le droit d’être pris en charge et le cas échéant d’habiter auprès de l’un de ses descendants, sur base notamment de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, il n’en demeure pas moins que ce droit ne lui permet de s’installer auprès de l’un de ses descendants résidant dans un autre Etat que celui dont il est originaire qu’à partir du moment où, dans son pays d’origine, il n’existe aucun descendant ou proche parent qui soit en mesure de prendre en charge ledit parent en lui fournissant notamment un logement approprié.

Sur base de l’attestation délivrée par le tribunal de Pec en date du 9 juillet 2004 - non autrement contestée quant à son authenticité - il échet de constater que Madame … ne peut pas exercer son droit à une vie privée et familiale, telle que réglementée par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, dans son pays d’origine.

Il s’ensuit qu’elle a valablement pu faire valoir son droit au regroupement familial avec l’une de ses filles établie au Luxembourg, à savoir Madame R., afin d’exercer au Luxembourg son droit à une vie privée et familiale, étant donné qu’il existe dans son chef un obstacle majeur rendant impossible le retour dans son pays d’origine.

Dans ces conditions, le refus opposé à Madame … de lui délivrer une autorisation de séjour sur base de son droit au regroupement familial avec ses enfants résidant au Luxembourg constitue, au vu des circonstances de l’espèce, une ingérence illégale dans son droit au respect de sa vie privée et familiale, qui ne saurait par ailleurs être justifiée par l’une des hypothèses visées au paragraphe 2 de l’article 8 précité.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent qu’en refusant de faire droit à la demande en obtention d’une autorisation de séjour au Grand-Duché de Luxembourg en faveur de Madame …, les ministres compétents ont méconnu l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme en commettant une erreur manifeste d’appréciation des faits, de sorte qu’il y a lieu d’annuler les décisions ministérielles des 13 novembre 2003 et 1er décembre 2004.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

se déclare incompétent pour connaître du recours principal en réformation ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, le déclare justifié, partant annule les décisions ministérielles des 13 novembre 2003 et 1er décembre 2004 refusant de faire droit à la demande en obtention d’une autorisation de séjour en faveur de Madame … ;

renvoie le dossier en prosécution de cause devant le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration ;

condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Campill, vice-président, M. Schroeder, premier juge M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 2 mai 2005 par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Campill 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 19080
Date de la décision : 02/05/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-05-02;19080 ?

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