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02/05/2005 | LUXEMBOURG | N°18860

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 02 mai 2005, 18860


Numéro 18860 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 15 novembre 2004 Audience publique du 2 mai 2005 Recours formé par les époux …, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 18860 du rôle, déposée le 15 novembre 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, a

vocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur...

Numéro 18860 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 15 novembre 2004 Audience publique du 2 mai 2005 Recours formé par les époux …, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 18860 du rôle, déposée le 15 novembre 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Gniljane (Kosovo, Etat de Serbie-et-Monténégro), et de son épouse, Madame …, née le … à Pasjane (Kosovo/etat de Serbie-Monténégro), agissant tant en leur nom propre qu’en nom de leur enfant mineur … …, tous de nationalité serbo-monténégrine, demeurant ensemble à L-

1460 Luxembourg, 28, rue d’Eich, tendant à la réformation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 18 août 2004 portant rejet de leur demande d’asile comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 11 octobre 2004 prise sur recours gracieux;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 21 décembre 2004;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH et Monsieur le délégué du gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 21 février 2005.

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Le 17 octobre 2003, Madame …, agissant tant en son nom propre qu’en nom de son enfant mineur … …, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ». En date du 29 décembre 2003, son époux, Monsieur … introduisit une demande tendant aux mêmes fins.

Madame … fut entendue en date du 12 janvier 2004 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile, tandis que l’audition correspondante de Monsieur … eut lieu en date du 12 février 2004.

Le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, ci-après désigné par le « ministre », les informa par décision du 18 août 2004, leur notifiée par courrier recommandé du 1er septembre 2004, que leur demande avait été rejetée aux motifs énoncés comme suit :

« En mains les rapports du Service de Police Judiciaire des 17 octobre et 29 décembre 2003 et les rapports d’audition de l’agent du Ministère de la Justice des 12 janvier et 12 février 2004.

Monsieur, il résulte de vos déclarations que vous auriez quitté votre pays le 24 décembre 2003 pour aller en voiture, jusqu’au Luxembourg. Vous ne pouvez donner aucune précision quant au trajet emprunté.

Vous avez déposé votre demande en obtention du statut de réfugié le 29 décembre 2003.

Madame, vous auriez quitté le Kosovo le 16 octobre 2003 avec votre fils à bord de la voiture d’un passeur. Vous seriez arrivée au Luxembourg le 17 octobre 2003, date à laquelle vous avez déposé votre demande d’asile.

Monsieur, depuis le 15 février 1999, vous auriez été policier à Gniljane pour escorter des personnalités et les médias. Pendant le conflit du Kosovo, vous auriez été affecté comme garde à la résidence de RUGOVA. Dès le déploiement des troupes de la KFOR, vous auriez séjournée près de Belgrade. Des soldats de l’UCK auraient tué votre voisin ainsi que son fils, qui était policier, et ses frères. Un de vos fils serait décédé de mort naturelle mais vous auriez eu peur de vous rendre sur sa tombe à cause des membres de l’UCK. Vous n’auriez cependant pas fait l’objet de persécutions personnelles. Vous dites craindre toujours les Albanais.

Vous Madame, vous confirez les dires de votre mari. Vous ajoutez que vous ne seriez pas en sécurité au Kosovo. Vous ajoutez que votre fils et trois autres enfants auraient été tués alors qu’ils se baignaient dans une rivière.

Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécutions au sens de la Convention de Genève.

Je vous rends d’abord attentifs au fait que l’appartenance à une minorité ethnique est insuffisante pour entraîner d’office l’application de la Convention de Genève.

Je remarque aussi que vos récits concernant la mort de votre fils divergent fondamentalement puisque, pour vous Monsieur, il serait décédé de mort naturelle, alors que selon vous, Madame, il aurait été assassiné. S’il est vrai qu’il y a eu des rumeurs concernant l’assassinat de quatre enfants près d’une rivière, cet événement, par ailleurs démenti depuis, était censé s’être produit à Mitrovica et non à Gniljane. D’après les renseignements en notre possession, un enfant serait noyé accidentellement dans une piscine de Gniljane en août 2003, mais il ne s’agirait pas de votre fils.

En ce qui concerne la municipalité de Gniljane, elle a la particularité d’être multi-ethnique.

Serbes et Albanais s’y côtoient sans problème. La langue serbo-croate y est parlée parallèlement à la langue albanaise. Quant à la situation au Kosovo, notons que depuis mars 2004, un groupe de travail poursuit un fructueux dialogue Pristina/Belgrade, ce qui est un élément essentiel de la normalisation de cette région. La situation des minorités est devenue plus stable. Il ressort du rapport du UNHCR de janvier 2003, confirmé en 2004, sur la situation des minorités au Kosovo qu’en règle générale, celles-ci ne doivent plus craindre des attaques directes contre leur sécurité.

Je constate que les faits que vous invoquez, en les supposant véridiques, traduisent davantage un sentiment général d’insécurité qu’une réelle crainte de persécution. Des Albanais, ou des membres de l’UCK, non autrement précisés ne sauraient être assimilés à des agents de persécutions au sens de la Convention de Genève.

Je dois donc constater qu’aucune de vos assertions ne saurait fonder une crainte de persécutions entrant dans le cadre de l’article 1er A, 2 de la Convention de Genève, c’est-à-dire une crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politique, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays.

Par conséquent, vos demandes en obtention du statut de réfugié sont refusées comme non fondées au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Le recours gracieux formé par courrier de leur mandataire daté au 4 octobre 2004 ayant été rencontré par une décision confirmative du ministre du 11 octobre 2004, les époux … ont fait introduire un recours en réformation à l’encontre des décisions ministérielles initiale du 18 août 2004 et confirmative du 11 octobre 2004 par requête déposée le 15 novembre 2004.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit, lequel est également recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de leur recours, les demandeurs, originaires du Kosovo et faisant partie de la minorité serbe, reprochent au ministre une appréciation erronée des faits et de ne pas en avoir tiré les conséquences qui se seraient imposées. Ils exposent que du fait de leur appartenance à la minorité serbe au Kosovo, dont la présence serait très difficilement acceptée par la majorité albanaise, ils seraient exposés à un risque substantiel d’actes de persécution de la part d’éléments de la population albanaise. Ils font également valoir que Monsieur … aurait exercé sous le régime serbe la fonction de policier d’abord à Gniljane et ensuite à Pristina avec la mission de protéger des personnalités et que ce fait l’exposerait plus particulièrement à des actes de persécution de la part d’unités para-militaires telle l’ANA qui « procèdent à l’élimination des policiers serbes et des personnes ayant travaillé avec l’ancien régime ». Les demandeurs ajoutent que d’autres anciens policiers serbes ayant habité dans leur région d’origine et des membres de leurs familles, dont notamment un voisin direct, ses deux frères et finalement son père, auraient déjà été assassinés par des adeptes de l’UCK et que Monsieur … serait également recherché au Kosovo par ces mêmes personnes du fait de son activité de policier sous le régime serbe, ainsi qu’en témoignerait notamment le fait qu’une personne ayant les mêmes nom et prénom que Monsieur … aurait été arrêtée par des membres du mouvement TMK alors qu’ils auraient pensé qu’il s’agissait de lui. Les demandeurs arguent encore qu’en présence de leur situation particulière, de l’attitude hostile de la population albanaise et de la situation générale des minorités au Kosovo, ils ne pourraient pas bénéficier d’une protection adéquate de la part des autorités actuellement en place.

Le délégué du gouvernement rétorque que la simple appartenance à une minorité ethnique ne saurait justifier la reconnaissance du statut de réfugié, que les membres de l’UCK ne pourraient être considérés comme agents de persécution au sens de la Convention de Genève et qu’une persécution de groupes de la population ne serait reconnue comme motif d’octroi dudit statut qu’au cas où la personne en cause ne bénéficie pas de la protection des autorités de son pays d’origine, preuve que les demandeurs resteraient en défaut d’apporter concernant les forces onusiennes présentes au Kosovo. Le représentant étatique relève également que les demandeurs n’établiraient pas des motifs valables qui les empêcheraient de s’installer dans une autre région du Kosovo et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne. Il renvoie finalement aux changements politiques intervenus depuis 2000.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2004, v° Recours en réformation, n° 12).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les demandeurs lors de leurs auditions respectives en dates des 12 janvier et 12 février 2004, telles que celles-ci ont été relatées dans les compte-rendus figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeur font état et établissent à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de sa religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, s’il est vrai que la situation générale des membres de la minorité serbe au Kosovo n’est pas telle que tout membre de la minorité ethnique visée serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève, il n’en reste pas moins que les demandeurs font état d’éléments suffisants desquels il se dégage que, considérés individuellement et concrètement, ils risquent de subir des persécutions.

Ainsi, les demandeurs se trouvent dans une situation particulièrement exposée du fait de l’activité de Monsieur … en tant que policier affecté à la protection de certaines personnes ayant appartenu au régime serbe. S’y ajoute qu’ils font état de cas concrets dans leur voisinage de policiers serbes ayant succombé à des attaques de groupes albanais. Dans ces conditions, au-delà de la capacité en général des autorités en place à assurer une protection adéquate aux habitants du Kosovo, les demandeurs peuvent valablement supposer que leur situation spécifique et le danger pour leur vie en résultant sont de nature à infirmer l’existence d’une sécurité adéquate dans leur chef. Pour les mêmes raisons, les demandeurs peuvent légitimement estimer qu’une fuite interne n’est pas de nature à éliminer le risque de persécution auquel ils se trouvent exposés.

Il résulte des développements qui précèdent que les demandeurs établissent un risque de persécution au sens de la Convention de Genève dans leur pays de provenance, de manière que le recours sous analyse est fondé et que les décisions ministérielles entreprises encourent la réformation.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare justifié, partant, par réformation des décisions ministérielles entreprises des 18 août et 11 octobre 2004, dit que les demandeurs bénéficient du statut de réfugié, renvoie l’affaire devant le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration pour exécution, condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé par:

M. CAMPILL, vice-président, M. SCHROEDER, premier juge, M. SPIELMANN, juge, et lu à l’audience publique du 2 mai 2005 par le vice-président en présence de M.

LEGILLE, greffier.

LEGILLE CAMPILL 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 18860
Date de la décision : 02/05/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-05-02;18860 ?

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