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27/04/2005 | LUXEMBOURG | N°19675

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 27 avril 2005, 19675


Numéro 19675 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 18 avril 2005 Audience publique du 27 avril 2005 Recours formé par Monsieur …, Schrassig contre un arrêté du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de rétention administrative

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 19675 du rôle, déposée le 18 avril 2005 au greffe du tribunal administratif par Maître Eliane SCHAEFFER, avo

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Numéro 19675 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 18 avril 2005 Audience publique du 27 avril 2005 Recours formé par Monsieur …, Schrassig contre un arrêté du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de rétention administrative

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 19675 du rôle, déposée le 18 avril 2005 au greffe du tribunal administratif par Maître Eliane SCHAEFFER, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Pita (Guinée), de nationalité guinéenne, actuellement placé au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’un arrêté du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 17 mars 2005 lui refusant l’entrée et le séjour au pays, ainsi que d’un arrêté dudit ministre du même jour prononçant à son encontre une mesure de placement au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière pour une durée maximale d’un mois à partir de la notification;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 20 avril 2005;

Vu les pièces versées en cause et notamment les arrêtés critiqués;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Céline HENRY, en remplacement de Maître Eliane SCHAEFFER, et Madame le délégué du gouvernement Jacqueline JACQUES en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 25 avril 2005.

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Etant arrivé au Luxembourg le 23 septembre 2003, Monsieur …, préqualifié, présenta le même jour une demande en reconnaissance du statut de réfugié, laquelle fut rejetée comme n’étant pas fondée par décision du ministre de la Justice du 26 avril 2004, confirmée suite à l’introduction d’un recours contentieux par Monsieur … par jugement non appelé du tribunal administratif du 15 novembre 2004.

S’étant trouvé en détention préventive, Monsieur … bénéficia d’une ordonnance de mise en liberté à partir du 17 mars 2005.

En date du 17 mars 2005, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, ci-

après désigné par le « ministre », prit à l’encontre de Monsieur … un arrêté de refus d’entrée et de séjour fondé sur les motifs suivants :

« Attendu que l’intéressé - est dépourvu d’un titre de voyage valable ;

- ne dispose pas de moyens d’existence personnels ;

- se trouve en séjour irrégulier au pays ;

- constitue un danger pour l’ordre et la sécurité publics ».

En date encore du 17 mars 2005, le ministre prit à l’encontre de Monsieur … un arrêté ordonnant son placement au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig pour une durée maximum d’un mois à partir de la notification de la décision en question, en attendant son éloignement du territoire luxembourgeois. La décision de placement est fondée sur les considérations et motifs suivants :

« Vu mon arrêté de refus d’entrée et de séjour du 17 mars 2005 ;

Considérant que l'intéressé est démuni de tout titre de voyage valable ;

-

qu'il ne dispose pas de moyens d'existence personnels légalement acquis ;

-

qu'il se trouve en séjour irrégulier au pays ;

-

qu’il constitue un danger pour l’ordre et la sécurité publics ;

Considérant qu’il existe un risque de fuite, alors que l’intéressé est susceptible de se soustraire à la mesure d'éloignement ».

En date du 14 avril 2005, le ministre prit un nouvel arrêté ordonnant la prorogation de la mesure de placement de Monsieur … au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière pour une nouvelle durée d’un mois à partir de la notification.

Par requête déposée le 18 avril 2005, Monsieur … a fait introduire un recours contentieux tendant à la réformation, sinon à l’annulation des deux arrêtés ministériels du 17 mars 2005 lui refusant l’entrée et le séjour et ordonnant son placement.

Quant à l’arrêté de refus d’entrée et de séjour Dans la mesure où ni la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1° l’entrée et le séjour des étrangers, 2° le contrôle médical des étrangers, 3° l’emploi de la main-d’oeuvre étrangère, ni aucune autre disposition légale n’instaure un recours au fond en matière de refus d’entrée et de séjour, le tribunal n’est pas compétent pour connaître du recours principal en réformation introduit contre cet arrêté.

Le recours subsidiaire en annulation non autrement contesté sous ce rapport est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur conclut à l’annulation de l’arrêté de refus d’entrée et de séjour déféré, en soulevant l’incompétence de l’autorité ayant pris la décision litigieuse, au motif que d’après l’article 11 de la loi précitée du 28 mars 1972, le ministre de la Justice aurait seul compétence pour prendre une décision de refus d’entrée et de séjour des étrangers au Grand-Duché de Luxembourg à l’exclusion du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration.

C’est à bon droit que le délégué du gouvernement conclut au rejet dudit moyen, étant donné que l’arrêté grand-ducal du 7 août 2004 portant constitution des Ministères, publié au Mémorial A n° 147 en date du 11 août 2004, pris en exécution de l’article 76 de la Constitution et de l’arrêté royal grand-ducal modifié du 9 juillet 1857 portant organisation du gouvernement grand-ducal, attribue compétence au ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière d’entrée et de séjour des étrangers.

En effet, l’article 76 de la Constitution autorise le Grand-Duc à régler l’organisation de son Gouvernement (…). Il résulte de ce texte que le Grand-Duc peut librement créer les ministères et faire la répartition des départements ou des affaires ministérielles entre les ministres (voir Pierre MAJERUS, L’Etat luxembourgeois, éd. 1983, page 162). En matière d’organisation du gouvernement cette disposition constitutionnelle confère au Grand-Duc un pouvoir réglementaire direct et autonome en disposant que le Grand-Duc règle l’organisation de son gouvernement. Ce pouvoir est donc indépendant de la cause d’ouverture fondamentale des règlements qui est l’exécution des lois. L’octroi de ce pouvoir autonome par la Constitution procède de l’idée de la séparation des pouvoirs : l’organe gouvernemental doit être indépendant à l’égard du Parlement; pour cette raison, il doit pouvoir déterminer en pleine indépendance son organisation intérieure. Dans le domaine circonscrit par la notion de l’« organisation du Gouvernement », le Grand-Duc exerce un pouvoir discrétionnaire et originaire; les règlements fondés sur l’article 76 de la Constitution sont donc, dans leurs domaines, des actes équipollents aux lois (voir Pierre PESCATORE, Introduction à la science du droit, éd. 1978, n° 95, page 152).

Il s’ensuit que le prédit arrêté du 7 août 2004, ayant force de loi, a modifié la législation en matière d’« entrée et de séjour des étrangers » en ce sens que la compétence ministérielle revient au ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, de sorte que le moyen tiré de l’incompétence de l’autorité à la base de l’arrêté de refus d’entrée et de séjour est à rejeter (cf. trib. adm. 25 août 2004, n° 18582 du rôle).

Le demandeur n’ayant pas fait valoir d’autres moyens à l’encontre de l’arrêté de refus d’entrée et de séjour déféré, il s’ensuit que le recours en annulation dirigé à son encontre est à rejeter comme non fondé.

Quant à l’arrêté de placement Etant donné que l’article 15, paragraphe (9) de la loi précitée du 28 mars 1972 institue un recours de pleine juridiction contre une décision de placement, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit contre l’arrêté litigieux.

S’il est vrai que le demandeur ne se trouve plus à l’heure actuelle placé par application de l’arrêté de placement litigieux qui a cessé de produire des effets et que le tribunal ne peut dès lors plus utilement faire droit à la demande en réformation dudit arrêté et en libération immédiate, le demandeur conserve un intérêt administratif à faire examiner la légalité de ce même arrêté de placement dans la mesure où il est encore actuellement retenu, ceci sur base de l’arrêté ministériel de prorogation du 14 avril 2005, lequel se fonde entre autres sur l’arrêté déféré du 17 mars 2005.

Ledit recours ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable dans la mesure des moyens de légalité invoqués.

A l’appui de son recours, le demandeur conclut à l’annulation de l’arrêté de placement déféré, en soulevant l’incompétence de l’autorité ayant pris la décision litigieuse, au motif que d’après l’article 15 de la loi précitée du 28 mars 1972, le ministre de la Justice aurait seul compétence pour prendre une décision de refus d’entrée et de séjour des étrangers au Grand-Duché de Luxembourg à l’exclusion du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration.

Il y a cependant lieu de rejeter ce moyen aux motifs ci-avant énoncés quant à la compétence du ministre pour prendre l’arrêté de refus d’entrée et de séjour critiqué.

Le demandeur fait ensuite valoir que le fait de sa situation irrégulière sur le territoire luxembourgeois ne constituerait pas une circonstance de nature à fonder une mesure de placement, au motif que la rétention administrative, en tant que restriction à son droit fondamental à la liberté et à la sûreté, serait strictement soumise à la condition d’une nécessité, concrétisée par l’exigence que l’exécution d’une mesure d’éloignement soit impossible en raison de circonstances de fait, mais que sa situation irrégulière ne serait pas de nature à établir, de ce seul fait, une quelconque nécessité.

Il se dégage de l’article 15, paragraphe (1) de la loi précitée du 28 mars 1972, que lorsque l’exécution d’une mesure d’expulsion ou de refoulement en application des articles 9 et 12 de la même loi est impossible en raison de circonstances de fait, l’étranger peut, sur décision du ministre compétent, être placé dans un établissement approprié à cet effet pour une durée d’un mois.

Il en découle qu’une décision de placement au sens de la disposition précitée présuppose une mesure d’expulsion ou de refoulement légalement prise, ainsi que l’impossibilité d’exécuter cette mesure.

Il est constant qu’en l’espèce, la mesure de placement n’est pas basée sur une décision d’expulsion. Or, en vertu de l’article 12 de la loi précitée du 28 mars 1972, une mesure de refoulement peut être prise « sans autre forme de procédure que la simple constatation du fait par un procès-verbal » à l’égard d’étrangers non autorisés à résidence (..) « 3) auxquels l’entrée dans le pays a été refusée en conformité de l’article 2 [de la loi précitée du 28 mars 1972] ».

Il s’ensuit que la situation irrégulière du demandeur, telle qu’indiquée comme motif dans l’arrêté de placement déféré du 17 mars 2005 ensemble la prise de l’arrêté critiqué de refus d’entrée et de séjour du même jour dont la légalité n’a pas été utilement énervée par le recours sous analyse, se trouve à la base de la première condition énoncée par l’article 15 de la loi prévisée du 28 mars 1972, à savoir la prise d’une mesure de refoulement valablement fondée, aux termes de l’article n° 3 de la même loi, sur un refus d’entrée et de séjour, et que cette situation irrégulière reste sans incidence sur la seconde condition légale pour la prise d’une mesure de placement, à savoir l’impossibilité d’une exécution immédiate, dont la vérification dans chaque espèce est fondée sur éléments de fait différents et dont l’existence en l’espèce n’a pas été contestée par le demandeur. Le moyen afférent du demandeur est partant à rejeter.

Le demandeur conteste encore le motif énoncé dans l’arrêté ministériel de placement quant au défaut de moyens d’existence personnels dans son chef et il relève qu’il aurait bénéficié d’une indemnité pécuniaire d’environ 106 € par mois lui fournie par le ministère de la Famille et d’un logement dans un foyer pour réfugiés.

Dans la mesure où le tribunal vient de constater que la situation irrégulière du demandeur au regard de l’arrêté critiqué de refus d’entrée et de séjour est à elle seule de nature à fonder une mesure de refoulement, la question de savoir si les moyens de subsistance invoqués par le demandeur sont à considérer comme suffisants reste sans incidence sur la validité de l’arrêté de placement déféré du 17 mars 2005 et le moyen afférent du demandeur est à écarter.

Le demandeur critique ensuite que le ministre retiendrait dans le même arrêté un danger de fuite et de soustraction à son éloignement sans pour autant justifier la réalité en l’espèce de circonstances graves, au-delà de son statut d’étranger, de nature à fonder un tel danger. Il fait valoir que sa qualité d’étranger et l’irrégularité de son séjour ne constitueraient pas des circonstances de nature à justifier un danger de fuite et qu’en présence d’une notification de l’arrêté de refus d’entrée et de séjour le même jour que l’arrêté de placement litigieux, il serait à exclure qu’il « ait pu dans ces circonstances manifester une quelconque intention de se soustraire à la mesure d’éloignement qui serait prise à son encontre ».

Force est cependant de constater que l’article 15 de la loi modifiée du 28 mars 1972 précitée ne pose aucune exigence afférente.

Il s’y ajoute que le demandeur rentre directement dans les prévisions de la définition des « retenus », telle que consacrée à l’article 2 du règlement grand-ducal du 20 septembre 2002 créant un Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière et modifiant le règlement grand-ducal du 24 mars 1989 concernant l’administration et le régime interne de l’établissement pénitentiaire, et que la mise en place d’un Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière repose précisément sur la prémisse qu’au-

delà de toute considération tenant à une dangerosité éventuelle des personnes concernées, celles-ci, eu égard au seul fait de l’irrégularité de leur séjour et de l’imminence de l’exécution d’une mesure d’éloignement dans leur chef, présentent en principe et par essence un risque de se soustraire à la mesure d’éloignement, fût-il minime, de sorte que la rétention de Monsieur … dans ledit Centre de séjour est en l’espèce justifiée dans son principe, ceci afin d’éviter que l’exécution de la mesure prévue ne soit compromise.

Il découle de l’ensemble des développements qui précèdent que, n’étant fondé en aucun de ses moyens, le recours sous analyse est à rejeter comme n’étant pas justifié.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties, se déclare incompétent pour connaître du recours principal en réformation dans la mesure où il est dirigé contre l’arrêté ministériel de refus d’entrée et de séjour du 17 mars 2005, déclare le recours principal en réformation sans objet dans la mesure où il est dirigé contre l’arrêté ministériel de placement du 17 mars 2005, reçoit le recours subsidiaire en annulation en la forme en ce qu’il est dirigé contre ces mêmes deux arrêtés ministériels, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. CAMPILL, vice-président, M. SCHROEDER, premier juge, M. SPIELMANN, juge, et lu à l’audience publique du 27 avril 2005 par le vice-président en présence de M.

LEGILLE, greffier.

LEGILLE CAMPILL 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 19675
Date de la décision : 27/04/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-04-27;19675 ?

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