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27/04/2005 | LUXEMBOURG | N°19151

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 27 avril 2005, 19151


Tribunal administratif N° 19151 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 10 janvier 2005 Audience publique du 27 avril 2005 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19151 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 10 janvier 2005 par Maître Nicky STOFFEL, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Supotnik/Zvornik (Bosni

e-Herzégovine), de nationalité bosniaque, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réform...

Tribunal administratif N° 19151 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 10 janvier 2005 Audience publique du 27 avril 2005 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19151 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 10 janvier 2005 par Maître Nicky STOFFEL, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Supotnik/Zvornik (Bosnie-Herzégovine), de nationalité bosniaque, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 15 octobre 2004, rejetant sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 17 février 2005 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 15 mars 2005 en nom et pour compte du demandeur ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Madame le délégué du gouvernement Jacqueline JACQUES en sa plaidoirie.

Le 13 février 2004, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour, il fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur leur identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Ils fut en outre entendu en date du 6 avril 2004 par un agent du ministère de la Justice sur sa situation et sur les motifs à la base de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié.

Par décision du 15 octobre 2004, envoyée par lettre recommandée le 27 octobre 2004, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration l’informa que sa demande avait été refusée. Cette décision est libellée comme suit :

« En mains le rapport du Service de Police Judiciaire daté du même jour et le rapport d’audition de l’agent du Ministère de la Justice du 6 avril 2004.

Il résulte de vos déclarations que vous auriez quitté la Bosnie le 12 février 2004 en vous cachant dans la remorque d’un camion. Vous ne pouvez donner aucune précision quant à votre trajet.

Vous avez déposé votre demande en obtention du statut de réfugié le 13 février 2004.

Vous exposez que vous n’auriez pas fait votre service militaire. Vous n’auriez été membre d’aucun parti. Votre maison, depuis la fin du conflit bosniaque, se trouverait sur le territoire de la République Srpska. Vos anciens voisins s’y trouvant encore, il vous serait impossible de vous installer. En effet, ils vous auraient menacé et battu, croyant, à tort, que votre frère était un haut gradé de l’armée. En 2000, vous seriez parti en Suède, vous y auriez demandé l’asile, il vous aurait été refusé et vous seriez retourné en Bosnie-

Herzégovine en décembre 2003. A votre retour, vos anciens voisins vous auraient de nouveau menacé. Vous ne pourriez pas non plus vivre en Fédération de Bosnie car, selon vous, les musulmans y seraient moins bien protégés que les Serbes. Finalement, vous n’auriez plus de famille dans votre pays.

Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécutions au sens de la Convention de Genève.

Je vous rends attentif au fait que, pour invoquer l’article 1er A,2 de la Convention de Genève, il faut une crainte justifiée de persécutions en raisons de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays.

Je constate que votre aller-retour entre la Suède et la Bosnie-Herzégovine est sujet à caution car il résulte des renseignements en notre possession que vous êtes inconnu en Suède.

Quoiqu’il en soit, en ce qui concerne votre récit, les faits antérieurs à 2000 sont trop anciens pour être pris en considération. Quant aux menaces de vos voisins en 2003, à les supposer établies, elles sont insuffisantes pour justifier l’obtention du statut de réfugié politique. Vos voisins ne sauraient être assimilés à des agents de persécution au sens de la Convention de Genève. Vous affirmez avoir été provoqué par la police lors du dépôt de votre plainte, mais rien n’étaye cette affirmation et vous ne donnez aucune précision quant à cet incident. Tout au plus peut-on déduire de votre récit que vous éprouvez un sentiment d’insécurité mais non une crainte fondée de persécution au sens de la Convention précitée. Quant au fait de n’avoir ni famille ni maison en Bosnie-

Herzégovine, il ne saurait, lui non plus, entrer en ligne de compte. Je note par contre que vous dites avoir vécu de l’aide de personnes de bonne volonté ou de petits travaux et il n’est donc pas exclu que des motifs économiques sous-tendent votre demande.

Par conséquent, votre demande en obtention du statut de réfugié est refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Suite à un recours gracieux formulé par le mandataire de Monsieur … suivant courrier du 1er décembre 2004 à l’encontre de la décision ministérielle précitée, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration confirma le 8 décembre 2004 sa décision initiale du 15 octobre 2004 dans son intégralité.

Le 10 janvier 2005, Monsieur … a introduit un recours en réformation, sinon en annulation à l’encontre de la décision de refus initiale du 15 octobre 2004.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître en tant que juge du fond de la demande introduite contre la décision ministérielle critiquée. Le recours subsidiaire en annulation est dès lors irrecevable.

Le recours en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

A l’appui de son recours, le demandeur fait exposer qu’il serait originaire de Bosnie-Herzégovine et plus particulièrement de la ville de Supotnik, située dans la commune de Zvornik en République Srpska, de nationalité bosniaque et de confession musulmane, qu’il aurait quitté son pays d’origine une première fois en 2000 en raison de menaces exercées sur lui par des voisins, qu’il se serait réfugié en Suède pour retourner en Bosnie-Herzégovine en décembre 2003, mais qu’à son retour, il aurait été battu et maltraité et qu’on aurait même tiré sur lui. Le demandeur explique plus particulièrement ce traitement par le fait qu’il serait un des rares survivants du massacre de Srebnica et qu’il pourrait témoigner des atrocités y commises. Finalement, Monsieur … explique avoir déposé plainte auprès des autorités locales, mais qu’il aurait encore été provoqué par lesdites autorités, ce qui démontrerait que les forces de l’ordre en place ne voudraient pas lui assurer une protection efficace.

Le délégué du gouvernement estime que le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration a fait une saine appréciation de la situation du demandeur, de sorte qu’il serait à débouter de son recours.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, il y a lieu de constater que s’il est vrai que la situation générale des membres de minorités ethniques en République Srpska, en l’espèce celle des musulmans reste difficile et qu’ils sont particulièrement exposés à subir des insultes, voire d’autres discriminations ou agressions, elle n’est cependant pas telle que tout membre d’une minorité ethnique serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève, étant entendu qu’une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considérés individuellement et concrètement, le demandeur d’asile risque de subir des persécutions.

Or, force est de constater que l’existence de pareils éléments ne se dégage pas des éléments d’appréciation soumis au tribunal. En effet, les faits personnels allégués par le demandeur, en des termes essentiellement vagues, ayant trait aux menaces et insultes proférées par des membres de la population serbe, à les supposer établies, constituent certainement des pratiques condamnables, mais en l’espèce, ne dénotent pas une gravité telle qu’ils établissent à l’heure actuelle un risque de persécution dans le chef du demandeur au point que sa vie lui serait intolérable dans son pays d’origine.

Par ailleurs, il convient de constater que ces actes, même à les supposer établis, ne s’analysent pas en une persécution émanant de l’Etat, mais de personnes privées et ne sauraient dès lors être reconnus comme motif d’octroi du statut de réfugié que si les personnes en cause ne bénéficient pas de la protection des autorités de leur pays d’origine pour l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève et que le demandeur n’établit pas à suffisance de droit l’incapacité actuelle des autorités compétentes de lui fournir une protection adéquate. - Il convient de préciser sous ce rapport que, s’agissant d’actes émanant de certains groupements de la population, la notion de protection des habitants d’un pays contre des agissements de groupes de la population n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission matérielle d’un acte criminel et qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers uniquement en cas de défaut de protection dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile (cf. Jean-

Yves Carlier : Qu’est-ce qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p.113 nos. 73-s).

Or, en l’espèce, le demandeur reste en défaut de démontrer concrètement que les autorités chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre publics en place ne soient pas capables de lui assurer une protection adéquate, la simple allégation y relative étant insuffisante à cet égard.

Par ailleurs, force est de constater que les craintes de persécution invoquées en l’espèce se cristallisent essentiellement autour de la situation existant dans la région de Zvornik dans laquelle le demandeur déclare s’être réinstallé à son retour de Suède, mais qu’il reste en défaut d’établir qu’il ne peut pas trouver refuge à l’heure actuelle, dans une autre région de son pays d’origine, étant entendu que la Convention de Genève vise le pays d’origine ou de nationalité du demandeur d’asile sans restriction territoriale et que le défaut d’établir les raisons suffisantes pour lesquelles un demandeur d’asile ne serait pas en mesure de s’installer dans une autre région de son pays d’origine et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne doit être pris en compte pour refuser la reconnaissance du statut de réfugié (cf. trib. adm. 10 janvier 2001, n° 12240 du rôle, Pas. adm. 2004, V° Etrangers, n° 48 et autres références y citées).

Finalement, l’invocation de la Déclaration universelle des droits de l’homme par le demandeur et la prétendue violation du libre choix de son lieu de résidence n’est pas pertinente en l’espèce, étant donné que le simple fait de tomber dans le champ d’application de cet instrument juridique international n’autorise pas une personne à se voir reconnaître le statut de réfugié. L’examen du statut de réfugié fait l’objet d’une appréciation au cas par cas à la lumière des normes juridiques existantes régissant les conditions d’octroi du droit d’asile, à savoir la Convention de Genève (cf. trib. adm. 16 février 2004, n° 16635, non encore publié).

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par :

M. Campill, vice-président, M. Spielmann, juge, Mme Gillardin, juge, et lu à l’audience publique du 27 avril 2005 par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

s. Legille s. Campill 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 19151
Date de la décision : 27/04/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-04-27;19151 ?

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