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27/04/2005 | LUXEMBOURG | N°19113

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 27 avril 2005, 19113


Tribunal administratif Numéro 19113 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 6 janvier 2005 Audience publique du 27 avril 2005

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Recours formé par les époux … et consorts, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19113 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 6 janvier 2005 par Maître Nicky STOFFEL, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des

avocats à Luxembourg, au nom de M. …, né le … à Pec (Kosovo/Etat de Serbie-et-Monténégro), et de son épou...

Tribunal administratif Numéro 19113 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 6 janvier 2005 Audience publique du 27 avril 2005

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Recours formé par les époux … et consorts, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19113 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 6 janvier 2005 par Maître Nicky STOFFEL, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M. …, né le … à Pec (Kosovo/Etat de Serbie-et-Monténégro), et de son épouse, Mme …, née le … à Lagatore (Monténégro/Etat de Serbie-et-Monténégro), agissant tant en leur nom personnel qu’en celui de leurs enfants mineurs …, tous les quatre de nationalité serbo-monténégrine, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 8 octobre 2004 par laquelle ledit ministre a déclaré non fondée leur demande tendant à la reconnaissance du statut de réfugié, telle que cette décision a été confirmée par le même ministre le 6 décembre 2004, suite à un recours gracieux des demandeurs ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 28 février 2005 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;

Le juge rapporteur entendu en son rapport et Madame le délégué du gouvernement Jacqueline JACQUES en sa plaidoirie.

Le 18 juin 2003, M. … et son épouse, Mme …, accompagnés de leurs enfants …, …, introduisirent une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951 et approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le 27 juin 2003, les époux … furent entendus séparément par un agent du ministère de la Justice sur leur situation et sur les motifs à la base de leur demande en reconnaissance du statut de réfugié.

Par décision du 8 octobre 2004, notifiée par lettre recommandée du 26 octobre 2004, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration les informa que leur demande avait été refusée. Cette décision est libellée comme suit :

« Il résulte de vos déclarations que vous auriez quitté le Kosovo le 16 juin 2003. Vous seriez venus en camionnette mais vous ignorez tout de votre trajet.

Vous avez déposé vos demandes en obtention du statut de réfugié le 18 juin 2003.

Monsieur, vous auriez fait votre service militaire en 1978/1979 comme simple soldat.

Vous auriez été membre du parti communiste sous le Président TITO. Vous dites que vos problèmes seraient dus à la situation de votre frère qui aurait été inspecteur à la Police Judiciaire. Après le conflit au Kosovo, les membres du AKSH contrôleraient tout et les Bochniaques n’auraient plus aucun droit. Vos voisins, les MURIC, auraient même cru que vous étiez des espions de l’UNMIK. Votre frère serait actuellement en Suisse malgré qu’il n’y ait pas obtenu le statut de réfugié. Vous dites être souvent provoqué par des gens masqués qui ne sortiraient que le soir.

Vous, Madame, vous confirmez les dires de votre mari. Vous ajoutez que, si une fille parle serbo-croate, elle risque de se faire violer. Vous pensez que des gens veulent se venger des activités de votre beau-frère.

Vous, Mademoiselle [Mirzada …], vous avez été convoquée à une audition par courrier recommandé. Absente à la réception de ce courrier, vous n’êtes pas venue le réclamer à la poste. De ce fait, une audition concernant les motifs personnels de votre demande d’asile n’a pas pu être faite.

Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécutions au sens de la Convention de Genève.

L’appartenance à une minorité ethnique est insuffisante pour entraîner d’office l’application de la Convention de Genève.

Je constate que vos dires traduisent davantage un sentiment général d’insécurité qu’une réelle crainte de persécution. Les problèmes que vous auriez rencontrés avec des membres du AKSH et avec la famille MURIC, sont insuffisants pour fonder une persécution au sens de la Convention de Genève. Ni les Albanais ni vos voisins, en effet, ne sauraient constituer des agents de persécution au sens de la prédite Convention. Vous ne pouvez reprocher aux autorités leur manque de protection dans la mesure où celle-ci n’a pas été réclamée puisque vous n’avez pas porté plainte.

En ce qui concerne la situation au Kosovo, notons que depuis mars 2004, un groupe de travail poursuit un fructueux dialogue Pristina/Belgrade, ce qui est un élément essentiel de la normalisation de cette région. En ce qui concerne plus particulièrement la situation des Bochniaques, elle est devenue stable. L’accès de cette minorité aux soins de santé, à l’éducation et aux services essentiels de la vie courante est actuellement garantie presque partout. Il ressort du rapport du UNHCR de janvier 2003, confirmé en 2004, sur la situation des minorités au Kosovo qu’en règle générale, les Bochniaques ne doivent plus craindre des attaques directes contre leur sécurité.

Je dois donc constater qu’aucune de vos assertions ne saurait fonder une crainte de persécutions entrant dans le cadre de l’article 1er A,2 de la Convention de Genève, c’est-à-

dire une crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays.

Par conséquent, vos demandes en obtention du statut de réfugié sont refusées comme non fondées au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève (…) ».

Le 25 novembre 2004, les consorts … formulèrent, par le biais de leur mandataire, un recours gracieux auprès du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration à l’encontre de cette décision ministérielle.

Le 6 décembre 2004, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration confirma sa décision initiale, « à défaut d’éléments pertinents nouveaux ».

Le 6 janvier 2005, les époux …, agissant tant en leur nom personnel qu’en celui de leurs enfants …, ont introduit un recours en réformation, sinon en annulation des décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration des 8 octobre et 6 décembre 2004.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire, prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles critiquées. Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est irrecevable.

Le recours principal en réformation est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Quant au fond, les demandeurs exposent qu’ils seraient originaires du Kosovo, de religion musulmane et qu’ils feraient partie de la minorité bochniaque du Kosovo. Ils relèvent que la situation générale resterait mauvaise au Kosovo et que des tensions interethniques persisteraient et que des heurts entre les communautés ethniques seraient à l’ordre du jour.

Quant à leur situation personnelle, ils exposent qu’en tant que membres de la communauté des bochniaques et du fait qu’avant la guerre du Kosovo, un frère de M. … aurait travaillé auprès de la police judiciaire, ils auraient été contraints de quitter leur pays d’origine parce que leur sécurité n’y aurait pas été garantie, relevant que le fait qu’un membre de leur famille était membre de la police serbe les aurait particulièrement exposés à des insultes, menaces et persécutions de la part de membres de la population albanaise, en général, et d’une famille voisine, en particulier. Ils estiment encore que les autorités chargées d’assurer la sécurité publique ne sont pas en mesure de les protéger efficacement.

Le délégué du gouvernement estime que le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration a fait une saine appréciation de la situation des demandeurs, de sorte qu’ils seraient à débouter de leur recours.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par les demandeurs lors de leurs auditions respectives, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse, ainsi que les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, une crainte de persécution doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considérés individuellement et concrètement, les demandeurs d’asile risquent de subir des persécutions et force est de constater que l’existence de pareils éléments ne se dégage pas des éléments d’appréciation soumis au tribunal.

Ainsi, s’il est vrai que la situation générale des demandeurs en tant que membres de la minorité bochniaque du Kosovo reste difficile et qu’ils sont exposés à subir des insultes, voire d’autres discriminations ou agressions par des groupes de la population, elle n’est cependant pas telle que tout membre de la minorité ethnique visée serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève et que les allégations des demandeurs relativement à des menaces et insultes émanant d’inconnus et une altercation avec des membres d’une famille voisine, à les supposer vraies, constituent certainement des pratiques condamnables, mais sont insuffisantes pour établir un état de persécution personnelle vécue ou une crainte qui serait telle que la vie leur serait, à raison, intolérable dans leur pays d’origine, respectivement sont insuffisantes pour établir que les autorités qui sont actuellement au pouvoir au Kosovo ne soient pas capables d’assurer un niveau de protection suffisant aux habitants de ce pays ou tolèrent voire encouragent des agressions à l’encontre des membres de la communauté bochniaque, étant relevé que la notion de protection des habitants d’un pays contre des agissements de groupes de la population n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission matérielle d’un acte criminel et qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers uniquement en cas de défaut de protection dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeurs d’asile, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

Pour le surplus, les risques allégués par les demandeurs se limitent essentiellement à leur ville d’origine au Kosovo et ils restent en défaut d’établir qu’ils ne peuvent pas trouver refuge à l’heure actuelle notamment dans une autre partie du Kosovo, étant entendu que la Convention de Genève vise le pays d’origine ou de nationalité des demandeurs d’asile sans restriction territoriale et que le défaut d’établir les raisons suffisantes pour lesquelles un demandeur d’asile ne serait pas en mesure de s’installer dans une autre région de son pays d’origine et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne doit être pris en compte pour refuser la reconnaissance du statut de réfugié (cf. trib. adm. 10 janvier 2001, n° 12240 du rôle, Pas. adm. 2004, V° Etrangers, n° 48 et autres références y citées).

Il suit de ce qui précède que les demandeurs n’ont pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans leur chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable ;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Campill, vice-président, M. Spielmann, juge, Mme Gillardin, juge et lu à l’audience publique du 27 avril 2004, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

Legille Campill 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 19113
Date de la décision : 27/04/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-04-27;19113 ?

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