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27/04/2005 | LUXEMBOURG | N°18772

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 27 avril 2005, 18772


Numéro 18772 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 25 octobre 2004 Audience publique du 27 avril 2005 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice et du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 18772 du rôle, déposée le 25 octobre 2004 au greffe du tribunal administratif par Maî

tre Charles OSSOLA, avocat à la Cour, assisté de Maître Audrey MOSSLER, avocat, les deux i...

Numéro 18772 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 25 octobre 2004 Audience publique du 27 avril 2005 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice et du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 18772 du rôle, déposée le 25 octobre 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Charles OSSOLA, avocat à la Cour, assisté de Maître Audrey MOSSLER, avocat, les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Podgorica (Monténégro/Etat de Serbie-

Monténégro), de nationalité serbo-monténégrine, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 16 juillet 2004 portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 22 septembre 2004 prise sur recours gracieux;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 10 décembre 2004;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 10 janvier 2005 par Maître Charles OSSOLA pour compte de Monsieur …;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Audrey MOSSLER et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 14 février 2005.

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Le 7 avril 2003, Monsieur …, préqualifié, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Monsieur … fut entendu en dates des 17 avril, 15 mai et 5 juin 2003 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Le ministre de la Justice l’informa par décision du 16 juillet 2004, notifiée le 17 août 2004, que sa demande avait été rejetée comme n’étant pas fondée aux motifs énoncés comme suit :

« Il résulte de vos déclarations que vous auriez quitté le Monténégro le 5 avril 2003. Vous seriez passé en Republika Srpska puis, via la Bosnie-Herzégovine, en Croatie. De là, vous seriez passé en Slovénie, puis en Italie et en France avant d’arriver au Luxembourg.

Vous avez déposé votre demande en obtention du statut de réfugié le 7 avril 2003.

Vous auriez fait votre service militaire en 1992/1993 à Podgorica. Vous n’auriez pas été appelé à la réserve.

Vous auriez été inspecteur de police et affecté, de 1995 à 2001 au « chiffre ». On vous aurait annoncé une mutation dans un autre service après vos congés, mais à votre retour de vacances, on vous aurait interdit de venir travailler en prétextant que les bureaux seraient en réfection. Après quelques mois sans travail, le stress vous aurait rendu malade. Finalement, l’arrivée du nouveau Ministre de l’Intérieur vous aurait permis de reprendre vos fonctions, mais au service des médias et des télécommunications. Lors des élections présidentielles, vous ne seriez pas allé voter, le vote n’étant pas obligatoire. Cette abstention vous aurait été reprochée et vous auriez été démis de vos fonctions, avec maintien de votre salaire. Vous ajoutez que vous ne vouliez plus retourner au service des médias et des communications. De plus, en tant que policier, il vous serait interdit de quitter le pays sans autorisation.

Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécutions au sens de la Convention de Genève.

Je vous rends attentif au fait que, pour invoquer l’article 1er A,2 de la Convention de Genève, il faut une crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays.

Je constate que vous avez été muté de service du 25 février 2002 jusqu’au 5 janvier 2003 et que, même si le travail ne vous plaisait pas, vous remplissiez convenablement vos fonctions, selon vos dires.

En ce qui concerne votre abstention au vote, vous n’avez pas été voté avec l’espoir que l’on vous démettra de vos fonctions suite à cela. Vous êtes donc mal venu de vous plaindre des conséquences que vous avez vous-même provoquées.

Les faits que vous invoquez sont manifestement insuffisants, à les supposer établis, pour vous voir octroyer le statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève. Tout au plus éprouvez-

vous un sentiment d’insécurité qui n’entre pas non plus dans le cadre de cette Convention.

Il résulte de ce qui précède que vous n’alléguez aucune crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politique, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est donc refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Le recours gracieux formé par courrier de son mandataire du 13 août 2004 ayant été rencontré par une décision confirmative du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 22 septembre 2004, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation, sinon en annulation à l’encontre des décisions ministérielles initiale du 16 juillet 2004 et confirmative du 22 septembre 2004 par requête déposée le 25 octobre 2004.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation, lequel est également recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi. Le recours subsidiaire en annulation est en conséquence irrecevable.

A l’appui de son recours, le demandeur expose qu’il aurait été un agent secret du département « service de renseignement » du ministère de l’Intérieur monténégrin affecté depuis 1995 au service de la protection « Kripto-Zastita » de la IIe section IVe direction du « Centru SDB Podgorica » avec la mission de déchiffrer et de coder les messages secrets rédigés ou réceptionnés par les hautes personnalités du gouvernement, dont les ministres, et que sa mission aurait été renouvelée par décision du ministre de l’Intérieur du 22 novembre 2000. Il relève que son supérieur hiérarchique l’aurait convoqué en janvier 2001 pour lui proposer son transfert au service de surveillance du « Centru SDB Podgorica », un service « ultra-secret » dont l’existence serait inofficielle et dont la mission consisterait dans la surveillance de toute personne ou groupe pouvant constituer une menace pour le gouvernement en place, mais que, conscient des risques liés à ce travail et des secrets dont il aurait alors obtenu connaissance, il aurait refusé d’exercer cette mission impliquant l’écoute et l’analyse des conversations des personnes mises sur écoute et la rédaction de rapports afférents à remettre à ses supérieurs hiérarchiques et serait retourné à son poste de travail au service de déchiffrage et de codage de messages secrets. Suite à une mise en congé de tout le personnel de son service en août 2001 en raison de travaux de rénovation des bureaux, son supérieur lui aurait refusé l’entrée lorsqu’il aurait voulu retourner à son poste afin de sanctionner son refus de changer de poste et il aurait constaté qu’il était surveillé et que son téléphone était sous écoute. Il fait valoir que cette mise en congé forcé, accompagnée du refus de ses collègues de travail de lui parler, lui aurait causé un stress énorme ayant entraîné un traitement médical, que cependant en raison de la particularité de son travail, il n’aurait pas eu le droit de démissionner et d’exercer une autre activité et serait définitivement lié au ministère de l’Intérieur et qu’il aurait été affecté le 29 janvier 2002 au poste de technicien pour l’exploitation des systèmes de radiocommunication du département de télécommunication du service de sécurité publique, ses réclamations hiérarchiques contre cette dégradation étant restées sans réponse. Le demandeur continue qu’en date du 25 février 2002, il aurait reçu l’ordre d’intégrer le « service de surveillance des télécommunications, des médias et des élections », affectation qu’il aurait refusée pour des raisons de conscience personnelle, qu’il aurait donné suite à cet ordre formel afin d’éviter des sanctions et commencé à contre-cœur à écouter les conversations téléphoniques de hautes personnalités politiques monténégrines et étrangères mises sous écoute, qu’il aurait pensé que, face à l’interdiction pour lui de démissionner, la seule solution serait de se faire mettre hors service en provoquant la colère de ses supérieurs, qu’il aurait ainsi, lors des élections présidentielles de novembre et décembre 2002, méconnu l’ordre formel du ministère de voter pour le représentant du DPS, Monsieur DJUKANOVIC, en n’allant pas voter et en refusant à deux reprises de déclarer ensuite pour qui il avait voté et que cette manœuvre de sa part aurait effectivement eu pour effet qu’il aurait été démis de ses fonctions sans pour autant recouvrer sa liberté. Le demandeur fait valoir qu’il subirait depuis lors des pressions et menaces, qu’il aurait de fortes raisons de croire qu’il serait de nouveau mis sur écoute et qu’il ne pourrait pas se libérer de ses liens avec les services secrets qui continueraient à lui verser son salaire. Il affirme qu’en raison de sa connaissance d’importants secrets d’Etat menaçant la stabilité du régime politique en place et de son départ du pays sans autorisation préalable qui équivaudrait à une désertion, il risquerait d’encourir des sanctions disproportionnées, voire même d’être « éliminé » en cas de retour au Monténégro, au vu du régime actuellement en place et de la situation politique très instable marquée par de graves troubles politiques internes.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que son recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2004, v° Recours en réformation, n° 12).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par le demandeur lors de ses auditions des 17 avril, 15 mai et 5 juin 2003, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, alors même que le demandeur a soumis un récit cohérent quant à ses activités professionnelles et les conséquences professionnelles de son refus d’accomplir certaines missions, il n’en reste pas moins que le demandeur fonde sa crainte de persécution essentiellement sur les conséquences découlant de son acte d’avoir quitté le pays sans autorisation et en étant porteur de secrets d’Etat. Or, force est de retenir que le demandeur peut légitimement être soumis en sa qualité de membre des services secrets à un statut emportant notamment une restriction de sa liberté de mouvement et que le non-respect des obligations découlant de son statut peut légitimement être sanctionné tant pénalement que disciplinairement, de manière que le simple principe d’une sanction ne rentre pas dans les prévisions de la Convention de Genève. Le demandeur reste cependant en défaut d’établir concrètement au-delà de son affirmation de principe afférente qu’il encourrait effectivement un risque de sanctions disproportionnées du fait de ne pas avoir respecté une telle obligation.

Il y a encore lieu de relever que le fait relevé par le demandeur qu’il ne pourrait pas se libérer de ses liens avec le ministère de l’Intérieur ne saurait, abstraction faite de la question de sa validité par rapport à d’autres normes, être considéré en tant que tel comme motif de persécution suffisant.

Il résulte des développements qui précèdent que le demandeur reste en défaut d’établir une persécution ou un risque de persécution au sens de la Convention de Genève dans son pays de provenance, de manière que le recours sous analyse doit être rejeté comme n’étant pas fondé.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties, reçoit le recours principal en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. CAMPILL, vice-président, M. SCHROEDER, premier juge, M. SPIELMANN, juge, et lu à l’audience publique du 27 avril 2005 par le vice-président en présence de M.

LEGILLE, greffier.

LEGILLE CAMPILL 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 18772
Date de la décision : 27/04/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-04-27;18772 ?

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