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25/04/2005 | LUXEMBOURG | N°19152

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 25 avril 2005, 19152


Tribunal administratif N° 19152 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 10 janvier 2005 Audience publique du 25 avril 2005

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Recours formé par Monsieur …, Schrassig contre une décision prise par le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de police des étrangers

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 19152 du rôle, déposée au greffe du tribunal administratif le 10 janvier 2005 par Maître Nicky STOFFEL, avocat à la Cour, inscrite au tableau de

l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Sobral Da Adica (Portugal), de nat...

Tribunal administratif N° 19152 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 10 janvier 2005 Audience publique du 25 avril 2005

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Recours formé par Monsieur …, Schrassig contre une décision prise par le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de police des étrangers

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 19152 du rôle, déposée au greffe du tribunal administratif le 10 janvier 2005 par Maître Nicky STOFFEL, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Sobral Da Adica (Portugal), de nationalité portugaise, actuellement détenu au Centre pénitentiaire de Luxembourg à Schrassig, tendant à la réformation sinon à l’annulation d’une décision prise par le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration le 22 octobre 2004, par laquelle l’entrée et le séjour au Grand-Duché de Luxembourg lui ont été refusés ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 15 février 2005 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 15 mars 2005 par Maître Nicky STOFFEL en nom et pour compte du demandeur ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Madame le délégué du gouvernement Jacqueline JACQUES en sa plaidoirie.

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Par arrêté du 22 octobre 2004, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, ci-après dénommé le « ministre », refusa l’entrée et le séjour au Grand-Duché de Luxembourg à M. … et l’invita à « quitter le pays dans un délai de 15 jours après notification du présent arrêté, et en cas de détention, dans un délai de 15 jours après la mise en liberté », au vu des « antécédents judiciaires de l’intéressé » et eu égard à la considération que ce dernier « est susceptible de compromettre la sécurité et l’ordre publics ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 10 janvier 2005, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation sinon à l’annulation de la susdite décision ministérielle.

Le délégué du gouvernement conclut à l’irrecevabilité du recours en réformation, introduit en ordre principal, au motif qu’un tel recours n’est pas prévu en la matière.

Si le juge administratif est saisi d’un recours en réformation dans une matière dans laquelle la loi ne prévoit pas un tel recours, il doit se déclarer incompétent pour connaître du recours (trib. adm. 28 mai 1997, Pas. adm. 2004, V° Recours en réformation, n° 5 et autres références y citées).

Aucune disposition légale ne conférant compétence à la juridiction administrative pour statuer comme juge du fond en la présente matière, le tribunal est incompétent pour connaître de la demande principale en réformation de la décision critiquée.

Le recours subsidiaire en annulation est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Le représentant étatique se rapporte ensuite à prudence de justice quant à la recevabilité du recours aux motifs qu’il est intitulé « recours en matière d’expulsion » et que ledit recours vise en son dispositif un « arrêté du ministre de la Justice du 20 juin 2002, notifié en date du 29 août 2002 », pour soutenir que ledit recours serait dirigé contre une décision inexistante.

En cas de désignation inexacte de la décision attaquée au dispositif de la requête, le fait d’inclure la lettre de notification dans la requête introductive d’instance est suffisant pour rendre le recours recevable (cf. trib. adm. 4 février 2002, Pas. adm. 2004, V° Procédure contentieuse, n° 209).

En l’espèce, s’il faut constater que la requête introductive d’instance a été rédigée avec peu de soins et de rigueur quant à la désignation exacte de la décision critiquée, le tribunal constate néanmoins que ladite décision a été déposée ensemble avec la requête introductive d’instance au greffe en date du 10 janvier 2005 et que la requête indique à trois reprises la date exacte de la décision visant Monsieur …, de sorte qu’il n’y a pas pu avoir méprise quant à la décision visée par la requête introductive et que les droits de la défense de l’Etat ont été préservés.

Le demandeur soutient en premier lieu que la décision ministérielle litigieuse ne serait « absolument pas motivée », qu’elle ne ferait énoncer que de façon lapidaire qu’il « aurait des antécédents judiciaires et qu’il risquerait de compromettre l’ordre et la sécurité publics » et que ladite décision « se bornerait à reprendre l’article 2 de la loi du 28 mars 1972 concernant l’entrée et le séjour des étrangers ».

Ledit moyen d’annulation est cependant à écarter, étant donné qu’au vœu de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, la motivation expresse d’une décision administrative peut se limiter à un énoncé sommaire de son contenu et il suffit, pour qu’un acte de refus soit valable, que les motifs aient existé au moment de la prise de décision, quitte à ce que l’administration concernée les fournisse a posteriori sur demande de l’administré, le cas échéant au cours de la procédure contentieuse, ce qui a été le cas en l’espèce, étant donné que les motifs énoncés dans la décision ministérielle, ensemble les compléments apportés par le représentant étatique au cours de la procédure contentieuse et les pièces produites en cause ont permis au demandeur d’assurer la défense de ses intérêts en connaissance de cause, c’est-

à-dire sans qu’il ait pu se méprendre sur la portée de la décision ministérielle querellée.

En second lieu, le demandeur signale habiter depuis plus de vingt ans au Luxembourg et qu’il aurait toujours disposé d’une autorisation de séjour et d’une carte d’identité d’étranger, de sorte que la décision critiquée serait constitutive d’un retrait d’une « décision créatrice de droits » prise en violation de l’article 9 du règlement grand-ducal précité du 8 juin 1979.

Il convient de rapprocher de ce moyen le moyen d’annulation que le demandeur a exposé en troisième lieu, basé sur ce que le ministre aurait omis de solliciter l’avis de la commission consultative en matière de police des étrangers, au motif que son cas serait à rapprocher de celui d’un étranger « qui au moment où il tombe sous le coup d’une décision d’expulsion, séjourne sur le territoire luxembourgeois en vertu d’une autorisation de séjour et qui est en attente de la délivrance d’une carte d’identité sollicitée » (sic).

Au sujet de ces deux moyens d’annulation, le délégué du gouvernement expose que le demandeur n’aurait plus été titulaire d’une carte d’identité d’étranger valable au moment de la prise de la décision critiquée du 22 octobre 2004, de sorte que le respect des deux obligations légales invoquées ne se serait pas imposé.

Aux termes de l’alinéa 1er de l’article 9 du règlement grand-ducal précité du 8 juin 1979, « sauf s’il y a péril en la demeure, l’autorité qui se propose de révoquer ou de modifier d’office pour l’avenir une décision ayant créé ou reconnu des droits à une partie, ou qui se propose de prendre une décision en dehors d’une initiative de la partie concernée, doit informer de son intention la partie concernée en lui communiquant les éléments de fait et de droit qui l’amènent à agir. Cette communication se fait par lettre recommandée. Un délai d’au moins 8 jours doit être accordé à la partie concernée pour présenter ses observations ».

Selon l’article 1er du règlement grand-ducal modifié du 28 mars 1972 relatif à la composition, l’organisation et le fonctionnement de la commission consultative en matière de police des étrangers, l’avis de la commission consultative en matière de police des étrangers doit être sollicité, « avant toute décision portant 1° refus de renouvellement de la carte d’identité d’étranger ;

2° retrait de la carte d’identité ;

3° expulsion du titulaire d’une carte d’identité valable ;

4° révocation de l’autorisation temporaire de séjour ;

5° éloignement d’un réfugié (…) ou d’un apatride(…) ».

Force est de constater que le délégué du gouvernement soutient, dans son mémoire en réponse, que le demandeur n’était plus titulaire d’une carte d’identité d’étranger au moment de la prise de la décision critiquée, et que le demandeur n’a pas démontré avoir été titulaire d’une pareille carte, ni même contesté l’affirmation du délégué du gouvernement, de sorte que les deux moyens d’annulation relativement au caractère contradictoire de la procédure et à une contravention aux règles relatives à la saisine de la commission consultative en matière de police des étrangers sont à rejeter.

Concernant le bien-fondé de la décision ministérielle querellée, le demandeur critique le motif basé sur un risque d’atteinte à la sécurité et l’ordre publics, qu’il estime non établi à suffisance de droit, étant donné qu’il n’aurait commis qu’une seule infraction en plus de 20 ans de séjour au Luxembourg, pour laquelle il aurait d’ailleurs été condamné, d’autant plus qu’il aurait effectué des efforts de resocialisation, qu’une expertise psychiatrique aurait « constaté de bons résultats » et qu’il aurait réglé les dommages-intérêts alloués à la partie civile. Pour le surplus, le demandeur estime que la décision critiquée serait disproportionnée et violerait l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, au motif qu’elle rendrait impossible tout contact normal avec sa famille.

Le délégué du gouvernement estime de son côté que la condamnation de Monsieur … est d’une gravité extrême, à savoir une peine de réclusion de 13 ans pour avoir commis un viol sur sa propre fille, avec la circonstance aggravante qu’elle était âgée à l’époque de moins de 14 ans accomplis. Pour le surplus, il ressortirait d’un rapport du comité de guidance du Centre pénitentiaire de Luxembourg que l’« épouse du demandeur aurait peur de son mari » et que ce dernier ne montrerait aucune prise de conscience par rapport à la gravité de l’acte commis sur sa fille. Comme il s’agirait de toute façon d’une question d’appréciation qui relève de la seule compétence du ministre, le tribunal ne saurait substituer son appréciation des faits à celle dudit ministre et ce ne serait qu’en cas d’erreur manifeste d’appréciation des faits qu’une annulation serait concevable, ce qui ne serait manifestement pas le cas en l’espèce.

Conformément aux dispositions de l’article 9 du règlement grand-ducal du 28 mars 1972 relatif aux conditions d’entrée et de séjour de certaines catégories d’étrangers faisant l’objet de conventions internationales, applicable en l’espèce en raison de la qualité de ressortissant communautaire du demandeur, « la carte de séjour ne peut être refusée ou retirée aux ressortissants énumérés à l’article 1er et une mesure d’éloignement du pays ne peut être prise à leur encontre que pour des raisons d’ordre public, de sécurité publique ou de santé publique, sans préjudice de la disposition de l’article 4, alinéa 3. La seule existence de condamnations pénales ne peut automatiquement motiver ces mesures. (…) Les mesures d’ordre public ou de sécurité publique doivent être fondées exclusivement sur le comportement personnel de l’individu qui en fait l’objet ».

La directive 64/221/CEE du 25 février 1964 du Conseil pour la coordination des mesures spéciales aux étrangers en matière de déplacement et de séjour justifiées pour des raisons d’ordre public, de sécurité publique et de santé publique impose aux Etats membres un certain nombre de conditions de fond et de forme en matière de police des étrangers à l’observation desquelles veille la Cour de Justice des Communautés européennes (CJCE).

L’article 3 de la directive 64/221/CEE du Conseil précise en son paragraphe 1 que les mesures d’ordre public ou de sécurité publique doivent être fondées exclusivement sur le comportement personnel de l’individu qui en fait l’objet et dans son paragraphe 2 que la seule existence de condamnations pénales ne peut automatiquement motiver ces mesures. Ces dispositions ont été transposées en droit national par le règlement grand-ducal modifié du 28 mars 1972, précité, et plus précisément par son article 9 cité ci-avant.

La CJCE a été amenée à élaborer en matière d’ordre public une jurisprudence considérable, dont l’examen ne peut être dissocié de celui de la directive 64/221/CEE du 25 février 1964.

Dans son arrêt Bouchereau du 27 octobre 1977 (Aff. 30/77), elle a précisé, par référence à son arrêt Van Duyn du 4 décembre 1974 (Aff. 41/74), qu’en tant que dérogation au principe fondamental de la libre circulation des travailleurs, la notion d’ordre public doit être entendue strictement, étant acquis qu’elle est susceptible de varier d’un pays à l’autre et d’une époque à l’autre, de sorte qu’il convient de reconnaître aux autorités nationales compétentes une marge d’appréciation dans les limites imposées par le traité et les dispositions prises pour son application.

Ainsi des « restrictions ne sauraient être apportées aux droits des ressortissants des Etats membres d’entrer sur le territoire d’un autre Etat membre, d’y séjourner et de s’y déplacer que si leur présence ou leur comportement personnel constitue une menace réelle et suffisamment grave pour l’ordre public. » (arrêt RUTILI, CJCE, 28 octobre 1975, aff. 36/75).

S'il est vrai qu'au vœu de l'article 3, alinéa 2 de la directive 64/221/CEE, une condamnation pénale antérieure ne peut justifier de plein droit une mesure de police à l'égard d'un étranger ressortissant communautaire, et que le recours par une autorité nationale à la notion d'ordre public suppose, en tout cas, l'existence, en dehors du trouble pour l'ordre social que constitue toute infraction à la loi, une menace réelle et suffisamment grave, affectant un intérêt fondamental de la société, il n'en reste pas moins qu'une telle condamnation, de par la teneur et la gravité des faits sanctionnés, peut dénoter un comportement révélant une atteinte grave et actuelle à l'ordre public et justifier ainsi une mesure en matière de police des étrangers. L'existence d'une condamnation pénale peut partant être retenue dans la mesure où les circonstances qui ont donné lieu à cette condamnation font apparaître l'existence d'un comportement personnel constituant une menace actuelle pour l'ordre public (cf. trib. adm 18 novembre 1997, n° 9933 du rôle, Pas. adm. 2004, V° Etrangers, n° 266 et autres références y citées).

En l’espèce, force est de constater, d’une part, que le demandeur a été condamné, suivant arrêt de la Cour d’Appel du 20 novembre 2000 à une peine de réclusion de 13 ans, assortie pour 5 ans du sursis probatoire, pour un viol commis sur sa propre fille âgée au moment des faits de 11 ans et, d’autre part, qu’il ressort d’un rapport du comité de guidance du Centre pénitentiaire de Luxembourg du 9 avril 2003 que la victime a toujours peur du demandeur, que ce dernier « ne montre pas de prise de conscience » et qu’il convient d’éviter le contact entre la victime et Monsieur ….

Partant, c’est à juste titre que le ministre a pu estimer, sans commettre une erreur manifeste d’appréciation des faits, que le demandeur constitue toujours une menace réelle et suffisamment grave pour l’ordre et la sécurité publics, de sorte que l’arrêté ministériel déféré est légalement justifié par ce seul motif.

Cette conclusion n’est pas ébranlée par le moyen tiré de la violation de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales, en ce que la décision ministérielle empêcherait tout contact du demandeur avec sa famille, étant donné que le dossier, en son dernier état, renseigne le fait que la victime du demandeur, qui fait partie de sa famille, a toujours peur de son père, et que partant la mesure litigieuse, compte tenu des circonstances de l’espèce, constitue en tout état de cause une mesure justifiée et proportionnée.

Enfin, c’est à tort que le demandeur soutient que l’arrêté litigieux serait vicié, au motif qu’il ne lui laisserait « qu’un délai insuffisant pour quitter le territoire et pour lui permettre de prendre les dispositions élémentaires ». En effet, abstraction faite que ce délai n’est applicable à Monsieur … qu’une fois libéré de prison, ledit délai de 15 jours correspond au délai minimal tel que fixé par l’article 12 du règlement grand-ducal modifié du 28 mars 1972, précité, et qu’aucun élément n’est apporté pour justifier en quoi le délai serait insuffisant pour lui permettre d’organiser son départ, de sorte qu’il y a lieu de retenir que le délai fixé par la décision critiquée est conforme aux dispositions légales applicables en la matière.

Il suit des considérations qui précèdent que le recours laisse d’être fondé et que le demandeur doit en être débouté.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties à l’instance ;

se déclare incompétent pour connaître du recours en réformation ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Campill, vice-président, M. Spielmann, juge, Mme Gillardin, juge, et lu à l’audience publique du 25 avril 2005, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

Legille Campill 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 19152
Date de la décision : 25/04/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-04-25;19152 ?

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