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25/04/2005 | LUXEMBOURG | N°19031

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 25 avril 2005, 19031


Tribunal administratif Numéro 19031 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 16 décembre 2004 Audience publique du 25 avril 2005

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Recours formé par les époux … et consorts, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19031 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 16 décembre 2004 par Maître Nicky STOFFEL, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ord

re des avocats à Luxembourg, au nom de M. …, né le … à Breza (Bosnie-

Herzégovine), et de son épouse, Mme …...

Tribunal administratif Numéro 19031 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 16 décembre 2004 Audience publique du 25 avril 2005

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Recours formé par les époux … et consorts, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19031 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 16 décembre 2004 par Maître Nicky STOFFEL, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M. …, né le … à Breza (Bosnie-

Herzégovine), et de son épouse, Mme …, née le … à Tuzla (Bosnie-Herzégovine), agissant tant en leur nom personnel qu’en celui de leurs enfants …, tous de nationalité bosniaque, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 29 septembre 2004 par laquelle ledit ministre a déclaré non fondée leur demande tendant à la reconnaissance du statut de réfugié, telle que cette décision a été confirmée par le même ministre le 15 novembre 2004, suite à un recours gracieux des demandeurs ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 8 février 2005 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 8 mars 2005 en nom et pour compte des demandeurs ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;

Le juge rapporteur entendu en son rapport et Madame le délégué du gouvernement Jacqueline JACQUES en sa plaidoirie.

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Le 12 décembre 2003, M. … et son épouse, Mme …, agissant tant en leur nom personnel qu’en celui de leurs enfants …, introduisirent une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951 et approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour, les époux … furent entendus par un agent de la police grand-ducale sur leur identité et l’itinéraire suivi pour venir au Grand-Duché de Luxembourg.

Le 26 janvier 2004, ils furent entendus séparément par un agent du ministère de la Justice sur leur situation et sur les motifs à la base de leur demande en reconnaissance du statut de réfugié.

Par décision du 29 septembre 2004, notifiée par lettre recommandée du 1er octobre 2004, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration les informa que leur demande avait été refusée. Cette décision est libellée comme suit :

« Il ressort du rapport du Service de Police Judiciaire du 12 décembre 2003 que vous auriez déposé une demande d’asile en Norvège en novembre 2001 et que vous seriez retournés volontairement en Bosnie-Herzégovine en mars 2002. Vous auriez de nouveau quitté votre domicile le 10 décembre 2003 à bord d’une camionnette qui vous aurait emmenés au Luxembourg où vous seriez arrivés le 11 décembre 2003. Vos demandes d’asile datent du lendemain.

Monsieur, il résulte de vos déclarations qu’avant la guerre vous auriez vécu à Bijeljina en Republica Srpska et que vous auriez été exilés à Gracanica se situant dans la Fédération à une trentaine de kilomètres de Tuzla. Vous dites ne plus pouvoir retourner dans votre maison familiale se trouvant à Bijeljina car elle serait actuellement occupée par des exilés serbes. Vous auriez à plusieurs tentatives essayé de récupérer votre maison. Le 9 décembre 2002, vous auriez été agressé par des membres de cette famille serbe. La police serait intervenue. Vous auriez porté l’affaire au tribunal, mais aucune décision n’aurait encore été prise. Vous même, vous auriez habité dans différents logements sociaux et privés, dernièrement vous auriez vécu dans une maison à Gracanica d’un ami habitant en Allemagne.

Vous seriez membre de la présidence du parti politique SDA dans votre région et vous auriez participé à des réunions. En 1992, vous auriez été arrêté à cause de votre adhésion au SDA. Vous ne faites pas état de problèmes actuels.

Vous ajoutez que vos enfants n’auraient pas d’avenir en Bosnie-Herzégovine et qu’il n’y aurait pas une bonne éducation à cause de la pratique du nationalisme et de l’incitation à la haine.

Madame, il résulte de vos déclarations que vous auriez été violée en 1992 à Bijeljina.

Vous auriez quitté votre pays d’origine parce que vous voudriez une vie normale pour vos enfants. Vous ne voudriez pas que votre fils suive des cours de religion nourris de nationalisme. Vous avez peur que le regain de nationalisme entraînerait une nouvelle guerre.

Vous ne seriez pas membre d’un parti politique, mais votre mari aurait été membre du SDA. Depuis 2 à 4 ans, il ne le serait pourtant plus.

Il y a d’abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Or, il ne résulte pas de vos allégations à tous les deux que vous risquiez ou risquez d’être persécutés dans votre pays d’origine pour un des motifs énumérés par l’article 1er, A., §2 de la Convention de Genève. Force est de constater que tous les deux vous ne subissez en l’état actuel des choses pas de persécutions, les évènements de 1992 étant trop éloignés dans le temps pour fonder une demande d’asile. Monsieur, le fait que vous ne pourriez plus retourner dans votre maison familiale à Bijeljina ne saurait fonder une demande d’asile alors que vous habiteriez depuis le début de la guerre à Gracanica et que vous n’y faites pas état de problèmes. L’agression par la famille serbe qui occuperait votre maison à Bijeljina ne peut également pas être prise en considération pour fonder votre demande d’asile étant donné que ces personnes ne sauraient être considérées comme agents de persécution au sens de la Convention de Genève de 1951 d’autant plus que vous admettez vous-même que la police est intervenue et que vous avez pu saisir les tribunaux. La simple appartenance à un parti politique n’est pas suffisante pour bénéficier de la reconnaissance du statut de réfugié, d’autant plus que vous ne faites pas état de problèmes à ce niveau. Votre épouse précise même que vous ne seriez plus membre depuis 2 à 4 ans. Madame, vous ne faites pas état de persécutions. Le fait que vous voudriez tous les deux assurer un meilleur avenir à vos enfants ne saurait davantage fonder une demande d’asile politique. Vos motifs traduisent tout au plus un sentiment général d’insécurité qu’une crainte de persécution.

Il faut également noter que la situation en Bosnie-Herzégovine s’est nettement améliorée depuis l’accord de paix signé en novembre 1995, et ceci de telle façon que les forces internationales SFOR prévoient une importante réduction de leurs effectifs en Bosnie.

Un nombre très important de réfugiés bosniaques sont retournés chez eux et continuent à le faire.

Par conséquent vous n’alléguez tous les deux aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Vos demandes en obtention du statut de réfugié sont dès lors refusées comme non fondées au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève (…) ».

Le 4 novembre 2004, les consorts … formulèrent, par le biais de leur mandataire, un recours gracieux auprès du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration à l’encontre de cette décision ministérielle.

Le 15 novembre 2004, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration confirma sa décision initiale, « à défaut d’éléments pertinents nouveaux ».

Le 16 décembre 2004, les consorts … ont introduit un recours en réformation, sinon en annulation des décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration des 29 septembre et 15 novembre 2004.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire, prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles critiquées. Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est irrecevable.

Le recours principal en réformation est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Cette conclusion n’est pas ébranlée par le moyen d’irrecevabilité pour cause de libellé obscur soulevé par le délégué du gouvernement, étant donné que s’il est vrai que l’exposé des motifs de la requête introductive d’instance est des plus succincts, il n’en reste pas moins que les demandeurs sollicitent indubitablement le réexamen de leur situation, au motif que les éléments de fait antérieurement exposés par eux justifieraient la reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève, le délégué du gouvernement ne s’y étant pas mépris et ayant utilement pu conclure au fond dans son mémoire en réponse.

Quant au fond, les demandeurs exposent en substance qu’ils auraient dû quitter leur pays d’origine « en raison des problèmes qu’ils y ont rencontré », étant donné qu’il se dégage de leurs déclarations antérieures - et du mémoire en réplique – qu’il s’agit essentiellement de l’occupation de leur maison d’habitation par des exilés serbes qu’ils n’arrivent pas à faire déguerpir, des procédures judiciaires entamées qui s’éternisent, de la situation générale mauvaise et des tensions interethniques y persistant.

Le délégué du gouvernement estime que le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration a fait une saine appréciation de la situation des demandeurs, de sorte qu’ils seraient à débouter de leur recours.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par les demandeurs lors de leurs auditions respectives, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse, ainsi que les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, une crainte de persécution doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, les demandeurs d’asile risquent de subir des persécutions et force est de constater que l’existence de pareils éléments ne se dégage pas des éléments d’appréciation soumis au tribunal.

Ainsi, il n’appert du récit des demandeurs ni qu’ils aient été dans une situation particulièrement exposée ayant pu faire naître dans leur chef un sentiment grave d’insécurité au point qu’ils aient pu considérer que leur vie y était devenue intolérable, ni qu’ils n’auraient pas pu rechercher la protection des autorités en place dans leur pays d’origine, respectivement que ces autorités n’auraient pas été en mesure ou n’auraient pas eu la volonté de leur assurer une protection suffisante.

Au contraire, le tribunal constate que les demandeurs ont été principalement mus par des considérations matérielles et économiques, lesquelles, aussi graves et compréhensibles qu’elles puissent être, ne sauraient justifier la reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève.

Il suit de ce qui précède que les demandeurs n’ont pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans leur chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable ;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Campill, vice-président, M. Spielmann, juge, Mme Gillardin, juge et lu à l’audience publique du 25 avril 2005, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

Legille Campill 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 19031
Date de la décision : 25/04/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-04-25;19031 ?

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