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22/04/2005 | LUXEMBOURG | N°19656

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 22 avril 2005, 19656


Tribunal administratif N° 19656 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 13 avril 2005 Audience publique extraordinaire du 22 avril 2005 Recours formé par Madame … et Monsieur … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de rétention administrative

JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 19656 du rôle, déposée le 13 avril 2005 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le

…, de nationalité française, demeurant à L-…, et de Monsieur …, né le…, de nationalité ...

Tribunal administratif N° 19656 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 13 avril 2005 Audience publique extraordinaire du 22 avril 2005 Recours formé par Madame … et Monsieur … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de rétention administrative

JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 19656 du rôle, déposée le 13 avril 2005 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le…, de nationalité française, demeurant à L-…, et de Monsieur …, né le…, de nationalité serbo-monténégrine, actuellement placé au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig, tendant à la réformation d’un arrêté du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 8 avril 2005 prorogeant le placement de Monsieur … audit Centre de séjour provisoire une seconde fois pour une nouvelle durée d’un mois à partir de la notification ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 15 avril 2005 ;

Vu le mémoire en réplique déposé par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH le 18 avril 2005 au greffe du tribunal administratif en nom et pour compte des demandeurs ;

Vu le mémoire en duplique du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 19 avril 2005 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;

Entendu le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 20 avril 2005.

_______________________________________________________________________

Par arrêté du 12 février 2005, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, ci-après désigné par le « ministre », ordonna le placement de Monsieur … pour la durée d’un mois au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig en attendant son éloignement du territoire luxembourgeois.

En date du 11 mars 2005, le ministre prit un nouvel arrêté ordonnant la prorogation de la mesure de placement de Monsieur … au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière pour une nouvelle durée d’un mois à partir de la notification dudit arrêté.

En date du 8 avril 2005, le ministre prit un second arrêté prorogeant la mesure de placement de Monsieur … au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière pour une nouvelle durée d’un mois à partir de la notification dudit arrêté aux motifs suivants :

« Vu l’article 15 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant l’entrée et le séjour des étrangers ;

Vu le règlement grand-ducal du 20 septembre 2002 créant un Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière ;

Vu mes arrêtés pris en date du 12 février et 11 mars 2005 décidant du placement temporaire de l’intéressé ;

Considérant que l’intéressé est démuni de toute pièce d’identité et de voyage valable ;

-

qu’il ne dispose pas de moyens d’existence personnels légalement acquis ;

-

qu’il se trouve en séjour irrégulier au pays ;

Considérant qu’un laissez-passer a été demandé aux autorités bosniaques ;

-

qu’en attendant l'émission de ce document, l’éloignement immédiat de l’intéressé n’est pas possible ;

Considérant qu’il existe un risque de fuite, alors que l’intéressé est susceptible de se soustraire à la mesure d'éloignement (…) ».

Par requête déposée le 13 avril 2005, Madame … et Monsieur … ont introduit le recours qui leur est ouvert par la loi à l’encontre de la décision ministérielle prévisée du 8 avril 2005 et sollicitent la réformation de la décision déférée, partant voir ordonner la mise en liberté de Monsieur …, sinon voir annuler la décision déférée pour violation de la loi.

A l’appui de leur recours, les demandeurs exposent liminairement que depuis le rejet d’une première demande d’asile en 1997, Monsieur … aurait déjà fait l’objet de 11 mesures de placement en 1997, 2001, 2002 et 2004, mais qu’aucune de ces mesures n’aurait pu être suivie d’un rapatriement, étant donné que le consulat de Bosnie-

Herzégovine n’aurait pas donné suite aux demandes en délivrance d’un laissez-passer lui adressées dans le cadre de chacune de ces mesures de rétention.

Les demandeurs reprochent au ministre de ne pas avoir justifié l’existence d’une nécessité absolue pour pouvoir proroger la rétention de Monsieur …, au motif que la loi ne permettrait pas à l’autorité ministérielle de proroger purement et simplement une première mesure de rétention, mais imposerait à cette fin l’existence d’une nécessité absolue. Ils soutiennent que le ministre ne pourrait dès lors pas motiver la décision de façon identique à la décision initiale de rétention ainsi qu’à la première décision de prorogation sans relever les circonstances témoignant de l’existence d’une nécessité absolue.

Ils affirment qu’eu égard aux tentatives antérieures infructueuses d’obtenir de la part des autorités bosniaques la délivrance d’un laissez-passer, la prorogation litigieuse du placement de Monsieur … ne répondrait pas à l’exigence légale de prendre toutes les démarches requises pour pouvoir exécuter la mesure de refoulement dans les délais les plus brefs, étant donné qu’ « il ne résulte d’aucune pièce du dossier que Monsieur … a fait, antérieurement à la décision entreprise, l’objet d’une mesure d’éloignement qui était sur le point d’être exécutée, ni que celle-ci était impossible à exécuter en raison de circonstances de fait ».

Les demandeurs font encore valoir qu’en considération de leur cohabitation « depuis plusieurs mois » avant la décision initiale du 12 février 2005, il existerait entre eux une vie familiale effective au sens de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 et que la mesure de placement et sa prorogation constitueraient une ingérence injustifiée dans cette vie familiale au motif que leur exécution entraînerait une rupture difficilement supportable et qu’il existerait des obstacles légitimes dans leur chef pour s’installer dans un autre pays. Ils s’emparent encore de l’article 12 de ladite Convention pour critiquer que la rétention administrative de Monsieur … aurait pour effet d’empêcher la célébration de leur mariage à laquelle il n’existerait aucun autre empêchement légal.

Ils font enfin encore valoir que le placement de Monsieur … au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig serait constitutif d’une mesure disproportionnée au regard de la loi modifiée du 28 mars 1972 précitée.

Le délégué du Gouvernement pour sa part souligne que Monsieur … a été remis en liberté en date du 14 avril 2005, parce que les autorités bosniaques refusent désormais la délivrance d’un laissez-passer, de sorte que le recours serait devenu sans objet.

Il convient de retenir que s’il est vrai qu’au jour de l’introduction du recours en réformation, tendant à obtenir la mise en liberté de Monsieur …, les demandeurs justifiaient d’un intérêt à agir, dans la mesure où Monsieur … était à cette date toujours retenu au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière, force est cependant de constater qu’au moment où le tribunal est appelé à statuer, il ne peut plus utilement faire droit à la demande lui adressée, étant donné que le demandeur a entretemps été remis en liberté.

Compte tenu de ce changement dans les circonstances de fait, les demandeurs ont néanmoins sollicité le maintien de leur recours en réformation, en en limitant toutefois la portée aux moyens de légalité et en limitant son objet à l’annulation de la décision déférée, estimant par ailleurs garder un intérêt à agir suffisant. Ils renvoient pour justifier de la persistance de leur intérêt à une décision de 2001 du tribunal administratif selon laquelle un demandeur conserverait un intérêt à obtenir une décision relativement à la légalité de la mesure, de la part de la juridiction administrative, « puisqu’en vertu d’une jurisprudence constante des tribunaux judiciaires, respectivement la réformation ou l’annulation des décisions administratives individuelles constitue une condition nécessaire pour la mise en œuvre de la responsabilité des pouvoirs publics du chef du préjudice causé, le cas échéant, aux particuliers par les décisions en question ».

Le délégué du Gouvernement ne prend pas du tout position sur la question de l’intérêt à agir des demandeurs.

Si dans une matière dans laquelle la loi a institué un recours en réformation, le demandeur conclut à la seule annulation de la décision attaquée, le recours est néanmoins recevable dans la mesure où le demandeur se borne à invoquer des moyens de légalité1 et que l’intérêt à agir du demandeur reste vérifié par rapport à cette demande.

Si stricto sensu l’intérêt à agir est à apprécier au moment de l’introduction du recours, il n’en reste en effet pas moins que dans le cadre d’un recours au fond, où le tribunal est amené à cristalliser son analyse au jour où il statue, le maintien de cet intérêt à agir doit être vérifié au jour du jugement2.

Etant donné qu'il appartient au demandeur de démontrer son intérêt, le juge administratif doit seulement avoir égard à ce que le demandeur avance à ce sujet.

A cet égard, les demandeurs soutiennent qu’ils conserveraient un intérêt en ce sens que l’obtention d’une décision d’annulation serait la condition nécessaire pour poursuivre une action en dommages et intérêts contre l’Etat devant les juridictions de l’ordre judiciaire.

Force est cependant de constater que la jurisprudence civile invoquée par les demandeurs n’est plus constante mais largement fluctuante alors que dans certains cas, elle a retenu que « le fait que la partie demanderesse n’a pas introduit un recours devant les autorités administratives compétentes pour obtenir l’annulation respectivement la réformation de la décision administrative prise en cause, ne l’empêche pas d’introduire, devant les juridictions judiciaires, une demande en allocation de dommages et intérêts à titre d’indemnisation pour ses prétendus préjudices subis à cause du comportement de 1 Cf. Trib. adm. 3 mars 1997, n° 9693, Pas. adm. 2004, V° Recours en réformation, n° 2, p. 661 2 Cf. Trib. adm. 8 décembre 2004, n° 18133, www.ja.etat.lu l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg et des communes… »3. Il y a par ailleurs lieu de relever que la loi du 1er septembre 1988 relative à la responsabilité de l’Etat et des collectivités publiques permet de poursuivre leur responsabilité sans avoir à fournir la preuve d’une faute dans leur chef.

Il s’ensuit qu’au vu de la situation juridique actuelle, l’obtention d’un jugement d’annulation, respectivement de réformation peut faciliter une demande d'indemnité au juge judiciaire, mais ne constitue plus une condition nécessaire pour la mise en œuvre de la responsabilité des pouvoirs publics. Dès lors, l’intérêt avancé par les demandeurs à obtenir l’annulation de la décision déférée ne constitue qu’un aspect accessoire de l'intérêt, qui est en premier lieu de faire disparaître l'acte attaqué de l'ordre juridique, ce qui est la finalité du recours en annulation auprès des juridictions administratives.

Or, en l’espèce, l’annulation sollicitée tend moins à faire anéantir un acte illégal – qui a cessé de produire tout effet, étant donné que Monsieur … a été libéré – qu’à faciliter aux demandeurs, grâce à une décision d’annulation, l’introduction d’une éventuelle action en responsabilité de l’Etat devant les juridictions ordinaires.

Dès lors, la seule possibilité invoquée par les demandeurs d’une action judiciaire en paiement de dommages et intérêts, à défaut d’indication de tout autre intérêt administratif, ne suffit pas à justifier qu’ils possèdent l’intérêt légal requis.

En effet, la thèse suivant laquelle l’introduction ou le projet d’introduire une action en responsabilité suffiraient à eux seuls, à justifier l’existence d’un intérêt pour agir devant les juridictions administratives aboutirait à vider de sa substance la condition de recevabilité que constitue l’exigence d’un intérêt et à dénaturer le recours objectif en annulation devant les juridictions administratives.

Il suit de l’ensemble des développements qui précèdent qu’à défaut d’intérêt à agir suffisant maintenu au jour où le tribunal est amené à statuer, le recours encourt l’irrecevabilité.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

déclare le recours irrecevable ;

condamne les demandeurs aux frais.

3 Voir notamment trib. arr. (1er section), 1er mars 2004, n° 75235 et 78302 du rôle, confirmé par arrêt civil du 23 mars 2005, n° 29004 et 29070 du rôle) Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique extraordinaire du 22 avril 2005 par :

Mme Thomé, juge, Mme Gillardin, juge, M. Sünnen, juge, s. Schmit s. Thomé 6


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 19656
Date de la décision : 22/04/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-04-22;19656 ?

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