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21/04/2005 | LUXEMBOURG | N°19652

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 21 avril 2005, 19652


Tribunal administratif Numéro 19652 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 avril 2005 Audience publique extraordinaire du 21 avril 2005 Recours formé par Monsieur … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de rétention administrative

JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 19652 du rôle, déposée le 12 avril 2005 au greffe du tribunal administratif par Maître Nicky STOFFEL, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, déclarant être né l

e … (Moldavie) actuellement placé au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situ...

Tribunal administratif Numéro 19652 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 avril 2005 Audience publique extraordinaire du 21 avril 2005 Recours formé par Monsieur … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de rétention administrative

JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 19652 du rôle, déposée le 12 avril 2005 au greffe du tribunal administratif par Maître Nicky STOFFEL, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, déclarant être né le … (Moldavie) actuellement placé au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière de Schrassig, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 1er avril 2005 ordonnant pour la deuxième fois la prorogation de son placement pour une nouvelle durée d’un mois audit Centre pour une durée maximale d’un mois à partir de la notification de la décision ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 15 avril 2005 ;

Vu le mémoire en réplique déposé par Maître Nicky STOFFEL au greffe du tribunal administratif le 18 avril 2005 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Entendu le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du Gouvernement Jean-Paul REITER en sa plaidoirie à l’audience publique du 20 avril 2005.

Monsieur … fut condamné par un jugement du 4 mars 2004 rendu par le tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, chambre correctionnelle, à une peine d’emprisonnement de 4 ans pour vol qualifié, tentative de vol qualifié et association de malfaiteurs.

Il interjeta appel contre ce jugement, appel qui n’a pas encore été vidé.

1 Le 1er février 2005, la Cour d’appel, siégeant en matière correctionnelle, ordonna la mise en liberté provisoire du détenu en la subordonnant à un cautionnement de 2.000 €.

Au moment de sa libération de prison, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration prit le 2 février 2005 une décision plaçant Monsieur … au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig pour une durée maximum d’un mois à partir de la notification de ladite décision dans l’attente de son éloignement du territoire luxembourgeois.

Cette décision fut prorogée une première fois en date du 3 mars 2005.

Par une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 1er avril 2005, notifiée le 4 avril 2005, la mesure de placement fut prorogée pour une nouvelle durée d’un mois à partir de sa notification sur base des motifs et considérations suivants :

« Vu l’article 15 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant l’entrée et le séjour des étrangers ;

Vu le règlement grand-ducal du 20 septembre 2002 créant un Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière ;

Vu mes arrêtés pris en date des 2 février 2005, notifié le 4 février 2005 et 3 mars 2005 décidant du placement temporaire de l’intéressé ;

Considérant que l’intéressé est démuni de toute pièce d’identité et de voyage valable ;

- qu’il ne dispose pas de moyens d’existence personnels légalement acquis ;

- qu’il se trouve en séjour irrégulier au pays ;

Considérant que l’intéressé n’est pas citoyen de la République de Moldavie ;

Considérant qu’un laissez-passer a été demandé aux autorités roumaines ;

- qu’en attendant l’émission de ce document, l’éloignement immédiat de l’intéressé n’est pas possible ;

Considérant qu’il existe un risque de fuite, alors que l’intéressé est susceptible de se soustraire à la mesure d’éloignement ».

Par requête déposée le 12 avril 2005 au greffe du tribunal administratif, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation, sinon en annulation à l’encontre de la décision ministérielle du 1er avril 2005 portant prorogation de son placement.

Etant donné que l’article 15, paragraphe (9) de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1. l’entrée et le séjour des étrangers ; 2. le contrôle médical des étrangers ; 3.

l’emploi de la main-d’œuvre étrangère, institue un recours de pleine juridiction contre une décision de placement, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit contre ladite décision. Ledit recours ayant, par ailleurs, été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable. Le recours en annulation introduit en ordre subsidiaire est dès lors irrecevable.

Il convient d’examiner en premier lieu, le défaut de motivation de la décision litigieuse soulevé par le demandeur, en ce qu’elle ne ferait qu’énoncer, « de façon lapidaire », qu’il manquerait de moyens d’existence personnels et qu’il serait en séjour irrégulier au pays.

2Le délégué du Gouvernement répond que ce moyen laisserait d’être fondé dans la mesure où la décision de placement serait motivée à suffisance au regard des obligations légales.

Dans la mesure où la décision litigieuse fait référence à l’absence de papiers d’identité, à l’absence de moyens d’existence personnels, à la situation irrégulière du demandeur au pays, de même qu’aux démarches d’ores et déjà entreprises afin d’organiser son éloignement, le reproche tenant à l’absence de motivation manque tant en fait qu’en droit, de sorte que le moyen afférent est à abjuger.

Monsieur … fait ensuite valoir que la décision de rétention ne se référerait pas à un arrêté de refus d’entrée et de séjour. Il estime qu’une telle décision devrait exister pour justifier la mesure de placement, de sorte que la loi modifiée du 28 mars 1972 aurait été violée.

Le délégué du Gouvernement fait valoir qu’il serait de jurisprudence qu’« aucune disposition législative ou réglementaire ne déterminant la forme d’une décision de refoulement, celle-ci est censée avoir été prise par le ministre de la Justice à partir du moment où les conditions de forme et de fond justifiant un refoulement, telles que déterminées par l’article 12 de la loi modifiée du 28 mars 1972, précitée sont remplies, et où, par la suite, une mesure de placement a été décidée à l’encontre de l’intéressé. En effet, une telle décision de refoulement est nécessairement sous-jacente à la décision de mise à la disposition du Gouvernement à partir du moment où il n’existe pas d’arrêté d’expulsion ».

En l’espèce, Monsieur … n’a pas fait l’objet d’une décision d’expulsion.

Il est encore constant qu’aucune décision explicite de refoulement n’a été prise à son encontre.

Dans la mesure où aucune disposition législative ou réglementaire ne détermine la forme d’une décision de refoulement, il y a lieu d’admettre que celle-ci est censée avoir été prise par le ministre compétent à partir du moment où les conditions de forme et de fond justifiant un refoulement, telles que déterminées par l’article 12 de la loi modifiée du 28 mars 1972 sont remplies, et où, par la suite, une décision de rétention a été prise à l’encontre de l’intéressé. En effet, une telle décision de refoulement doit être nécessairement sous-jacente à la décision de rétention à partir du moment où il n’existe pas d’arrêté d’expulsion.1 Il convient partant d’examiner si la décision de placement est basée sur une mesure de refoulement qui, en vertu de l’article 12 de la loi modifiée du 28 mars 1972, peut être prise, « sans autre forme de procédure que la simple constatation du fait par un procès-verbal », à l’égard d’étrangers non autorisés à résidence :

« 1) qui sont trouvés en état de vagabondage ou de mendicité ou en contravention à la loi sur le colportage ;

2) qui ne disposent pas de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour ;

1 TA 27 juin 2001, Pas. adm. 2004, V° Etrangers, III. Rétention, n° 299, p. 267.

3 3) auxquels l’entrée dans le pays a été refusée en conformité de l’article 2 de [la loi du 28 mars 1972] ;

4) qui ne sont pas en possession des papiers de légitimation prescrits et de visa si celui-ci est requis ;

5) qui, dans les hypothèses prévues à l’article 2 paragraphe 2 de la Convention d’application de l’accord de Schengen, sont trouvés en contravention à la loi modifiée du 15 mars 1983 sur les armes et munitions ou sont susceptibles de compromettre la sécurité, la tranquillité ou l’ordre publics ».

Dès lors, étant donné que Monsieur … ne dispose ni de moyens d’existence personnels suffisants, ni des papiers d’identité requis (hypothèses visées sous le numéro 2 et 4), une mesure de refoulement a pu être valablement prise. L’existence d’une décision de refus d’entrée et de séjour prise en conformité de l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 ne constitue qu’un cas de figure parmi les 5 cas de figure énumérés par l’article 12 permettant de prendre une mesure d’éloignement, de sorte que l’absence d’une telle décision de refus d’entrée et de séjour est sans conséquence, en présence d’un étranger rentrant dans un des autres cas de figure.

Dans son mémoire en réplique, Monsieur … demande acte qu’il vient de formuler à l’adresse du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration une demande en admission au statut d’apatride conformément à la Convention de New York du 28 septembre 1954. Il estime que dans la mesure où la procédure serait suspensive, il y aurait lieu d’ordonner la mainlevée de la mesure de rétention, comme la demande formulée l’autoriserait à résider sur le territoire luxembourgeois pendant la durée de traitement de sa demande.

A l’audience publique, le délégué du Gouvernement rétorque qu’aucun effet suspensif ne serait attaché à la procédure d’admission au statut d’apatride.

S’il est certes exact que Monsieur … a introduit en date du 18 avril 2005 une demande d’admission au statut d’apatride, il n’en reste pas moins qu’à défaut de disposition légale prévoyant un droit au séjour pendant la procédure d’examen de la demande d’admission au statut d’apatride, le demandeur ne saurait valablement soutenir que la simple introduction d’une demande d’admission au statut d’apatride l’autoriserait à séjourner au Luxembourg.

A cela s’ajoute que même si aux termes de la Convention de New York du 28 septembre 1954 l’apatride jouit d’un certain nombre de droits, il faut d’abord que cette qualité lui soit officiellement reconnue, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

Monsieur … estime enfin que le délai nécessité par le ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration pour organiser la délivrance d’un laissez-passer serait trop long. Il fait valoir qu’il aurait déjà fait aux Pays-Bas l’objet d’une mesure de rétention et que les autorités néerlandaises auraient entrepris les mêmes démarches que celles actuellement faites par les autorités luxembourgeoises. Il ajoute que le ministère disposerait depuis le mois de février 2005 (suivant informations obtenues au greffe du CPL) d’une copie intégrale des documents néerlandais et des recherches déjà infructueuses faites aux Pays-Bas. Il souligne qu’il aurait fait informer le ministère compétent qu’il n’aurait ni la nationalité roumaine, ni la nationalité moldave et que ni la Moldavie, ni la Roumanie ne voudraient le reprendre.

Le délégué du Gouvernement fait état des démarches entreprises.

4En ce qui concerne l’absence de démarches suffisantes entreprises et par conséquent l’absence de « nécessité absolue » en résultant, pourtant nécessaire à la prorogation de la décision de placement, il appartient au tribunal d’analyser si le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration a pu se baser sur des circonstances permettant de justifier l'existence d'une nécessité absolue rendant la prorogation de la décision de placement inévitable.

En effet, l’article 15, paragraphe 2 de la loi pré visée du 28 mars 1972 dispose que « la décision de placement (…) peut, en cas de nécessité absolue, être reconduite par le ministre de la Justice à deux reprises, chaque fois pour la durée d’un mois ».

Il résulte des pièces versées au dossier qu’au moment de la deuxième prorogation, à savoir au 1er avril 2005, les autorités luxembourgeoises n’avaient pas encore réussi à déterminer la nationalité du demandeur. Il résulte d’un rapport de police n° 15/566/2005/THO daté du 18 mars 2005 que le demandeur déclare être apatride, être né en Moldavie sans être en possession de papiers d’identité, d’avoir quitté la Moldavie à l’âge de 14-15 ans, pour aller ensuite en Ukraine, puis en Italie, au Luxembourg et aux Pays-Bas où il a été emprisonné pour revenir ensuite au Luxembourg. Les autorités luxembourgeoises ont ensuite contacté en date du 31 mars 2005 l’ambassade de Roumanie afin de s’enquérir sur la nationalité du demandeur après une démarche infructueuse auprès de l’ambassade de Moldavie.

Etant donné que les autorités luxembourgeoises ont contacté en date du 31 mars 2005 les autorités roumaines, il y a lieu d’admettre, au vu des circonstances de l’affaire, que les autorités luxembourgeoises ont entrepris des démarches suffisantes. En effet, en présence des déclarations du demandeur non autrement étayées, si ce n’est par un courrier de l’ambassade de Moldavie déclarant que le demandeur n’est pas citoyen de la République de Moldavie, des mesures de vérification de l’identité de Monsieur … et des consultations avec les autorités étrangères étaient indispensables, mesures compliquées par le fait que l’Etat d’origine effectif du demandeur n’est pas établi en l’espèce.

A cela s’ajoute que le demandeur a lui-même seulement déposé en cours de cette procédure contentieuse, à savoir en date du 18 avril 2005 il y a à peine trois jours, une demande d’admission au statut d’apatride bien qu’il se trouve déjà depuis au moins début 2002 en situation irrégulière au Luxembourg, de sorte qu’il est malvenu à reprocher aux autorités luxembourgeoises une prétendue lenteur dans la procédure. Pour le surplus, les affirmations que les autorités luxembourgeoises auraient été en possession début février 2005 de ses documents néerlandais et qu’il les aurait pour le surplus informées sur sa situation restent en l’état de pure allégation. Les seules pièces dont le tribunal dispose ayant trait à des déclarations du demandeur quant à sa situation datent des 18 mars et 18 avril 2005.

Au vu de ce qui précède, le recours sous analyse est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

5 au fond le déclare non justifié et en déboute ;

déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique extraordinaire du 22 avril 2005 par :

Mme Thomé, juge, Mme Gillardin, juge, M. Sünnen, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

Schmit Thomé 6


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 19652
Date de la décision : 21/04/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-04-21;19652 ?

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