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21/04/2005 | LUXEMBOURG | N°19646

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 21 avril 2005, 19646


Tribunal administratif N° 19646 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 avril 2005 Audience publique extraordinaire du 21 avril 2005 Recours formé par Madame … et Monsieur …, …, contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de rétention administrative

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19646 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 12 avril 2005 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, de nationa

lité portugaise, demeurant à L-…, et de Monsieur …, ressortissant cap-verdien, actuellem...

Tribunal administratif N° 19646 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 avril 2005 Audience publique extraordinaire du 21 avril 2005 Recours formé par Madame … et Monsieur …, …, contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de rétention administrative

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19646 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 12 avril 2005 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, de nationalité portugaise, demeurant à L-…, et de Monsieur …, ressortissant cap-verdien, actuellement retenu au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig, tendant à la réformation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 5 avril 2005, ayant ordonné son placement audit Centre de séjour ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 15 avril 2005 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, en remplacement de Maître Louis TINTI, et Monsieur le délégué du Gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 20 avril 2005.

Par arrêté du 5 avril 2005, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration ordonna le placement de Monsieur … pour la durée d’un mois au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig en attendant son éloignement du territoire luxembourgeois. Ladite décision est basée sur les considérations suivantes :

« Vu l’article 15 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant l’entrée et le séjour des étrangers ;

Vu le règlement grand-ducal du 20 septembre 2002 créant un Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière ;

Vu le rapport n° 277-2005 du 5 avril 2005 établi par la Police grand-ducale, C.P. Ville Haute, Luxembourg ;

Considérant que l’intéressé est dépourvu du visa requis ;

- qu’il ne dispose pas de moyens d’existence personnels légalement acquis ;

- qu’il se trouve en séjour irrégulier au pays ;

Considérant que l’éloignement immédiat de l’intéressé n’est pas possible ;

Considérant qu’il existe un risque de fuite, alors que l’intéressé est susceptible de se soustraire à la mesure d’éloignement ;

Par requête déposée le 12 avril 2005, Madame …, de nationalité portugaise, déclarant être la fiancée de Monsieur …, ainsi que Monsieur … lui-même ont introduit le recours qui leur est ouvert en vertu de l’article 15 (9) de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1) l’entrée et le séjour des étrangers ; 2) le contrôle médical des étrangers ; 3) l’emploi de la main-d’œuvre étrangère, à l’encontre de la décision ministérielle du 5 avril 2005.

Conformément à la disposition légale invoquée par les demandeurs, le tribunal est compétent pour statuer en tant que juge du fond en la présente matière, de sorte à être amené à apprécier le dossier lui soumis à la date où il statue. Le recours ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable A l’appui de leur recours, les demandeurs critiquent la décision déférée pour se fonder sur un prétendu risque de fuite dans le chef de Monsieur…, et font exposer que l’existence d’un tel danger de fuite dans son chef ne serait pas établie, alors qu’il appartiendrait aux autorités de rapporter concrètement la preuve d’un tel risque.

Ils font encore valoir que la décision de placement serait contraire aux critères fixés par la jurisprudence, alors qu’un placement ne se justifierait que lorsque la personne frappée d’une telle mesure constituerait « un danger pour l’ordre public », ce qui ne serait pas le cas de Monsieur….

Ils estiment encore que les autorités luxembourgeoises n'auraient pas entrepris tous les efforts en vue d'assurer dans les délais les plus brefs l’éloignement de Monsieur…, en relevant que l’identité du demandeur aurait pourtant pu être établie sans aucune difficulté lors de son arrestation.

Les demandeurs estiment enfin que la décision de placement viole l’article 12 de la Convention européenne des droits de l’homme, en faisant valoir que la décision déférée constituerait une entrave à leur droit fondamental au mariage, garanti par cette disposition.

En ce qui concerne l’existence d’un danger de fuite, le délégué du Gouvernement fait valoir pour sa part qu’au vu du fait que le demandeur se serait trouvé en séjour irrégulier au Luxembourg depuis octobre 2004, sans avoir jamais tenté la moindre formalité en vue de régulariser sa situation, il serait évident qu’un tel danger de fuite existerait dans son chef.

Le délégué du Gouvernement conteste encore toute violation des dispositions de la Convention européenne des droits de l’homme, en relevant que rien n’interdirait aux demandeurs de se marier, et notamment de se marier au Cap-Vert, dont les deux demandeurs sont originaires.

Il souligne enfin que le rapatriement du demandeur s’effectuera le 22 avril 2005, de sorte qu’un manque de diligences ne saurait être reproché aux autorités luxembourgeoises.

En ce qui concerne la question de l’existence d’un risque de fuite dans le chef du demandeur…, force est de constater que l’article 15 de la loi modifiée du 28 mars 1972 précitée ne pose aucune exigence explicite afférente à l’existence d’un risque de fuite.

Il convient de surcroît de retenir que le demandeur rentre directement dans les prévisions de la définition des « retenus », telle que consacrée à l’article 2 du règlement grand-ducal du 20 septembre 2002 créant un Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière et modifiant le règlement grand-ducal du 24 mars 1989 concernant l’administration et le régime interne de l’établissement pénitentiaire, et que la mise en place d’un Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière repose précisément sur la prémisse qu’au-delà de toute considération tenant à une dangerosité éventuelle des personnes concernées, celles-ci, eu égard au seul fait de l’irrégularité de leur séjour et de l’imminence de l’exécution d’une mesure d’éloignement dans leur chef, présentent en principe et par essence un risque de se soustraire à la mesure d’éloignement, fût-il minime, de sorte que la rétention de Monsieur… dans ledit Centre de séjour est en l’espèce justifiée dans son principe, ceci afin d’éviter que l’exécution de la mesure prévue ne soit compromise. En effet, il lui appartient de renverser cette présomption de l’existence d’un risque de fuite dans son chef et non pas à l’autorité ministérielle d’en établir l’existence.

Le tribunal tient par ailleurs à relever, à titre superfétatoire, que contrairement aux affirmations du demandeur selon lesquelles il n’aurait jamais tenté de cacher son intention aux autorités luxembourgeoises, il ressort du rapport n° 277-2005 du 5 avril 2005 établi par la Police grand-ducale, C.P. Ville Haute, Luxembourg, que le demandeur, lors de son interpellation en date du 5 avril 2004 a refusé de présenter ses documents d’identité, et a refusé par la suite de révéler aux agents la situation de ses biens personnels, qui auraient permis d’identifier son lieu de séjour.

En ce qui concerne le moyen des demandeurs selon lequel la décision déférée serait contraire aux critères fixés par la jurisprudence, le demandeur ne rencontrant pas l’exigence de devoir constituer « un danger pour l’ordre public », force est là encore de constater que l’article 15 de la loi modifiée du 28 mars 1972 précitée ne soumet pas la validité d’une mesure de rétention à une telle condition relative à la dangerosité de la personne placée en rétention.

En ce qui concerne la condition inscrite à l’article15, paragraphe (1), alinéa 1er de la loi modifiée du 28 mars 1972 précitée, à savoir l’impossibilité de l’éloignement de l’étranger en raison de circonstances de fait, force est de constater que le demandeur, originaire du Cap-Vert se trouve en situation irrégulière au Luxembourg. Or, l’organisation des modalités juridiques et pratiques inhérentes au rapatriement du demandeur nécessitant un certain délai, d’autant plus lorsque celles-ci impliquent un rapatriement par avion, il peut dès lors être valablement estimé que l’exécution immédiate de la mesure d’éloignement est impossible (voir trib. adm. 6 juin 2002, n° 14975, Pas. adm. 2004, V° Etrangers, n° 302, p.267 et autres références y citées).

Par ailleurs, eu égard aux précisions apportées en cours d’instance contentieuse par le délégué du Gouvernement au sujet des démarches entreprises en vue d’organiser l’éloignement de Monsieur…, démarches ayant été entamées dès le 6 avril 2005, soit le lendemain du placement du demandeur, et devant aboutir le 22 avril 2005, force est en effet de constater que les reproches d’ordre général afférents formulés par les demandeurs ne sont pas de nature à énerver la régularité de la décision litigieuse pour ne pas être vérifiés en fait.

Enfin, en ce qui concerne le moyen des demandeurs relatif à une prétendue atteinte à leur droit de se marier, force est de constater que ce moyen de réformation, tel que développé dans le cadre de la requête introductive d’instance ainsi qu’au cours des plaidoiries, n’est pas de nature à invalider la légalité ou l’opportunité de la décision de placement, étant donné qu’il vise en réalité non pas la mesure de placement, mais la mesure de refoulement. En effet, il se dégage de l’argumentation développée par les demandeurs qu’ils estiment que leur projet de mariage serait mis en cause non pas par l’effet du placement provisoire du demandeur dans le Centre de séjour, mais par l’effet de la séparation résultant de son éloignement du pays.

Cette même analyse s’applique également au moyen supplémentaire avancé par les demandeurs en termes de plaidoiries et ayant trait à l’état de grossesse de Madame …, un tel moyen, tiré manifestement de la violation de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, étant étranger à la question de la légalité ou de l’opportunité de la mesure de rétention de Monsieur….

Or, comme la décision de refoulement constitue une décision distincte de la décision de placement et que seule cette dernière fait l’objet du recours sous analyse, il s’ensuit que les moyens précités tirés de la violation des articles 8 et 12 de la Convention européenne des droits de l’homme sont hors propos dans la présente espèce (trib. adm., 8 septembre 2003, n° 17024, Pas. adm. 2004, v° Etrangers, n° 288, p. 265 et autres références y citées) et faute d’un quelconque autre moyen visant directement la mesure de placement, les demandeurs sont à débouter de leur recours.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique extraordinaire du 21 avril 2005 par :

Mme Thomé, juge, Mme Gillardin, juge, M. Sünnen, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Thomé Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 21.4.2005 Le Greffier en chef du Tribunal administratif 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 19646
Date de la décision : 21/04/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-04-21;19646 ?

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