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21/04/2005 | LUXEMBOURG | N°19641

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 21 avril 2005, 19641


Tribunal administratif Numéro 19641 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 11 avril 2005 Audience publique extraordinaire du 21 avril 2005 Recours formé par Monsieur … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de rétention administrative

JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 19641 du rôle, déposée le 11 avril 2005 au greffe du tribunal administratif par Maître Nicky STOFFEL, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … , de nation

alité sierra-léonaise, actuellement placé au Centre de séjour provisoire pour étrangers...

Tribunal administratif Numéro 19641 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 11 avril 2005 Audience publique extraordinaire du 21 avril 2005 Recours formé par Monsieur … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de rétention administrative

JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 19641 du rôle, déposée le 11 avril 2005 au greffe du tribunal administratif par Maître Nicky STOFFEL, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … , de nationalité sierra-léonaise, actuellement placé au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière de Schrassig, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 25 mars 2005 ordonnant son placement audit Centre pour une durée maximale d’un mois à partir de la notification de la décision ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 13 avril 2005 ;

Vu le mémoire en réplique déposé par Maître Nicky STOFFEL au greffe du tribunal administratif le 18 avril 2005 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Entendu le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du Gouvernement Jean-Paul REITER en sa plaidoirie à l’audience publique du 20 avril 2005.

Monsieur … introduisit en date du 27 novembre 2002 auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

1Par une décision du ministre de la Justice du 14 novembre 2003, confirmée par le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration le 30 septembre 2004, Monsieur… fut exclu de la procédure d’asile en application de l’article 1 F) de la Convention de Genève.

Par un jugement du tribunal administratif du 14 février 2005 (n° du rôle 18807), Monsieur… fut débouté de son recours introduit à l’encontre de la décision l’excluant de la procédure d’asile.

Monsieur… fut condamné par un jugement du 23 mars 2004 par le tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, chambre correctionnelle, à une peine d’emprisonnement de 18 mois pour toxicomanie, recel et vols.

Au moment de sa libération de prison, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, ci-après « le ministre » prit en date du 25 mars 2005 une décision refusant à Monsieur… l’entrée et le séjour au pays.

En date du même jour, le ministre prit alors à l’encontre de Monsieur… une décision de placement au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig pour une durée maximale d’un mois à partir de la notification de la décision en question, en attendant son éloignement du territoire luxembourgeois.

La décision de placement du 25 mars 2005 est libellée comme suit :

« Vu l’article 15 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant l’entrée et le séjour des étrangers ;

Vu le règlement grand-ducal du 20 septembre 2002 créant un Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière ;

Vu les rapports de police n° 55705 du 3 octobre 2005 ;

Vu mon arrêté de refus d’entrée et de séjour du 25 mars 2005 ;

Considérant que l’intéressé a été exclu de la procédure d’asile conformément à l’article 1 F) de la convention de Genève ;

Considérant que l’intéressé ne dispose ni d’un titre de voyage, ni d’un document d’identité valable ;

-

qu’il ne dispose pas de moyens d’existence personnels ;

-

qu’il se trouve en séjour irrégulier au pays ;

-

qu’il constitue un danger pour l’ordre et la sécurité publics ;

Considérant qu’un éloignement immédiat de l’intéressé n’est pas possible, étant donné qu’une demande d’obtention d’un titre de voyage doit être adressée aux autorités compétentes ;

Considérant qu’il existe un risque de fuite, alors que l’intéressé est susceptible de se soustraire à la mesure d’éloignement dans l’attente de l’établissement d’un titre de voyage par les autorités compétentes … ».

Par requête déposée le 11 avril 2005 au greffe du tribunal administratif, Monsieur… a fait introduire un recours en réformation, sinon en annulation à l’encontre de la décision ministérielle de placement du 25 mars 2005.

Etant donné que l’article 15, paragraphe (9) de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1. l’entrée et le séjour des étrangers ; 2. le contrôle médical des étrangers ; 3.

2l’emploi de la main-d’œuvre étrangère, institue un recours de pleine juridiction contre une décision de placement, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit contre la décision litigieuse. Ledit recours ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable. Le recours en annulation introduit en ordre subsidiaire est dès lors irrecevable.

Le tribunal n’étant pas tenu de suivre l’ordre dans lequel les moyens sont présentés par le demandeur, mais dans l’intérêt de l’administration de la justice sinon de la logique inhérente aux éléments de fait et de droit touchés par les moyens soulevés, pouvant les traiter dans un ordre différent, il convient en premier lieu d’examiner le moyen tiré du défaut de motivation.

Le demandeur reproche à cet égard au ministre d’énoncer « de façon lapidaire », qu’il manquerait de moyens d’existence personnels, qu’il serait en séjour irrégulier au pays et qu’il constituerait par son comportement personnel un danger pour l’ordre et la sécurité publics.

Le délégué du Gouvernement répond que ce moyen laisserait d’être fondé dans la mesure où la décision de placement serait motivée à suffisance tant en fait qu’en droit.

Dans la mesure où la décision litigieuse fait référence aux rapports de police dressés à son encontre, à l’arrêté de refus d’entrée et de séjour et à sa situation irrégulière au pays, le reproche tenant à l’absence de motivation manque tant en fait qu’en droit, de sorte que le moyen afférent est à abjuger.

Monsieur… fait ensuite valoir que la décision de rétention aurait été prise en l’absence d’une décision formelle d’expulsion préalable et ajoute qu’il n’aurait pas connaissance de l’existence d’une mesure d’expulsion prise à son encontre, de sorte que l’article 15 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant l’entrée et le séjour des étrangers aurait été violé.

Le délégué du Gouvernement fait valoir qu’il serait de jurisprudence qu’« aucune disposition législative ou réglementaire ne déterminant la forme d’une décision de refoulement, celle-ci est censée avoir été prise par le ministre de la Justice à partir du moment où les conditions de forme et de fond justifiant un refoulement, telles que déterminées par l’article 12 de la loi modifiée du 28 mars 1972, précitée sont remplies, et où, par la suite, une mesure de placement a été décidée à l’encontre de l’intéressé. En effet, une telle décision de refoulement est nécessairement sous-jacente à la décision de mise à la disposition du Gouvernement à partir du moment où il n’existe pas d’arrêté d’expulsion ».

En l’espèce, Monsieur… n’a pas fait l’objet d’une décision d’expulsion.

Il est encore constant qu’aucune décision explicite de refoulement n’a été prise à son encontre.

Dans la mesure où aucune disposition législative ou réglementaire ne détermine la forme d’une décision de refoulement, il y a lieu d’admettre que celle-ci est censée avoir été prise par le ministre compétent à partir du moment où les conditions de forme et de fond justifiant un refoulement, telles que déterminées par l’article 12 de la loi modifiée du 28 mars 1972 sont remplies, et où, par la suite, une décision de rétention a été prise à l’encontre de 3l’intéressé. En effet, une telle décision de refoulement doit être nécessairement sous-jacente à la décision de rétention à partir du moment où il n’existe pas d’arrêté d’expulsion.1 Il convient partant d’examiner si la décision de placement est basée sur une mesure de refoulement qui, en vertu de l’article 12 de la loi modifiée du 28 mars 1972, peut être prise, « sans autre forme de procédure que la simple constatation du fait par un procès-verbal », à l’égard d’étrangers non autorisés à résidence :

« 1) qui sont trouvés en état de vagabondage ou de mendicité ou en contravention à la loi sur le colportage ;

2) qui ne disposent pas de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour ;

3) auxquels l’entrée dans le pays a été refusée en conformité de l’article 2 de [la loi du 28 mars 1972] ;

4) qui ne sont pas en possession des papiers de légitimation prescrits et de visa si celui-ci est requis ;

5) qui, dans les hypothèses prévues à l’article 2 paragraphe 2 de la Convention d’application de l’accord de Schengen, sont trouvés en contravention à la loi modifiée du 15 mars 1983 sur les armes et munitions ou sont susceptibles de compromettre la sécurité, la tranquillité ou l’ordre publics ».

En l’espèce, le ministre des Affaires et de l’Immigration a pris en date du 25 mars 2005, une décision de refus d’entrée et de séjour à l’encontre de Monsieur…, hypothèse visée sous le numéro 3 de l’article 12 citée ci-avant. Etant donné que l’existence d’une telle décision est visée par le numéro 3 de l’article 12 comme un des motifs justifiant une mesure de refoulement, les conditions légales telles que fixées par la loi sur base desquelles une mesure de rétention a valablement pu être prise à l’encontre du demandeur se trouvent réunies en l’espèce. Le moyen afférent du demandeur est partant à rejeter.

Monsieur… fait encore valoir que les conditions justifiant son placement ne seraient pas remplies au motif qu’il a introduit appel à l’encontre du jugement du tribunal administratif du 14 février 2005 (n° du rôle 18807) l’ayant débouté de son recours introduit à l’encontre de la décision l’excluant de la procédure d’asile.

Le délégué du Gouvernement répond que le recours introduit contre une décision d’exclusion de la procédure d’asile n’aurait pas d’effet suspensif, cet effet ne serait pas prévu par la loi.

Monsieur… fait répliquer que même si la loi ne prévoyait aucun effet suspensif, cet effet devrait être implicitement retenu dans la mesure où chaque personne a le droit d’être entendu par un tribunal et de bénéficier d’un double degré de juridiction. L’Etat d’accueil devrait dès lors offrir au demandeur d’asile la possibilité d’attendre la fin de la procédure sans danger de refoulement, de sorte que les recours basés sur une décision prise en application de l’article 1 F) de la Convention de Genève devraient avoir un recours suspensif.

1 TA 27 juin 2001, n° 13611, confirmé par CA 10 juillet 2001, n° 13684C, Pas. adm. 2004, V° Etrangers, III.

Rétention, n° 299, p. 267.

4Il est constant que Monsieur… a introduit en date du 3 novembre 2004 un recours à l’encontre de la décision du ministre de la Justice du 14 novembre 2003.

A défaut de disposition légale spéciale prévoyant que le recours introduit à l’encontre d’une décision prise en application de l’article 1 F) de la Convention de Genève a un effet suspensif, il y a lieu d’appliquer les dispositions générales en la matière. Ainsi, au titre de l’article 11 de la loi du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, « le recours n’a pas d’effet suspensif s’il n’en est autrement ordonné par le président du tribunal ou par le juge qui le remplace ».

Donc, en règle générale, le recours introduit à l’encontre d’une décision administrative n’a pas d’effet suspensif.

Si l’article 35 de la loi du 21 juin 1999 citée ci-avant, prévoit « par dérogation à l’article 45, si l’exécution de la décision attaquée risque de causer au requérant un préjudice grave et définitif, le tribunal peut, dans un jugement tranchant le principal ou une partie du principal, ordonner l’effet suspensif du recours pendant le délai et l’instance d’appel », il est constant que le jugement du tribunal administratif du 14 février 2005 n’a pas ordonné l’effet suspensif du recours pendant le délai et l’instance d’appel.

S’il est également constant que Monsieur… a fait déposer en date du 16 mars 2005, une requête d’appel à l’encontre du jugement du tribunal administratif rendu le 14 février 2005, l’appel, à défaut de disposition légale spéciale est cependant dépourvu d’effet suspensif.

Dès lors, étant donné que la décision du ministre de la Justice du 14 novembre 2003 excluant Monsieur… de la procédure d’asile est pleinement exécutoire, celui-ci ne peut raisonnablement prétendre qu’il serait autorisé à séjourner au Luxembourg et à circuler librement, de sorte que le moyen afférent est à écarter. A cela s’ajoute que l’absence d’effet suspensif lié au recours introduit à l’encontre de la décision excluant l’intéressé de la procédure d’asile ne lui enlève pas la possibilité d’être entendu par un tribunal et de bénéficier du double degré de juridiction.

En ce qui concerne le moyen soulevé en ce qu’il est faux de prétendre qu’il ne disposerait pas de moyens d’existence personnels, force est de retenir qu’il s’agit d’une simple affirmation aucunement étayée par une pièce quelconque.

Enfin, Monsieur… fait encore valoir qu’il ne résulterait pas du dossier administratif qu’il aurait déjà été présenté à son ambassade à Bruxelles. Il résulterait seulement du dossier qu’une escorte vers Bruxelles aurait été demandée plus d’un mois après que l’ambassade de Belgique aurait exigé une audition personnelle ainsi qu’il résulterait d’une note au dossier.

Il y a donc lieu d’apprécier si les autorités compétentes ont entrepris les démarches nécessaires en vue d’un éloignement rapide du demandeur.

La décision de placement a été prise le 25 mars 2005. Etant donné qu’il résulte des pièces versées au dossier qu’en date du 31 mars 2005, soit le 4ième jour ouvrable après sa rétention, les autorités compétentes ont contacté le service de police judiciaire afin d’organiser le voyage du demandeur vers la Belgique afin de le présenter à l’ambassade de la République 5du Sierra Leone, le demandeur ne saurait mettre en cause une prétendue lenteur dans l’exécution de son l’éloignement.

S’il est vrai qu’il résulte d’une note au dossier datée du 24 février 2005 que l’ambassade du Sierra Leone à Bruxelles désire que Monsieur… se déplace en Belgique, force est de constater que les démarches afin d’organiser l’éloignement de Monsieur… ont commencé dès le mois de décembre 2004 au moment où Monsieur… était encore emprisonné pour purger sa peine. Ce n’est qu’au moment de sa libération de prison que les démarches pratiques afin d’organiser son éloignement ont pu commencer. Le demandeur ne saurait dès lors pas reprocher aux autorités compétentes d’avoir entrepris les démarches administratives en vue de son éloignement pendant sa détention, c’est-à-dire bien avant sa rétention dans un souci de l’écourter au maximum.

Au vu de ce qui précède, le recours sous analyse est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique extraordinaire du 21 avril 2005 par :

Mme Thomé, juge, Mme Gillardin, juge, M. Sünnen, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Thomé 6


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 19641
Date de la décision : 21/04/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-04-21;19641 ?

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