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20/04/2005 | LUXEMBOURG | N°19029

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 20 avril 2005, 19029


Tribunal administratif N° 19029 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 16 décembre 2004 Audience publique du 20 avril 2005 Recours formé par Monsieur …, Schrassig contre une décision du ministre de la Justice et une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19029 du rôle et déposée le 16 décembre 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Nicky STOFFEL, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom d

e Monsieur …, né le … à Freetown (Sierra Leone), de nationalité sierra-léonaise, actue...

Tribunal administratif N° 19029 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 16 décembre 2004 Audience publique du 20 avril 2005 Recours formé par Monsieur …, Schrassig contre une décision du ministre de la Justice et une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19029 du rôle et déposée le 16 décembre 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Nicky STOFFEL, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Freetown (Sierra Leone), de nationalité sierra-léonaise, actuellement détenu au Centre pénitentiaire de Schrassig, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 21 juillet 2004, rejetant sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme étant non fondée, telle que cette décision a été confirmée sur recours gracieux par le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration le 15 novembre 2004 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 8 février 2005 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 3 mars 2005 en nom et pour compte du demandeur ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Monsieur le délégué du gouvernement Gilles ROTH en sa plaidoirie.

________________________________________________________________________

Le 2 avril 2003, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour, Monsieur … fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il fut entendu en date des 11 et 25 juillet 2003 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Le ministre de la Justice l’informa par décision du 21 juillet 2004, lui notifiée en mains propres le 24 septembre 2004, que sa demande avait été rejetée. Cette décision est libellée comme suit :

« Il résulte de vos déclarations que vous auriez été arrêté et notamment emprisonné sans aucune explication en septembre-octobre 2002, durant 3 mois, en raison d’articles que vous auriez rédigés en tant que journaliste, critiquant le pouvoir en place. Vous expliquez qu’il n’y aurait pas de démocratie dans votre pays. Après trois mois d’incarcération accompagnée de mauvais traitements, un des gardiens qui aurait été en relation avec un ami à vous, vous aurait fait sortir de la prison. Vous vous seriez rendu ensuite à pieds au port pour prendre un bateau et quitter le pays tout d’abord pour Conakry puis un second bateau vous aurait amené à Naples. Vous précisez ne pas avoir demandé l’asile en Italie parce que les autorités italiennes ne donneraient pas l’asile, de plus vous auriez vécu dans de mauvaises conditions, de sorte que vous auriez décidé de quitter ce pays.

Vous ajoutez être simple membre du parti opposant APC (all people congress).

Vous dites que le parti au pouvoir vous aurait fait arrêter en 2000-2001 en raison de cette appartenance politique cependant vous auriez été relâché quelques heures plus tard, encore une fois sans explications.

Enfin, vous prétendez avoir peur de la police sierra-léonaise.

Il y a d’abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécutions au sens de la Convention de Genève.

Force est cependant de constater qu’à défaut de pièces, un demandeur d’asile doit au moins pouvoir présenter un récit crédible et cohérent. Or, il convient de relever les différentes contradictions et invraisemblances qui rendent votre récit tout à fait incrédible. En effet, tout d’abord à la question d’un séjour éventuel dans un autre pays européen, vous répondez par la négative en dehors de l’Italie. Or selon nos renseignements, vous avez été signalé en Espagne entre 1990 et 1999 sous 5 identités différentes de celle apportée au Luxembourg, de même qu’avec 3 autres dates de naissance et originaire de deux autres pays que la Sierra Léone, à savoir la Gambie, et l’Afrique du Sud. Par conséquent votre présente identité et pays de provenance sont très difficilement crédibles. De plus, vous vous trompez au début de l’audition en indiquant un autre mois de naissance, à savoir novembre au lieu d’octobre. De surcroît, au sein du rapport d’audition vous donnez comme date de fête nationale sierra-léonaise le 6 avril au lieu du 27 avril. Dans un autre contexte, vous dites avoir été arrêté qu’une seule fois cependant plus loin vous déclarez avoir été arrêté à quatre reprises. Ensuite, concernant votre trajet, vous expliquez avoir été amené en camion jusqu’au Luxembourg, cependant par la suite lors de l’audition vous parlez d’un train pris en dernier lieu, alors qu’au sein du rapport du service de Police Judiciaire vous ne mentionnez à aucun moment ce moyen de locomotion. A cela s’ajoute que votre frère se trouvant en Angleterre se nommerait « Suliman » selon vos déclarations auprès de l’agent du Ministère, cependant auprès de la Police Judiciaire vous dites qu’il s’appellerait « John ». Auprès de ces derniers, vous alléguez avoir payé 120 euros au chauffeur du camion, or au sein de l’audition il est mentionné le montant de 150 euros. Concernant le document que vous avez apporté, à savoir une copie d’acte de naissance certifiée conforme, votre frère vous l’aurait envoyée, or il est tout de même étrange qu’il ne vous ait pas par la même occasion envoyé vos papiers d’identité et votre carte de membre du parti. De plus, en matière politique, vous affirmez avoir voté aux dernières élections deux ans avant la date de l’audition, en l’occurrence en 2001, or elles ont eu lieu en 2002. Concernant le leader du APC celui-ci se nomme Koroma Ernest et non « Pa shaki », tel que vous le prétendez pourtant. Encore, l’adresse du siège du parti n’est pas exacte, la véritable étant « 137H fouray bay road » à Freetown. Enfin, vous supposez qu’il existe une association de journalistes au Sierra Léone mais vous n’en connaissez pas le nom, ce qui paraît tout de même inconcevable pour un journaliste qui se dit être dans la profession depuis au moins 5-6 ans. D’ailleurs à ce sujet, vous ne donnez aucune précision quant à la spécialité de votre journal, ni même concernant votre activité, aucun détail n’est apporté sur ce que vous faisiez exactement en tant que journaliste. Ainsi, l’ensemble de ces nombreuses constatations jettent de sérieux doutes quant à votre appartenance politique et professionnelle, respectivement à votre récit tout entier.

Par conséquent, vous n’alléguez aucune crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays. Votre demande ne répond donc à aucun des critères de fonds définis par la Convention de Genève.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par lettre du 25 octobre 2004, Monsieur … introduisit par le biais de son mandataire un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 21 juillet 2004.

Par décision du 15 novembre 2004, notifiée au demandeur en mains propres le 18 novembre 2004, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration confirma la décision initiale de refus du ministre de la Justice du 21 juillet 2004.

Par requête du 16 décembre 2004, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation, sinon en annulation contre les décisions ministérielles précitées des 21 juillet et 15 novembre 2004.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre la décision ministérielle critiquée. – Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est irrecevable.

Le délégué du gouvernement soulève l’irrecevabilité du recours en réformation pour cause d’« obscuri libelli ».

Dans son mémoire en réplique, le demandeur entend réfuter l’exception d’« obscuri libelli » en soutenant que bien que la motivation de son recours serait « succincte », le délégué du gouvernement n’aurait pas pu se méprendre sur son objet.

D’après l’article 29 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridiction administratives « l’inobservation des règles de procédure n’entraîne l’irrecevabilité de la demande que si elle a pour effet de porter effectivement atteinte aux droits de la défense ».

S’il est vrai que l’exposé des faits et moyens dans la requête introductive d’instance est sommaire, force est au tribunal de constater que la partie étatique a pu valablement organiser sa défense, au-delà des imprécisions de formulations contenues dans le libellé de la requête introductive d’instance ensemble le mémoire en réplique déposés, de même que le tribunal a par ailleurs pu percevoir la portée du recours.

Il s’ensuit qu’aux termes de l’article 29 de la loi modifiée du 21 juin 1999 précitée le moyen d’irrecevabilité pour libellé obscur est à écarter pour absence de grief effectif porté aux droits de la défense de l’Etat.

Quant au fond, le demandeur expose avoir quitté son pays d’origine, la Sierra Leone, au motif qu’il aurait fait l’objet de plusieurs arrestations pour avoir critiqué en tant que journalise le régime au pouvoir. Il précise que durant ses séjours en prison, il aurait été maltraité.

Le délégué du gouvernement soutient que les deux ministres successivement compétents auraient fait une saine appréciation de la situation du demandeur, tout en relevant que son récit ne serait pas crédible au vu des nombreuses incohérences et invraisemblances contenues dans les déclarations de celui-ci, de sorte qu’il serait à débouter de son recours.

Dans son mémoire en réplique, le demandeur insiste sur l’instabilité régnant en Sierra Leone rendant nécessaire la présence sur place de forces internationales. Il entend réfuter le reproche formulé par le délégué du gouvernement concernant la crédibilité de son récit, estimant que des imprécisions ne sauraient constituer des mensonges et en soulignant qu’il serait difficile de se procurer un dossier détaillé lorsqu’on est obligé de quitter son pays par crainte d’être emprisonné et torturé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur. Il appartient au demandeur d’asile d’établir avec la précision requise qu’il remplit les conditions prévues pour obtenir le statut de réfugié (cf. Cour adm. 28 novembre 2000, n° 10482C du rôle, Pas. adm. 2004, V° Etrangers, C. Convention de Genève, n° 43).

L’examen des déclarations faites par le demandeur lors de ses auditions respectives des 11 et 25 juillet 2003, telles que celles-ci ont été relatées dans les comptes rendus figurant au dossier, ensemble les arguments apportés dans le cadre des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces versées en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, force est de constater que la crédibilité et la véracité du récit du demandeur sont sérieusement ébranlées par toute une série d’éléments invraisemblables et contradictoires relevés par le ministre de la Justice dans la décision initiale de refus relativement notamment à l’utilisation de faux noms et de fausses qualités par lui, de l’omission d’indiquer son séjour en Espagne entre 1990 et 1999 sous cinq identités différentes, de l’indication contradictoire du prénom de son frère et du nombre de ses arrestations.

S’y ajoute qu’au-delà de l’affirmation générale consistant à soutenir que des imprécisions ne constitueraient pas des mensonges, le demandeur reste en défaut d’apporter des précisions ou des rectifications à son récit qui seraient de nature à conférer un minimum de cohérence et de crédibilité à celui-ci.

A la lumière de cet état des choses et compte tenu du défaut d’un quelconque élément de preuve tangible relativement à des persécutions concrètes que le demandeur a subies ou des risques réels afférents, le récit du demandeur n’est pas de nature à dégager l’existence d’un risque réel de persécution au sens de la Convention de Genève dans son chef.

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Campill, vice-président, M. Spielmann, juge, Mme Gillardin, juge, et lu à l’audience publique du 20 avril 2005 par le vice-président, en présence de M.

LEGILLE, greffier.

s. LEGILLE S. CAMPILL 7


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 19029
Date de la décision : 20/04/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-04-20;19029 ?

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