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14/04/2005 | LUXEMBOURG | N°19027

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 14 avril 2005, 19027


Tribunal administratif N° 19027 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 16 décembre 2004 Audience publique du 14 avril 2005

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Recours formé par Monsieur …, ….

contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19027 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 16 décembre 2004 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’

Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le 20 juin 1980 à Lapsibote (Bouthan), de nationalité bh...

Tribunal administratif N° 19027 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 16 décembre 2004 Audience publique du 14 avril 2005

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Recours formé par Monsieur …, ….

contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19027 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 16 décembre 2004 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le 20 juin 1980 à Lapsibote (Bouthan), de nationalité bhoutanaise, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration intervenue le 29 septembre 2004 rejetant sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, telle que cette décision a été confirmée par ledit ministre le 15 novembre 2004, suite à un recours gracieux du demandeur ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 28 janvier 2005 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, en remplacement de Maître Louis TINTI, et Monsieur le délégué du gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives.

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En date du 6 mai 2004, Monsieur … introduisit une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Il fut entendu le 9 juin 2004 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 29 septembre 2004, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration l’informa que sa demande d’asile avait été refusée. Cette décision est libellée comme suit :

« Il résulte de vos déclarations que vous auriez quitté le Bhoutan le 10 avril 2004 pour aller d’abord à New Delhi/Inde. Vous seriez parti de New Delhi avec un faux passeport pour aller à Paris. Vous y seriez resté trois jours. De là, le passeur vous aurait emmené au Luxembourg.

Vous avez déposé votre demande en obtention du statut de réfugié le 6 mai 2004 alors que vous faisiez l’objet d’une mise à la disposition du Gouvernement.

Vous exposez que vous auriez été membre du Buthan’s People Party depuis 2003.

Vous auriez collé des affiches pour ce parti et vous auriez participé à des réunions et à des manifestations. Vous auriez été emprisonné une première fois, après une réunion de parti, du 20 juin au 2 juillet 2003. Vous auriez été arrêté une seconde fois, après une manifestation, le 10 septembre 2003. Votre maison aurait été incendiée par la police. Vous seriez resté en prison jusqu’au 16 octobre 2003. Lors de votre première arrestation, vous auriez été maltraité et lors de votre seconde arrestation, vous auriez dû signer un document en langue dzonkha dont vous n’auriez pas compris le contenu. Vous précisez que, depuis l’incendie de votre maison, vous viviez avec votre mère dans une hutte. Le 9 avril 2004, vous auriez assisté à une réunion de parti et dans la nuit, la police serait venue vous arrêter. Vous auriez pu lui échapper. Vous ajoutez que votre père aurait disparu depuis 1992 et qu’il aurait sans doute été tué par le gouvernement bhoutanais. Vous dites encore que les bhoutanais d’origine népalaise n’obtiendraient pas de carte d’identité.

Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécutions au sens de la Convention de Genève.

Je vous rends attentif au fait que, pour invoquer l’article 1er A,2 de la Convention de Genève, il faut une crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays.

Je constate d’abord que vous avez déposé votre demande d’asile alors que vous faisiez l’objet d’une mesure de mise à la disposition du gouvernement et pour éviter une mesure de refoulement imminente. Vous auriez, en effet, pu déposer une demande d’asile en France ou au Luxembourg, dès votre arrivée.

En ce qui concerne votre récit, le fait d’appartenir à une minorité et à un parti d’opposition n’entraîne pas d’office le statut de réfugié. Votre fonction au sein de ce parti ne vous plaçait pas dans une position particulièrement exposée ; coller des affiches et participer à des manifestations est insuffisant pour obtenir le statut de réfugié politique. Je relève aussi des contradictions dans votre récit en ce qui concerne votre domicile. Vous avez dit que vous viviez dans une hutte avec votre mère, mais, à un autre passage de votre audition, vous dites que, quand la police serait venue vous arrêter le 9 avril 2004, vous l’auriez vue du premier étage où vous dormiez. Quant au fait que votre père aurait disparu il y a douze ans, il est trop ancien pour avoir une incidence sur votre demande d’asile. Vos dires reflètent donc un sentiment d’insécurité, commun aux minorités, mais insuffisant pour constituer une crainte fondée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Je dois donc constater qu’aucune de vos assertions ne saurait fonder une crainte de persécutions entrant dans le cadre de l’article 1er A,2 de la Convention de Genève, c’est-à-

dire une crainte justifiée de persécutions en raisons de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays.

Par conséquent, votre demande en obtention du statut de réfugié est refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Suite à un recours gracieux introduit par lettre de son mandataire le 8 novembre 2004 et à une décision confirmative du refus initial prise par le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration le 15 novembre 2004, Monsieur …, par requête déposée le 16 décembre 2004, a fait introduire un recours tendant à la réformation des décisions prévisées du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration des 29 septembre et 15 novembre 2004.

Le recours en réformation est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Quant au fond, le demandeur reproche en substance au ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration d’avoir commis une erreur d’appréciation et une mauvaise application de la loi en refusant sa demande d’asile. Il expose être de nationalité bhoutanaise et d’origine népalaise et il soutient être membre du parti d’opposition « Bhutan’s People Party » pour lequel il aurait collé des affiches et participé à des manifestations. En raison de cet engagement politique, il aurait été arrêté et emprisonné à deux reprises et sa maison aurait été incendiée par la police, de sorte qu’il aurait dû vivre par la suite dans une hutte. Le demandeur précise encore que la police aurait tenté de l’arrêter une nouvelle fois le 9 avril 2004, mais qu’il aurait réussi à s’échapper pour chercher refuge à l’étranger.

Le représentant étatique soutient que le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que son recours laisserait d’être fondé.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, les deux arrestations par la police auxquelles le demandeur se réfère ont eu lieu à chaque fois dans son village d’origine, mais l’attitude ainsi décrite des autorités locales – à la supposer établie – n’est pas d’une gravité suffisante pour justifier la reconnaissance du statut de réfugié. En effet, une crainte de persécution doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, le demandeur d’asile risque de subir des persécutions et force est de constater que l’existence de pareils éléments ne se dégage pas des éléments d’appréciation soumis au tribunal, alors que le récit du demandeur ne traduit en définitive qu’un sentiment général d’insécurité, sans qu’il n’ait fait état d’une persécution personnelle vécue ou d’une crainte qui serait telle que la vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine.

En outre, Monsieur … reste en défaut de prouver que le défaut de protection s’étendrait sur tout le territoire bhoutanais et n’avance pas des raisons suffisantes qui l’empêcheraient de s’installer dans une autre région de son pays d’origine, étant entendu que la Convention de Genève vise le pays d’origine ou de nationalité du demandeur d’asile sans restriction territoriale et que le défaut d’établir les raisons suffisantes pour lesquelles un demandeur d’asile ne serait pas en mesure de s’installer dans une autre région de son pays d’origine et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne doit être pris en compte pour refuser la reconnaissance du statut de réfugié (cf. trib. adm. 10 janvier 2001, n° 12240 du rôle, Pas.

adm. 2004, v° Etrangers, n° 48 et autres références y citées).

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Campill, vice-président, M. Spielmann, juge, Mme Gillardin, juge et lu à l’audience publique du 14 avril 2005 par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Campill 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 19027
Date de la décision : 14/04/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-04-14;19027 ?

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