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14/04/2005 | LUXEMBOURG | N°19012

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 14 avril 2005, 19012


Tribunal administratif N° 19012 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 15 décembre 2004 Audience publique du 14 avril 2005

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Recours formé par les époux …, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19012 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 15 décembre 2004 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à

Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Shkoder (Albanie), et de son épouse Madame …, née le … à Tirana ...

Tribunal administratif N° 19012 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 15 décembre 2004 Audience publique du 14 avril 2005

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Recours formé par les époux …, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19012 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 15 décembre 2004 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Shkoder (Albanie), et de son épouse Madame …, née le … à Tirana (Albanie), les deux de nationalité albanaise, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 17 septembre 2004, rejetant leur demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, telle que cette décision a été confirmée par ledit ministre le 10 novembre 2004, suite à un recours gracieux des demandeurs ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 28 janvier 2005 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, en remplacement de Maître Louis TINTI, et Monsieur le délégué du gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives.

En date du 26 mars 2004, Monsieur … et son épouse Madame …, introduisirent auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Les époux … furent entendus le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur leur identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Ils furent entendus séparément en date des 4 et 25 mai 2004 par un agent du ministère de la Justice sur leur situation et sur les motifs à la base de leur demande en reconnaissance du statut de réfugié.

Par décision du 17 septembre 2004, leur notifiée par courrier recommandé expédié le 22 septembre 2004, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration les informa que leur demande avait été refusée. Cette décision est libellée comme suit :

« Vous auriez quitté Shkoder le 20 mars 2004 pour rejoindre la ville de Durres en taxi. De là, vous auriez pris un bateau pour l’Italie. En Italie, vous seriez monté[s] dans la voiture d’un passeur qui vous aurait emmenés à Luxembourg.

Vous avez déposé vos demandes en obtention du statut de réfugié le 25 mars 2004.

Monsieur, vous n’auriez pas fait votre service militaire.

Vous seriez membre du Parti Démocratique et de l’association « 13 décembre 1990 », un mouvement anti-communiste opposé au régime actuel. Vous auriez été le représentant de cette association auprès du Parti Démocratique. Vous auriez adhéré très jeune à ce parti et vous auriez participé à toutes les manifestations qu’il organisait. Les membres du Parti Socialiste connaîtraient les membres de l’association « 13 décembre 1990 » et exerceraient sur eux des pressions. Ainsi, vous auriez reçu des menaces par téléphone et des inconnus auraient tiré sur votre frère et vous-même le 25 mai 2001.

Votre frère, blessé, aurait d’abord été conduit à la clinique et puis, il aurait été transféré à l’hôpital du pénitencier pendant quelques jours. Vous auriez porté plainte contre ces inconnus, en précisant qu’il s’agirait sûrement de militants socialistes, mais cette remarque n’aurait pas été prise en considération et l’enquête aurait été close rapidement. Vous auriez continué à recevoir des coups de téléphone anonymes, comme tous les membres de l’Association. Finalement, l’Association aurait organisé et financé votre départ d’Albanie. Vous ajoutez finalement que vous seriez issu d’une famille d’opposants au régime puisqu’un oncle paternel aurait été tué par les communistes en 1946.

Vous, Madame, vous confirmez les menaces ainsi que l’agression de 2001 contre votre mari et votre beau-frère.

Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécutions au sens de la Convention de Genève.

Je vous rends attentifs au fait que, pour invoquer l’article 1er A,2 de la Convention de Genève, il faut une crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays.

Notons d’abord que la mort d’un oncle en 1946 ne fait pas de vous un membre d’une famille notoirement persécutée par le régime. Quant à la simple appartenance à un mouvement d’opposition, elle ne saurait suffire pour obtenir le statut de réfugié. De plus, vous n’exerciez pas de fonction importante au sein de ce mouvement et vous n’étiez donc pas dans une position particulièrement exposée.

En ce qui concerne l’agression du 25 mai 2001, je relève que vous n’avez pas pu décrire les tireurs et que vous avez reconnu ne pas les connaître. Il n’est donc pas étonnant que la police n’ait pas tenu compte de votre remarque assurant qu’il s’agirait de militants socialistes. Le fait qu’avec si peu de précision, l’enquête ait été rapidement close, n’est pas une preuve de la mauvaise volonté de la police à vous défendre. De plus, après le 25 mai 2001, il s’est écoulé trois ans avant que vous ne décidiez de quitter votre pays. Pendant cette période, vous ne faites état que de coups de téléphone anonymes, contre lesquels vous n’avez pas porté plainte.

En ce qui concerne la situation politique en Albanie, elle s’est considérablement stabilisée. Depuis 2002, le dialogue est ouvert entre le Parti Socialiste et les démocrates.

De plus, ce pays se trouve, depuis des années, placée sous la surveillance de l’OSCE. Il résulte d’un rapport dressé en février 2004 par l’OSCE que, si de nombreux problèmes subsistent en Albanie, les réformes progressent et la protection des droits de l’homme s’améliore. Ce rapport ne fait pas état de tentatives d’assassinat de nature politico-

criminelle contre lesquels le pouvoir en place refuserait d’intervenir ou serait dans l’impossibilité d’intervenir. Notons aussi que la Suisse considère maintenant l’Albanie comme un pays sûr.

J’en déduis que vous éprouvez un sentiment d’insécurité davantage qu’une crainte de persécution telle que prévue par la Convention de Genève.

Par conséquent, vos demandes en obtention du statut de réfugié sont refusées comme non fondées au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Le 25 octobre 2004, les époux … introduisirent, par le biais de leur mandataire, un recours gracieux auprès du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration à l’encontre de cette décision ministérielle.

Le 10 novembre 2004, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration confirma sa décision initiale du 17 septembre 2004 dans son intégralité, « à défaut d’éléments pertinents nouveaux ».

Le 15 décembre 2004, les époux … ont introduit un recours contentieux tendant à la réformation des deux décisions prévisées des 17 septembre et 10 novembre 2004.

Le recours en réformation est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de leur recours, les demandeurs reprochent au ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration de ne pas avoir apprécié à sa juste valeur leur situation spécifique et subjective qui laisserait supposer une crainte légitime de persécution dans leur pays d’origine. Monsieur … expose qu’il serait membre du parti démocratique, qu’il aurait été un activiste de première heure au sein de l’association « 13 décembre 1990 » et qu’il aurait participé à de nombreuses manifestations en vue de dénoncer les exactions commises par le pouvoir en place. En raison de cet engagement, il aurait reçu des menaces par téléphone et subi diverses tentatives d’intimidation de la part des autorités au pouvoir et il aurait été, ensemble avec son frère, victime d’une tentative d’assassinat le 25 mai 2001 lorsque des inconnus auraient tiré sur lui. Enfin, les demandeurs soutiennent que l’enquête menée à la suite de cette tentative d’assassinat aurait été clôturée rapidement, sans résultat, et que la situation générale régnant en Albanie serait toujours instable.

En substance, ils reprochent au ministre des Affaires étrangères et de l’immigration d’avoir fait une mauvaise application de la Convention de Genève et d’avoir méconnu la gravité des motifs de persécution qu’ils ont mis en avant pour justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans leur chef.

Le délégué du gouvernement estime que le ministre des Affaires étrangères et de l’immigration a fait une saine appréciation de la situation des demandeurs, de sorte qu’ils seraient à débouter de leur recours.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d’un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l’opportunité d’une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699 du rôle, Pas. adm. 2004, V° Recours en réformation, n° 12).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle des demandeurs, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations des époux ….

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les demandeurs lors de leurs auditions respectives, telles que celles-ci ont été relatées dans les comptes rendus figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, concernant les craintes de persécution de Monsieur … en raison de ses convictions politiques, il y a lieu de retenir que la tentative d’assassinat du 25 mai 2001 – à la supposer établie - constitue certes un acte condamnable, mais comme elle émane de personnes étrangères aux autorités publiques, à savoir, d’après les déclarations des demandeurs, plus particulièrement de certains milieux politiques, elle s’analyse dans cette mesure en une persécution émanant non pas de l’Etat, mais d’un groupe de la population et ne saurait dès lors être reconnue comme motif d’octroi du statut de réfugié que si la personne en cause ne bénéfice pas de la protection des autorités de son pays d’origine pour l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève.

Or, en l’espèce, les demandeurs n’établissent pas à suffisance de droit que les autorités chargées d’assurer la sécurité publique ne soient pas capables de leur assurer un niveau de protection suffisant, étant relevé que la notion de protection des habitants d’un pays contre des agissements de groupes de la population n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission matérielle d’un acte criminel et qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers uniquement en cas de défaut de protection dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par les demandeurs d’asile, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. En effet, il ressort des propres déclarations des demandeurs que l’incident du 25 mai 2001 a été suivi d’une enquête et le fait que cette enquête n’ait pas abouti ne démontre pas à lui seul un défaut de protection de la part des autorités en place.

Concernant les différentes tentatives d’intimidation et les menaces alléguées par les époux … en raison de leurs convictions politiques, il échet de constater que ces problèmes ne dénotent pas une gravité telle qu’ils établissent une crainte justifiée de persécution dans le pays d’origine des demandeurs, cette conclusion s’imposant spécialement au regard des changements politiques intervenus en Albanie et de la situation actuelle y régnant, cette dernière ne dégageant pas un risque de persécution concret pour les demandeurs en raison de leurs opinions politiques.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que les demandeurs n’ont pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans leur chef.

Partant le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Campill, vice-président, M. Spielmann, juge, Mme Gillardin, juge, et lu à l’audience publique du 14 avril 2005 par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

s. Legille s. Campill 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 19012
Date de la décision : 14/04/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-04-14;19012 ?

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