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13/04/2005 | LUXEMBOURG | N°18950

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 13 avril 2005, 18950


Tribunal administratif N° 18950 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 7 décembre 2004 Audience publique du 13 avril 2005 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18950 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 7 décembre 2004 par Maître François MOYSE, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordr

e des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le… , de nationalité rwandaise, demeurant a...

Tribunal administratif N° 18950 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 7 décembre 2004 Audience publique du 13 avril 2005 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18950 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 7 décembre 2004 par Maître François MOYSE, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le… , de nationalité rwandaise, demeurant actuellement à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 12 septembre 2004, rejetant sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 8 novembre 2004 rendue sur recours gracieux ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 24 janvier 2005 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 25 février 2005 par Maître François MOYSE pour compte du demandeur ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;

Entendu le juge-rapporteur en son rapport ainsi que Maître François MOYSE et Madame le délégué du Gouvernement Jacqueline JACQUES en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 7 mars 2005.

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En date du 6 septembre 2002, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Il fut entendu le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Le 24 janvier 2003, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile. Cette audition fut poursuivie en date du 14 mars 2003.

Par décision du 22 septembre 2004, notifiée par voie de courrier recommandé expédié le 23 septembre 2004, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration informa Monsieur … de ce que sa demande d’asile avait été refusée au motif d’abord que son récit contiendrait toute une série de contradictions jetant des doutes sur la crédibilité des motifs de fuite invoqués à l’appui de sa demande d’asile. Le ministre a retenu en outre que même à supposer les faits allégués par Monsieur … comme établis, ils ne sauraient, en eux-mêmes, constituer un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, faute de rentrer dans les prévisions de ladite Convention, ainsi que d’être trop éloignés dans le temps, de sorte à ne plus pouvoir être utilement pris en considération compte tenu de la situation actuelle au Rwanda où, en règle générale, les relations interethniques se seraient stabilisées.

Par courrier de son mandataire datant du 18 octobre 2004, Monsieur … a fait introduire un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle prévisée en prenant position notamment par rapport aux différentes contradictions lui opposées.

Par décision du 8 novembre 2004, le ministre a confirmé sa décision initiale du 22 septembre 2004 tout en réfutant énergiquement les reproches lui adressés ayant consisté à faire état d’erreurs commises lors de la rédaction du rapport d’audition.

Par requête déposée en date du 7 décembre 2004, Monsieur … a fait introduire un recours contentieux tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation des deux décisions ministérielles prévisées des 22 septembre et 8 novembre 2004.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles critiquées. Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est irrecevable.

Le recours principal en réformation est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Quant au fond, le demandeur fait exposer qu’il est né le 21 mars 1969 au Burundi, en exil, où ses parents originaires du Rwanda se seraient réfugiés depuis les années 1957 à 1958 et que ce n’était qu’en 1980 que la famille a pu retourner au Rwanda, dans la commune de Tambwe. Il signale qu’après avoir été blessé en 2000 au Congo, à Kinshasa, où il aurait servi les militaires, il serait retourné dans son village d’origine et y aurait travaillé ensuite pour le pasteur Bizimungu qui aurait lancé un nouveau parti politique au Rwanda en mai 2001, ce qui lui aurait valu et lui vaudrait toujours de nombreux tracas avec le pouvoir politique en place. Après avoir été accusé de révéler des secrets militaires, il aurait fait l’objet d’interrogatoires de la part du service de renseignement militaire, suivis d’un emprisonnement. Après avoir été libéré le 6 mai 2002, il aurait alors décidé de quitter le Rwanda en raison des menaces de la part de militaires ayant continué à peser sur lui.

Le demandeur conclut son exposé des faits et rétroactes en signalant qu’il se serait rendu compte que le rapport d’audition contenait des erreurs évidentes, mais qu’il aurait cependant fini par signer ledit rapport, la troisième fois, sans pour autant avoir été satisfait de son contenu.

En droit, il fait valoir que les prétendues contradictions lui opposées par le ministre lors de la décision initiale du 22 septembre 2004 auraient été largement clarifiées à travers les précisions apportées dans le cadre de son recours gracieux, de sorte que la décision finale de refus ne serait justifiée ni en fait ni en droit, ceci d’autant plus qu’il se serait plaint de la transcription erronée de certaines informations dans le rapport d’audition, qui ne reflèterait pas la réalité telle qu’effectivement décrite.

En termes de plaidoiries, le mandataire du demandeur a insisté sur le fait que son mandant aurait été victime de difficultés de traduction lors de son audition et que partant le rapport d’audition, qu’il n’aurait signé qu’après y avoir été invité à trois reprises, ne correspondrait pas en tous points à ses déclarations effectives.

Le délégué du Gouvernement fait valoir que les explications apportées par le requérant afin d’éliminer les discrédits relevés dans la décision du 22 septembre 2004 ne seraient pas pertinentes, étant donné que le fait de baser lesdites explications sur la mauvaise transcription des déclarations dans le rapport de l’audition serait malvenu en l’espèce alors que le requérant aurait lui-même lu et ajouté des précisions au rapport qu’il a signé par la suite sans y avoir été forcé et que de surcroît son avocat était présent lors de la relecture du rapport d’audition. Il estime que les signatures respectives dudit avocat et de Monsieur … ont entraîné, dans ces circonstances, sans équivoque, l’approbation du contenu du rapport en question.

Le représentant étatique conclut par conséquent au bien-fondé des décisions ministérielles litigieuses en faisant valoir qu’il serait tout à fait évident, eu égard aux nombreuses contradictions et ignorances constatées au sein de la décision litigieuse, que Monsieur … reste en défaut d’établir une crainte raisonnable et justifiée de persécution en raison d’un des motifs prévus par la Convention de Genève.

Dans son mémoire en réplique le demandeur maintient que ce n’aurait été que la troisième fois qu’il se serait senti contraint moralement de signer le rapport d’audition et que son avocat n’aurait pas pu lui conseiller de ne pas signer définitivement, au risque de se voir reprocher une obstruction de la procédure d’asile. Il reproche ensuite au délégué du Gouvernement de ne pas avoir pris position par rapport aux redressements des faits opérés au niveau de la requête introductive d’instance.

L’audition du demandeur d’asile constituant une étape procédurale majeure et déterminante au niveau de l’instruction d’une demande d’asile, il y a lieu d’examiner d’abord les reproches afférents formulés par le demandeur à l’appui de son recours, étant donné qu’un rapport d’audition vicié dans le sens de ne pas refléter avec la précision requise les déclarations de la personne concernée ne saurait utilement être invoqué pour fonder une décision de refus en la matière.

En l’espèce, force est cependant de constater que le dossier versé en cause, ensemble les explications fournies à la barre par le représentant étatique, est loin de corroborer les graves reproches formulés par le demandeur, voire la version des faits relatée à leur appui.

Il s’avère en effet à la simple lecture du rapport d’audition que celle-ci a eu lieu en langue française et partant sans l’intervention d’un interprète, de sorte que les premières difficultés soulignées en termes de plaidoiries laissent tout simplement de revêtir une quelconque pertinence dans ce dossier, alors que visiblement les déclarations du demandeur n’ont pas fait l’objet d’une quelconque traduction mais ont été directement recueillies en langue française.

Il s’avère encore que contrairement à ce qui est soutenu par le demandeur, celui-ci n’a pas été convoqué à trois reprises pour signer le rapport d’audition, mais que c’est l’audition elle-même qui a eu lieu, conformément à la pratique généralement suivie en la matière, en plusieurs étapes : ainsi une première audition a eu lieu en date du 24 janvier 2003 lors de laquelle les questions énoncées aux pages 2 à 11 du rapport d’audition ont été abordées. Faute d’avoir pu être menée à termes ce jour là, cette audition fut continuée en date du 14 mars 2003, les questions alors abordées étant renseignées aux pages 11 à 16 du rapport d’audition. Quant à la troisième présentation du demandeur auprès de l’agent d’audition, il se dégage encore clairement du rapport qu’il s’agissait de l’étape finale de la procédure d’audition, ayant consisté à présenter le rapport dressé à la suite des trois auditions, à la personne concernée aux fins de signature et d’observations éventuelles.

Par ailleurs, tel que relevé par le ministre dans sa décision confirmative du 8 novembre 2004, Monsieur … a saisi cette opportunité pour apporter des précisons par rapport aux déclarations renseignées dans le procès-verbal d’audition, ceci en présence de son avocat, les précisions afférentes étant à leur tour expressément renseignées dans le procès-verbal en tant qu’observations complémentaires.

Dans la mesure où le procès-verbal d’audition ainsi complété et soumis à la lecture du demandeur en date du 1er avril 2003 est revêtu de la signature tant de la personne concernée que de l’avocat ayant assisté à cette étape procédurale, sans que la moindre réserve n’ait été émise relativement à d’éventuelles erreurs non utilement redressées, le tribunal constate que les reproches afférents formulés par le demandeur dans le cadre du recours contentieux sous examen sont manifestement controuvés en fait.

Quant aux redressements proposés par Monsieur … présentés à travers son recours gracieux du 18 octobre 2004 par rapport au rapport d’audition comme étant destinés à rectifier des erreurs commises dans le rapport d’audition « que (Monsieur …) n’a jamais pu relire », force est de constater que compte tenu des développements précèdents ayant conduit notamment au constat que non seulement il a été procédé à une relecture du rapport d’audition, mais que lors de cette relecture l’intéressé était accompagné de son avocat et a bénéficié de la possibilité d’opérer des redressements par rapport aux déclarations actées dans le rapport lui présenté, c’est à juste titre que le ministre lors de sa décision confirmative, n’a pas pris en considération lesdits redressements, étant donné qu’ils ne sont pas de nature à élucider les contradictions relevées, mais simplement destinés à rectifier, après coup, des déclarations épinglées par le ministre comme étant contradictoires.

Or, si un demandeur d’asile peut certes être admis à clarifier après coup des contradictions apparentes à travers des explications pertinentes susceptibles d’expliquer ces contradictions, il ne saurait pas pour autant être admis à simplement rectifier après coup ses déclarations, lorsque celles-ci ont été recueillies dans des conditions normales et dans le respect du principe du contradictoire en ce sens que la possibilité de redresser en temps utile d’éventuelles erreurs lui a été accordée.

Il se dégage des considérations qui précèdent qu’en l’état actuel du dossier la conclusion ministérielle relativement à l’incrédibilité retenue du récit présenté par le demandeur en raison de toute une série de contradictions relatées de manière exhaustive à l’appui de la décision litigieuse du 22 septembre 2004, n’est pas utilement énervée à travers les développement présentés à l’appui de la requête introductive d’instance.

Dans la mesure où il appartient au demandeur d’asile d’établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne, le constat de l’incrédibilité du récit présenté est suffisant pour justifier une décision de refus en la matière, de sorte que le recours laisse d’être fondé, sans qu’il n’y ait lieu d’examiner plus en avant les autres moyens invoqués à son appui.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours principal en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 13 avril 2005 par :

Mme Lenert, premier juge, Mme Thomé, juge, M. Sünnen, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

Schmit Lenert 6


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 18950
Date de la décision : 13/04/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-04-13;18950 ?

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