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23/03/2005 | LUXEMBOURG | N°19153

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 23 mars 2005, 19153


Tribunal administratif N° 19153 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 10 janvier 2005 Audience publique du 23 mars 2005 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de police des étrangers

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19153 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 10 janvier 2005 par Maître Nicky STOFFEL, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l'Ordre

des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Etat de Serbie et de Monténégro)...

Tribunal administratif N° 19153 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 10 janvier 2005 Audience publique du 23 mars 2005 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de police des étrangers

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19153 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 10 janvier 2005 par Maître Nicky STOFFEL, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Etat de Serbie et de Monténégro), de nationalité serbo-

monténégrine, demeurant à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 7 octobre 2004 lui refusant une autorisation de séjour ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 4 février 2005 ;

Vu le mémoire en réplique déposé le 3 mars 2005 au greffe du tribunal administratif en nom et pour compte du demandeur ;

Vu les pièces versées et notamment la décision critiquée ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport à l’audience publique du 14 mars 2005, Monsieur le délégué du Gouvernement Guy SCHLEDER s’étant rapporté à son mémoire, tandis que Maître Nicky STOFFEL n’était ni présente, ni représentée.

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Par décision du 26 mars 2004, le ministre de la Justice refusa à Monsieur … l’entrée et le séjour au Grand-Duché de Luxembourg et lui intima de quitter le pays dès notification de cette décision, en les termes suivants :

« Vu l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant l’entrée et le séjour des étrangers ;

Vu les antécédents judiciaires de l’intéressé ;

Attendu que l’intéressé est démuni de toute pièce d’identité et de voyage valable ;

Attendu que l’intéressé ne dispose pas de moyens d’existence personnels légalement acquis ;

Attendu que l’intéressé se trouve en séjour irrégulier au pays ;

Attendu que l’intéressé est susceptible de compromettre la sécurité et l'ordre publics ;

Arrête:

Art. 1er.- L’entrée et le séjour sont refusés au soi-disant …, né le 28 novembre 1981, de nationalité serbo-monténégrine, actuellement mis à disposition du gouvernement.

L’intéressé devra quitter le pays dès notification du présent arrêté.

(…) ».

Le 10 mars 2004, le ministre de la Justice se vit adresser une demande signée par Madame … tendant à l’obtention d’une autorisation de séjour pour son époux ….

Le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, ci-après « le ministre », entre temps en charge du dossier, rencontra cette demande par une décision de refus datée du 7 octobre 2004 et notifiée à Monsieur … en date du 26 octobre 2004, libellée comme suit :

« En réponse à votre demande, j'ai le regret de vous informer que je ne suis pas en mesure de vous délivrer une autorisation de séjour, alors qu'un mariage par procuration, contraire à l'ordre public, n'est pas reconnu au Luxembourg.

Pour le surplus, je constate que vous n'êtes pas en possession de moyens d'existence personnels, légalement acquis, tel que prévu à l'article 2 de la loi du 28 mars 1972 concernant l'entrée et le séjour des étrangers, vous permettant d'assurer votre séjour indépendamment de l’aide matérielle ou des secours financiers que de tierces personnes pourraient vous faire parvenir.

Comme vous vous trouvez en séjour irrégulier au pays, vous êtes invité à quitter le pays sans délai.

La présente décision est susceptible d'un recours en annulation devant le Tribunal Administratif, recours qui doit être intenté dans les trois mois de la notification par requête signée d'un avocat à la Cour.

Je vous prie, Monsieur, de croire en l'expression de ma considération distinguée ».

Le 10 janvier 2005, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation, sinon en annulation contre la décision ministérielle de refus du 7 octobre 2004.

Le délégué du Gouvernement soulève l’irrecevabilité du recours en réformation et se rapporte à prudence de justice en ce qui concerne la recevabilité du recours subsidiaire en annulation, en relevant que le ministre de la Justice a déjà pris un arrêté de refus d’entrée et de séjour en date du 26 mars 2004, dorénavant coulé en force de chose jugée.

Dans la mesure où ni la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1° l’entrée et le séjour des étrangers ; 2° le contrôle médical des étrangers, 3° l’emploi de la main-

d’oeuvre étrangère, ni aucune autre disposition légale n’instaure un recours au fond en matière de refus d’autorisation de séjour, le tribunal n’est pas compétent pour connaître du recours principal en réformation.

En ce qui concerne la recevabilité du recours en annulation, il résulte du dossier administratif que la susdite décision du 26 mars 2004, adressée à Monsieur …, et la demande du 10 mars 2004, émanant de Madame …, se sont croisées, le ministre compétent n’ayant pris position par rapport à cette demande non pas par l’arrêté du 26 mars 2004, mais par la décision également déférée du 7 octobre 2004, qui prend position par rapport au nouvel élément soumis au ministre, à savoir le mariage allégué entre Monsieur … et Madame ….

S’agissant dès lors d’une nouvelle décision portant sur un nouvel élément, dont le résultat est certes identique à celui de l’arrêté initial du 26 mars 2004, elle est susceptible de faire l’objet d’un recours en annulation, qui, ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, est recevable.

Monsieur … fait valoir à l’appui de son recours qu’il serait marié et père d’un enfant, de sorte qu’il bénéficierait de moyens d’existence personnels, son épouse, Madame …, disposant de revenus suffisants pour nourrir et faire vivre décemment toute la famille.

Il souligne encore que la décision déférée l’empêcherait d’avoir un contact normal avec sa famille, de sorte que la décision déférée violerait l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme.

Enfin, dans le cadre de son mémoire en réplique, il conteste représenter un quelconque danger pour l’ordre et la sécurité publics, et estime que les faits pénaux qui lui sont reprochés ne présenteraient pas un degré de gravité justifiant qu’il soit séparé de sa famille.

Le délégué du Gouvernement pour sa part estime que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur, de sorte que celui-ci serait à débouter de son recours. Il souligne en particulier que le mariage du demandeur avec Madame …, conclu par procuration, ne serait pas valable car contraire à l’ordre public.

Aux termes de l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 précitée, « l’entrée et le séjour au Grand-Duché pourront être refusés à l’étranger :

- qui est dépourvu de papiers de légitimation prescrits, et de visa si celui-ci est requis, - qui est susceptible de compromettre la sécurité, la tranquillité, l’ordre ou la santé publics, - qui ne dispose pas de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour ».

Il résulte des mémoires échangés de part et d’autre que si la décision ministérielle de refus déférée repose à titre principal sur l’absence de mariage valable entre Monsieur … et Madame …, et seulement « pour le surplus » sur l’absence de moyens d’existence personnels, les parties se rejoignent pour situer le débat relatif au statut matrimonial du demandeur dans le contexte de la question plus large de savoir si le demandeur dispose ou non des moyens personnels suffisants tels que prévus par l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 précitée.

Si la partie publique fait à ce sujet plaider que le mariage par procuration conclu en date du 10 novembre 2003 par-devant l’état civil de Bérane au Monténégro, et constaté par un acte émis par ce même état civil muni de l’apostille prévue par la Convention de La Haye du 5 octobre 1961 supprimant l’exigence de légalisation des actes publics étrangers, telle qu’approuvée par la loi du 14 mas 1978, serait contraire à l’ordre public luxembourgeois et qu’il « ne saurait dès lors être reconnu au Grand-

Duché », ce moyen, non autrement précisé et explicité, notamment au vu des dispositions de l’article 47 du Code civil, aux termes desquelles « tout acte de l’état civil (…) des étrangers, fait en pays étranger, fera foi, s’il a été rédigé dans les formes usitées dans ledit pays », ne saurait être retenu par le tribunal, qui est dès lors amené à retenir, à défaut d’autres éléments contraires, que Monsieur … et Madame … ont effectivement contracté mariage en date du 10 novembre 2003.

Il s’ensuit que c’est encore à bon droit que Monsieur … fait plaider ne pas devoir personnellement disposer de moyens suffisants en prenant appui sur les revenus de son épouse, étant donné qu’il appartient aussi bien à l’épouse qu’à l’époux d’assurer la direction matérielle de la famille et de contribuer aux charges du mariage (voir trib. adm. 21 mai 2003, n° 15727, Pas. adm. 2003, V° Etrangers, n° 149, p.227).

En revanche, il ne suffit pas de se prévaloir de manière abstraite des revenus touchés par son épouse, mais de rapporter la preuve, pièces à l’appui, que celle-ci dispose de moyens suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour du demandeur.

Or en l’espèce, l’affirmation afférente du demandeur n’est supportée par aucune pièce, de sorte que la décision de refus de séjour est motivée à suffisance par le seul constat de l’absence de moyens personnels.

Si le refus ministériel se trouve dès lors, en principe, justifié à suffisance de droit par ledit motif, il convient cependant encore d’examiner le moyen d’annulation soulevé par les demandeurs et tiré de la violation de leur droit au respect de leur vie familiale.

L’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme dispose que :

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. » S’il est de principe, en droit international, que les Etats ont le pouvoir souverain de contrôler l’entrée, le séjour et l’éloignement des étrangers, il n’en reste pas moins que les Etats qui ont ratifié la Convention européenne des droits de l’homme ont accepté de limiter le libre exercice de cette prérogative dans la mesure des dispositions de la Convention.

Il y a dès lors lieu d’examiner en l’espèce si la vie privée et familiale dont fait état le demandeur pour conclure dans son chef à l’existence d’un droit à la protection d’une vie familiale par le biais des dispositions de l’article 8 CEDH rentre effectivement dans les prévisions de ladite disposition de droit international qui est de nature à tenir en échec la législation nationale.

A cet égard, s’il ressort des éléments du dossier tels que soumis initialement au ministre et ultérieurement au tribunal administratif que les époux …-… ont contracté - par procuration - mariage en date du 10 novembre 2003, force est cependant de constater que ce mariage constitue le seul lien établi entre les époux avant la date de la décision déférée. En effet, le tribunal relève à ce sujet que Monsieur … purge au Luxembourg depuis le 27 février 2003 une peine d’emprisonnement, sans qu’il n’ait établi, voire seulement affirmé, avoir entretenu des liens effectifs avec son épouse avant son incarcération, ni pendant son incarcération.

Il ne résulte de même d’aucun élément du dossier que Monsieur … ait cohabité avant la décision litigieuse avec Madame …, les domiciles successifs du demandeur étant sis à … et à …, mais non à …, domicile de Madame … jusqu’en date du 7 janvier 2004.

Enfin, si le demandeur affirme dans le cadre du recours contentieux être le père d’un enfant – non autrement identifié – né de Madame …, aucun élément du dossier ne permet de corroborer cette affirmation, le demandeur restant en particulier en défaut de verser ne serait-ce qu’une pièce étayant l’existence même de cet enfant.

Le mandataire du demandeur, bien que dûment convoqué, ne s’étant pas présenté à l’audience à laquelle l’affaire fut fixée pour plaidoiries, les carences constatées ci-dessus n’ont pas non plus pu être comblées par des explications supplémentaires orales, de sorte qu’il y a lieu de retenir que l’existence d’une vie familiale et privée n’est pas établie en l’espèce, et que l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme n’est dès lors pas applicable en l’espèce.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours en annulation est à déclarer non fondé et que partant le demandeur est à en débouter.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, se déclare incompétent pour connaître du recours en réformation, reçoit le recours en annulation en la forme, au fond le déclare non justifié et en déboute, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 23 mars 2005 par :

Mme Lenert, premier juge, Mme Thomé, juge, M. Sünnen, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Lenert 6


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 19153
Date de la décision : 23/03/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-03-23;19153 ?

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