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23/03/2005 | LUXEMBOURG | N°18990

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 23 mars 2005, 18990


Tribunal administratif N° 18990 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 13 décembre 2004 Audience publique du 23 mars 2005

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Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18990 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 13 décembre 2004 par Maître Edmond DAUPHIN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre

des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Krstac/Dragas (Kosovo/Etat de Serbie-et-Monténégr...

Tribunal administratif N° 18990 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 13 décembre 2004 Audience publique du 23 mars 2005

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Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18990 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 13 décembre 2004 par Maître Edmond DAUPHIN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Krstac/Dragas (Kosovo/Etat de Serbie-et-Monténégro), de nationalité serbo-monténégrine, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration intervenue le 3 septembre 2004 rejetant sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, telle que cette décision a été confirmée par ledit ministre le 10 novembre 2004, suite à un recours gracieux du demandeur ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 28 janvier 2005 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport et Maître Edmond DAUPHIN, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives.

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En date du 20 février 2004, Monsieur … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Monsieur … fut entendu le 8 avril 2004 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 3 septembre 2004, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration l’informa que sa demande d’asile avait été refusée. Cette décision est libellée comme suit :

« Il résulte de vos déclarations que vous auriez quitté le Kosovo le 20 janvier 2004 pour aller à Belgrade. De là, vous auriez pris un autocar faisant la liaison Belgrade / Paris, mais vous seriez descendu à Metz. Votre frère, qui vit au Luxembourg, serait venu vous chercher.

Vous avez déposé votre demande en obtention du statut de réfugié le 2 [sic] février 2004.

Vous auriez fait votre service militaire de 1981 à 1982 en Slovénie. Vous seriez membre du parti Action Démocratique des Goranais, ce qui ne vous aurait causé aucun ennui.

Vous expliquez que vous seriez sans moyens d’existence au Kosovo. Votre commerce aurait brûlé une fois en 1998 et une seconde fois en 1999. Ensuite, vous auriez travaillé comme vendeur, mais la firme aurait fait faillite. Vous auriez tenté d’ouvrir un nouveau local commercial en 2003, mais des Albanais vous auraient menacé. Vous reconnaissez n’avoir pas d’autres motifs pour demander l’asile.

Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécutions au sens de la Convention de Genève.

Je vous rends attentif au fait que, pour invoquer l’article 1er A,2 de la Convention de Genève, il faut une crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays.

Je constate que vous reconnaissez n’avoir jamais subi d’acte de persécution. Le fait d’être sans travail au Kosovo n’entre pas dans le cadre de la Convention de Genève.

En ce qui concerne le Kosovo et, plus précisément, la situation des Goranais il ressort du rapport UNHCR de juin 2004 qu’actuellement ceux-ci ont, non seulement le droit de vote, mais encore accès à l’enseignement, aux soins de santé et aux avantages sociaux, ce qui fait qu’une discrimination à leur égard ne saurait pas être retenue pour fonder une persécution au sens de la Convention de Genève. A cela s’ajoute qu’ils disposent également d’une liberté de mouvement qui n’est limitée que par leur méconnaissance de la langue albanaise. Les relations interethniques avec les albanais sont détendues et les Goranais qui quittent Dragas le font essentiellement pour des motifs économiques.

Tout au plus peut-on analyser votre récit en un sentiment d’insécurité plutôt qu’en crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

De plus, il ne résulte pas [de] votre dossier qu’il vous aurait été impossible de tenter votre chance dans une autre région de la République de Serbie-Monténégro pour profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne.

Je constate par conséquent qu’aucune de vos assertions ne saurait fonder une persécution au sens de la Convention précitée.

Par conséquent, votre demande en obtention du statut de réfugié est refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Suite à un recours gracieux introduit par lettre de son mandataire le 20 octobre 2004 et à une décision confirmative du refus initial prise par le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration le 10 novembre 2004, Monsieur …, par requête déposée le 13 décembre 2004, a fait introduire un recours tendant à la réformation des décisions prévisées du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration des 3 septembre et 10 novembre 2004.

Le recours en réformation est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Quant au fond, le demandeur reproche en substance au ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration d’avoir commis une erreur d’appréciation et une mauvaise application de la loi en refusant sa demande d’asile. Dans ce contexte, il soutient remplir les conditions pour être admis au statut de réfugié, au motif qu’il aurait été et risquerait d’être victime de persécutions au Kosovo du fait de son appartenance à la minorité goranaise. A ce sujet, il décrit, d’une manière générale, la situation difficile dont souffriraient les minorités ethniques en général et les Goranais en particulier au Kosovo, ainsi que sa propre situation, caractérisée par le fait que les Albanais le considéreraient comme un Serbe, de sorte qu’il serait exposé aux reproches verbaux, menaces et agressions d’Albanais, une possibilité de fuite interne lui étant par ailleurs pas possible.

Le délégué du gouvernement estime pour sa part que le ministre compétent a fait une saine appréciation de la situation du demandeur, de sorte que celui-ci serait à débouter de leur recours.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, une crainte de persécution doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, le demandeur d’asile risque de subir des persécutions et force est de constater que l’existence de pareils éléments ne se dégage pas des éléments d’appréciation soumis au tribunal, alors que le récit du demandeur ne traduit somme toute qu’un sentiment général d’insécurité, sans qu’il n’ait fait état d’une persécution personnelle vécue ou d’une crainte qui serait telle que la vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine.

Ainsi, concernant la crainte générale exprimée par le demandeur, qui est orginaire de la commune de Dragas, d’actes de persécution à son encontre de la part d’Albanais en raison de son appartenance à la minorité goranaise, force est de constater que s’il est vrai que la situation générale des membres de minorités ethniques au Kosovo, en l’espèce celle des Goranais, est difficile et qu’ils sont particulièrement exposés à subir des discriminations, elle n’est cependant pas telle que tout membre d’une minorité ethnique serait de ce seul fait exposé à subir des persécutions au sens de la Convention de Genève.

Une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, le demandeur risque de subir des persécutions.

A cet égard, il y a lieu de constater que suivant la version actualisée du rapport de l’UNHCR sur la situation des minorités au Kosovo, notamment celle des Goranais, datant de juin 2004 : « The overall security situation of the Gorani, who are predominantly concentrated in the isolated and underdeveloped southernmost municipality of Dragash/Dragas, remained stable. With the exception of one stoning incident against a Gorani-operated bus in May 2003, no ethnically motivated incidents involving Gorani were reported. The local population, both Gorani and Albanian, continued to be exposed to insecurity arising from infiltration of criminal elements from Albania and were subjected to robberies and violence1».

Quant à leur situation après les incidents ayant eu lieu entre le 15 et le 19 mars 2004, force est de constater que les Goranais n’étaient pas la cible directe des affrontements. En effet, il est relaté dans la troisième partie du rapport précité intitulée « Situation of minority groups by region in light of the turmoil in March 2004 » que « Kosovo Serbs were the primary target of inter-ethnic violence. … Finally, whereas Bosniaks and Gorani did not become a direct target of the violence, in some locations they felt sufficiently at risk that they opted for precautionary movements, or where evacuated by police, to safer places2» et encore 1 Update on the Kosovo Roma, Ashkaelia, Egyptian, Serb, Bosniak, Gorani and Albanian communities in a minority situation, UNHCR Kosovo, June 2004, p.28.

2 op.cit., p. 31 et 32.

« The few Bosniaks and Gorani who were displaced during the mid-March unrest have returned to their home communities. Returnees and remainees have resumed the same levels of freedoms they enjoyed prior to the events3».

Enfin, dans un second rapport datant quant à lui d’août 2004, l’UNHCR souligne que « the security situation for Kosovo Bosniaks and Goranis has remained stable, with no serious incidents of violence reported » ainsi que « whereas the Bosniaks and Goranis were not directly targeted during the turmoil in March 2004, in some locations they felt insecure and opted for precautionary movements. Two families were evacuated by the police from the Bosniak Mahalla in Mitrovice/a North, while several others left on their own initiatives.

Living in a Serb neighbourhood in Fushe Kosova/Kosovo Polje and seeing their Serb neighbours being attacked, several Gorani families left their homes as a precautionary measure. No other attacks or self-imposed evacuations have been reported, although the two ethnic communities anxiously followed the unfolding developments. The events have inevitably left the communities with a heightened sense of insecurity and in a state of constant alert 4».

En l’absence de preuve d’une situation particulièrement exposée du demandeur ou de ce que les autorités de son pays d’origine refuseraient de le protéger ou seraient dans l’impossibilité de lui fournir une protection d’une efficacité suffisante, étant relevé que la notion de protection des habitants d’un pays contre des agissements de groupes de la population n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission matérielle d’un acte criminel et qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers uniquement en cas de défaut de protection dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, ce qui n’est pas le cas en l’espèce, il y a lieu de conclure sur base des considérations qui précèdent que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

3 op.cit., p. 46.

M. Campill, vice-président, M. Spielmann, juge, Mme Gillardin, juge et lu à l’audience publique du 23 mars 2005 par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

Legille Campill 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 18990
Date de la décision : 23/03/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-03-23;18990 ?

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