La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

23/03/2005 | LUXEMBOURG | N°18961

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 23 mars 2005, 18961


Tribunal administratif N° 18961 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 9 décembre 2004 Audience publique du 23 mars 2005 Recours formé par Monsieur …, …, contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18961 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 9 décembre 2004 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Albanie), de nationalitÃ

© albanaise, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministr...

Tribunal administratif N° 18961 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 9 décembre 2004 Audience publique du 23 mars 2005 Recours formé par Monsieur …, …, contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18961 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 9 décembre 2004 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Albanie), de nationalité albanaise, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 6 septembre 2004 portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée et de celle confirmative, intervenue sur recours gracieux, du 8 novembre 2004 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 13 janvier 2005 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Entendu le juge-rapporteur en son rapport, Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, en remplacement de Maître Louis TINTI, et Monsieur le délégué du Gouvernement Marc MATHEKOWITSCH s’étant rapportés aux écrits de leurs parties respectives à l’audience publique du 26 février 2005.

Le 28 mars 2003, Monsieur … introduisit une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951 et approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour Monsieur … fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Le 14 avril, 26 mai 2003 et 30 avril 2004, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère de la Justice sur sa situation et sur les motifs à la base de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié.

Le 12 juillet 2004, la commission consultative formula un avis ayant la teneur suivante : « En fait :

M. … indique avoir terminé ses études de médecine en 1995. Après avoir travaillé pour l’association « Médecins sans frontières », il aurait été au service du ministère albanais de la santé jusqu’en août 1997.

Lors des élections de 1997, il aurait assumé les fonctions d’interprète auprès des observateurs de l’OSCE. Lors des contrôles, des personnes qu’il considérait comme étant membres du service secret auraient rendu visite à certains bureaux pour influencer le dépouillement du scrutin. Il aurait été abordé, sous menaces, par ces personnes, présentes dans les bureaux de vote, afin de fournir des renseignements sur les bureaux inspectés par la mission de l’OSCE. Il aurait fourmi les informations tout en communiquant cet incident à la mission de l’OSCE.

Par la suite, il aurait remarqué la voiture officielle des agents secrets près de son lieu de travail. Deux mois plus tard, il aurait été renversé par un véhicule à 800 m du commissariat de police et grièvement blessé. L’auteur de l’accident serait resté inconnu.

En 1998, il aurait trouvé un travail dans la clinique pour prisonniers. De 1998 à 2002, aucun événement particulier n’est signalé. En mai 2002, le demandeur expose avoir reçu des menaces par coups de téléphone anonymes. En mars 2003, il aurait été « invité » par téléphone par des inconnus à un rendez-vous. Il n’y aurait pas donné suite et le lendemain deux personnes se seraient présentées à son domicile. Elles auraient indiqué faire partie des services secrets et auraient fait allusion à une entrevue lors des élections de 1997 et à l’accident. Rappelant que le demandeur avait une ancienne dette, les membres des services secrets auraient exigé que le demandeur fasse disparaître un détenu dont le nom s’est avéré être….

Pour gagner du temps, il aurait marqué son accord. Par la suite, il se serait caché chez des membres de sa famille avant de quitter le pays. Contre paiement d’une somme de 3500 euros un chauffeur de camion l’aurait amené à Luxembourg où il serait arrivé le 28 mars 2003.

Appréciation :

La commission éprouve des doutes sur la véracité des déclarations de l’intéressé.

Les exigences des prétendus agents secrets en 1997 ont, d’après les propres dires de l’intéressé, été satisfaites, de sorte qu’on voit mal quel grief ces derniers pouvaient avoir contre l’intéressé. Les informations demandées étaient d’ailleurs anodines ; aucune intervention spécifique n’était demandée à l’intéressé.

L’implication des services secrets dans l’accident n’est étayé par aucun élément.

Si les services secrets auraient voulu l’éliminer, l’hospitalisation prolongée aurait constitué une occasion propice. La commission note encore que l’intéressé, médecin de profession, ne produit aucun certificat ou rapport médical établissant cet accident.

A la suite de l’accident, le demandeur n’a plus connu de difficultés pendant 4 ans.

Ce n’est qu’en 2002 qu’il est sollicité par les agents secrets, qui font de vagues allusions aux événements passés, pour tuer un détenu. L’intéressé ne fourni aucune information sur le dénommé … qu’il devait tuer, qui est apparemment passé en justice sans être menacé.

L’intéressé n’a, à aucun moment, saisi les autorités albanaises des faits dont il s’estime victime de la part des services secrets, ceci en dépit du fait qu’un de ses oncles avait des contacts avec la police.

Même à supposer qu’il faille porter foi aux déclarations du demandeur, la commission estime qu’il n’y a pas lieu d’accueillir la demande.

Les actes de menace relatés sont le fait de prétendus agents secrets agissant pour le compte, pour les évènements de 1997, pour un parti politique, et, en 2002, pour des personnes impliquées dans des actes criminels.

On est dès lors en présence d’actes de persécution de la part certes d’agents publics, mais qui agissent, non pas sur instruction du gouvernement, mais dans un cadre de criminalité organisée.

Il convient de préciser qu’ « on entend normalement par persécution une action qui est le fait des autorités d’un pays ».

La jurisprudence luxembourgeoise considère qu’ « une persécution ne saurait être admise (…) que dans l’hypothèse où des agressions commises par un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée. Il faut en plus que le demandeur d’asile ait concrètement recherché cette protection, de sorte que ce n’est qu’en cas de défaut de protection dont l’existence doit être mise suffisamment en exergue par le demandeur d’asile, qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers.

Or, force est de constater, en premier lieu, que les actes de persécution allégués n’émanent pas d’un groupement politico-militaire qui échapperait au contrôle de l’Etat, mai8s d’individus appartenant à un milieu criminel.

En deuxième lieu, le demandeur reconnaît n’avoir même pas recherché la protection des autorités publiques de son Etat Il n’est, par ailleurs même pas allégué, ni, a fortiori, établi que les autorités publiques encouragent ou tolèrent de telles menaces ou soient dans l’impossibilité d’offrir une protection appropriée…. » Par décision du 6 septembre 2004, envoyée par lettre recommandée le 17 septembre 2004, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, en se ralliant à l’avis de ladite commission, l’informa de ce que sa demande a été refusée comme non fondée au motif qu’il n'invoquerait aucune crainte raisonnable de persécution du fait de ses opinions politiques, de sa race, de sa religion, de sa nationalité ou de son appartenance à un groupe social.

Le 18 octobre 2004, Monsieur … fit introduire un recours gracieux à l’encontre de cette décision.

Par décision du 8 novembre 2004, notifiée par courrier recommandé expédié le 9 novembre 2004, le ministre confirma sa décision antérieure.

Le 9 décembre 2004, Monsieur … a fait déposer au greffe du tribunal administratif un recours en réformation contre les deux décisions ministérielles.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, de sorte que seul un recours en réformation a pu être dirigé contre la décision ministérielle déférée. Le recours en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Quant au fond, le demandeur fait valoir que ce serait à tort que le ministre s’est rallié à l’avis de la commission consultative en ce qu’elle aurait mis en doute la véracité du récit.

A ce titre, le tribunal se rallie aux observations faites par le demandeur dans le cadre de son recours gracieux et contentieux en ce que les éléments mis en avant par la commission ne sauraient à eux-seuls mettre en doute la véracité des déclarations de Monsieur …, étant donné que celui-ci a néanmoins présenté son récit de façon cohérente.

S’il est certes exact que la commission consultative a mis en doute la véracité du récit du demandeur, il n’en reste pas moins qu’elle s’est également prononcée, à titre subsidiaire, sur le fond de l’affaire. Il en est de même de la décision ministérielle laquelle s’est ralliée à l’avis de la commission.

Quant aux faits avancés, Monsieur … estime qu’il aurait suffisamment mis en avant qu’il ait été menacé par les services secrets albanais, de sorte qu’il aurait été directement menacé par les autorités de son pays. Quant au fait qu’il ne s’est pas adressé aux autorités pour se voir protéger, il fait valoir que l’inefficacité et le degré de corruption des autorités judiciaires mises en avant par différents rapports auraient rendu inutile voir dangereuse toute demande de protection de sa part.

Le délégué du Gouvernement fait valoir que le lien de causalité entre les prétendues fraudes électorales ayant eu lieu en 1997, l’accident de circulation et entre la mission conférée au demandeur en 2003 serait loin d’être évident. Il souligne que le demandeur reconnaît n’avoir pas porté plainte. Il conclut que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que le recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue.

L’examen des déclarations faites par Monsieur … lors de son audition ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet Monsieur … fait état d’un accident de circulation datant de 1997 causé par des prétendues agents secrets et ensuite de coups de téléphone anonymes de mai 2002 et de menaces exercées sur lui par ces mêmes agents secrets en début 2003. Il relate qu’après ces menaces de début 2003, il aurait pris la fuite.

Or force est de constater que le demandeur n’a suffisamment établi ni le lien causal entre ces différents événements, ni leur cause, ni le fait que les actes dont il se prévaut émanent des autorités publiques et non pas de personnes privées.

En effet il relate au cours de son audition « il y avait à l’intérieur du bureau de vote environ 9 personnes, les membres de la commission de vote et les personnes qui étaient là en voiture officielle. Une de ces personnes s’est adressée à moi en me demandant c’est toi, … », puis il continue son récit en ce sens que cette personne l’aurait importuné. Un peu plus loin il dit « j’ai ensuite continué mon travail au Ministère de la Santé. Deux semaines après j’ai à nouveau remarqué la voiture officielle, en reconnaissant la plaque KJ 0001 Z. Elle était garée pas loin du ministère de la Santé, à côté du Ministère des affaires étrangers et de la Direction du SHIK ». Le demandeur déduit du seul fait que cette voiture a été garée près du bâtiment du SHIK (service national des informations, service secret) qu’il se serait agi d’agents secrets, pour ensuite déduire des circonstances de l’accident dont il aurait été victime en 1997 que le chauffeur non identifié qui à cette occasion avait commis un délit de fuite aurait été l’un des agents secrets qui l’avait abordé lors des élections. Il est en revanche en aveu que pendant les années 1998 à mai 2002 rien de spécial ne s’est passé. Quant aux coups de téléphones anonymes et à la visite à son domicile en mars 2003 de deux hommes, dont l’un aurait été celui rencontré lors des élections en 1997, le tribunal ne saurait suivre le demandeur en ce que ces faits ayant eu lieu 6 années après les élections de 1997, surtout après que le demandeur n’a plus connu de difficultés pendant 4 ans, seraient en relation causale avec les incidents de 1997.

Il résulte des développements qui précèdent que le demandeur reste en défaut d’établir une persécution ou un risque de persécution au sens de la Convention de Genève dans son pays de provenance, de manière que le recours sous analyse doit être rejeté comme n’étant pas fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond le déclare non justifié et en déboute ;

déclare le recours en annulation irrecevable ;

condamne le demandeur au frais.

Ainsi jugé par et prononcé à l’audience publique du 23 mars 2004 par :

Mme Lenert, premier juge, Mme Thomé, juge, M. Sünnen, juge en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. SCHMIT s. LENERT 6


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 18961
Date de la décision : 23/03/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-03-23;18961 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award