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17/03/2005 | LUXEMBOURG | N°18969

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 17 mars 2005, 18969


Tribunal administratif N° 18969 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 10 décembre 2004 Audience publique du 17 mars 2005

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Recours formé par Madame …, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18969 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 10 décembre 2004 par Maître Pascale PETOUD, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre d

es avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le … à Bénin City (Nigeria), de nationalité nigériane, dem...

Tribunal administratif N° 18969 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 10 décembre 2004 Audience publique du 17 mars 2005

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Recours formé par Madame …, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18969 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 10 décembre 2004 par Maître Pascale PETOUD, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le … à Bénin City (Nigeria), de nationalité nigériane, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration intervenue le 17 septembre 2004 rejetant sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, telle que cette décision a été confirmée par ledit ministre le 10 novembre 2004, suite à un recours gracieux de la demanderesse ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 24 janvier 2005 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 23 février 2005 en nom et pour compte de la demanderesse ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport et Maître Pascale PETOUD, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Jacqueline JACQUES en leurs plaidoiries respectives.

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En date du 8 mars 2004, Madame … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour, Madame … fut entendue par un agent de la police grand-ducale sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Grand-Duché de Luxembourg.

Elle fut encore entendue le 8 avril 2004 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 17 septembre 2004, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration l’informa que sa demande d’asile avait été refusée. Cette décision est libellée comme suit :

« En mains le rapport du service de police judiciaire du 8 mars 2004 et le rapport d’audition de l’agent du ministère de la Justice du 8 avril 2004.

Il ressort du rapport du Service de Police Judiciaire du 8 mars 2004 que vous auriez quitté Lagos par avion le 4 mars 2004 avec l’aide d’un prêtre que vous pensez être américain.

Vous ne savez pas avec quelle compagnie aérienne vous auriez voyagé, ni dans quel pays vous auriez atterri. Par la suite, ce même prêtre vous aurait acheté un billet de bus pour le Luxembourg et vous aurait donné une adresse où vous pourriez demander de l’aide. Vous seriez arrivée au Luxembourg le 6 mars 2004 et votre demande en obtention du statut de réfugié date du 8 mars 2004. Vous n’auriez rien payé pour votre voyage et vous ne présentez aucune pièce d’identité.

Il résulte de vos déclarations que vous auriez vécu à Benin City jusqu’en 2001 avant de déménager à Nasarawa, Kanu State dans le Nord à cause de la maladie de votre père.

Après quelques mois, vous auriez eu une relation avec un musulman, mais les parents de ce dernier se seraient opposés à cette relation parce que vous seriez chrétienne. Ils vous auraient demandé de vous convertir à l’Islam. Vous auriez voulu mettre un terme à cette relation parce que vous vous seriez sentie menacée, mais votre fiancé aurait insisté à continuer. Par la suite, vous auriez tous les deux été emmenés en novembre 2002 au tribunal islamique (Sharia Court) à Nasarawa et vous auriez été condamnée à mort par lapidation pour avoir eu des relations sexuelles hors mariage. Votre fiancé n’aurait pas été condamné parce qu’il serait musulman. Après cette condamnation, vous auriez été libre de partir et votre fiancé vous aurait dit de vous enfuir. Vous seriez alors retournée à Benin City chez votre oncle, mais des musulmans vous y auraient retrouvée et vous auriez à temps pu vous échapper chez un ami à Ibadan (et non Ibadam), Oyo State où vous seriez restée six mois. Des personnes seraient venues chez cet ami et lui auraient montré une photo de vous en lui disant que vous seriez recherchée. Vous seriez alors partie de nouveau, cette fois-ci à Lagos chez le prêtre, qui par la suite vous aurait emmenée au Luxembourg. Vous ne vous seriez pas sentie en sécurité à Lagos, mais vous n’y faites pas état de problèmes particuliers. Vous auriez quitté Lagos après deux mois.

Vous auriez peur des musulmans et vous dites risquer la mort. Selon vous, chaque musulman du Nigeria serait au courant de votre cas et votre photo serait affichée partout.

Vous prétendez que la police ne pourrait pas vous aider et ainsi vous n’auriez pas cherché à demander une protection.

Il y a d’abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

A défaut de pièces, un demandeur d’asile doit au moins pouvoir présenter un récit crédible et cohérent. Force est cependant de constater que les contradictions et incohérences dans votre récit laissent planer des doutes quant à l’intégralité de votre passé et au motif de fuite invoqué. Ainsi, quant au trajet emprunté pour arriver au Luxembourg, vous avez déclaré auprès de la Police Judiciaire avoir pris un bus pour venir au Luxembourg, auprès de l’agent du ministère de la Justice vous dites avoir pris un train. Il est par ailleurs peu concevable que vous ne sachiez pas dans quel pays vous auriez atterri alors que vous auriez été accompagnée par un prêtre chez qui vous auriez séjourné pendant deux mois à Lagos. Il est peu crédible que vous n’auriez pas été mise au courant du lieu de destination. Dans le même ordre d’idées, il est peu plausible que vous n’auriez rien payé pour votre voyage en Europe et que vous n’auriez pas dû personnellement montrer votre passeport lors des contrôles douaniers et d’identité aux aéroports.

Il est également contestable que vous auriez été condamnée par un conseil islamique nigérian et que la loi islamique vous aurait été appliquée en tant que chrétienne. En effet, la charia n’est appliquée qu’aux musulmans et aux non-musulmans qui ont accepté de se soumettre à un tribunal islamique, ce qui n’est pourtant pas votre cas. Il est également peu crédible que après avoir été condamnée à mort par un tribunal islamique vous auriez pu vous en aller et ainsi fuir. De même vous auriez échappé aux musulmans aussi bien à Benin City, Edo State et à Ibadan, Oyo State. Il est par ailleurs peu concevable que des musulmans du Nord seraient à votre pourchasse au Sud majoritairement chrétien et vous auraient retrouvée dans deux Etats différents parmi une population très importante. Vous auriez été condamnée en novembre 2002 et vous dites premièrement avoir été quelques jours à Benin City chez votre oncle, six mois à Ibadan et puis deux mois à Lagos. Selon cette logique, en comptant largement, vous auriez quitté Lagos en août-septembre 2003. Or, vous prétendez aussi bien auprès de la Police Judiciaire que auprès de l’agent du ministère de la Justice avoir quitté le Nigeria en mars 2004.

Même à supposer les faits que vous alléguez comme établis, ils ne sauraient, en eux-

mêmes, constituer un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’ils ne peuvent, à eux seuls, suffire pour fonder une crainte justifiée d’être persécutée dans votre pays d’origine du fait de votre race, de votre religion, de votre nationalité, de votre appartenance à un groupe social ou de vos convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section 1, § 2 de la Convention de Genève. En effet, vous auriez été condamnée en novembre 2002 à Nasarawa d’où vous auriez fui après votre condamnation. Depuis vous ne faites pas état de persécutions. Vous dites que des musulmans, sans préciser qui exactement, auraient été à votre recherche, mais à aucun moment vous n’auriez été confrontée à eux. Vous auriez peur des musulmans étant donné que tous les musulmans du Nigeria seraient au courant de votre cas et que vous seriez recherchée parce que condamnée à mort. Cette peur généralisée des musulmans traduit plutôt un sentiment général d’insécurité qu’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève. Ces musulmans ne sauraient par ailleurs constituer des agents de persécution, votre crainte se limite à un groupe de musulmans d’ailleurs inconnus. Aussi, des craintes de persécutions commises par des groupes ou des personnes qui ne sont pas sous le contrôle du gouvernement peuvent être invoquées à l’appui d’une demande d’obtention du statut de réfugié si les autorités gouvernementales soutiennent ces groupes ou personnes, les tolèrent ou n’assurent pas une protection adéquate des victimes et si les victimes sont visées pour une des causes énumérées à la Convention de Genève. Il ressort clairement du rapport de l’audition que vous n’avez pas requis la protection des autorités de votre pays, il n’est ainsi pas démontré que celles-ci seraient dans l’incapacité de vous fournir une protection.

A cela s’ajoute qu’il vous aurait été tout à fait possible de vous établir dans le Sud ou Sud-Ouest du Nigeria pour profiter d’une possibilité de fuite interne. Il faut noter que vous seriez originaire du Sud du Nigeria où les Etats sont majoritairement chrétiens et où la charia n’est pas appliquée. En effet, vous dites notamment vous être cachée à Lagos et vous n’y faites pas état de persécution. Il est possible d’éviter l’application de la charia en déménageant vers un autre Etat (State) où la charia n’est pas appliquée étant donné que les infractions seulement punies par la charia ne sont pas poursuivies dans les Etats où la charia n’est pas appliquée. Le fait d’avoir des relations sexuelles hors mariage n’est pas puni par le code pénal nigérian. Notons également que la Constitution nigériane garantit et protège le droit des citoyens nigérians de se marier entre différentes ethnies et religions (Chapitre 2, paragraphe 15 (3c) de la Constitution nigériane). Cette même Constitution interdit l’instauration d’une religion d’Etat au Nigeria. Il n’est pas établi que les personnes qui auraient été en contradiction avec la loi islamique au Nord du pays soient aussi recherchées par l’Etat fédéral du Nigeria. Dans ce contexte rappelons encore une fois qu’il est peu probable que des musulmans du Nord soient à votre recherche aussi bien à Benin City, Ibadan et Lagos.

En ce qui concerne la mort de votre sœur dans un accident de la circulation, vous n’apportez aucune preuve qu’elle soit liée à votre problème. Vos soupçons restent à l’état d’une pure allégation.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Suite à un recours gracieux introduit par lettre de son mandataire le 22 octobre 2004 et à une décision confirmative du refus initial prise par le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration le 10 novembre 2004, Madame …, par requête déposée le 10 décembre 2004, a fait introduire un recours tendant à la réformation des décisions prévisées du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration des 17 septembre et 10 novembre 2004.

Le recours en réformation est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Quant au fond, la demanderesse soutient que sa crédibilité aurait à tort été critiquée et elle reproche en substance au ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration d’avoir commis une erreur d’appréciation et une mauvaise application de la loi en refusant sa demande d’asile. Elle réitère son argumentation basée sur ce qu’une relation avec un musulman l’aurait conduite, en tant que chrétienne, à être condamnée par un tribunal religieux à la peine de mort par lapidation et que sa vie serait en danger non seulement dans sa ville d’origine, mais encore sur l’entièreté du territoire de l’Etat nigérian.

Le représentant étatique soutient que le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration aurait fait une saine appréciation de la situation de la demanderesse et que son recours laisserait d’être fondé.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par la demanderesse lors de son audition, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que la demanderesse reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, au-delà des quelques incohérences soulevées par le ministre compétent, force est de constater que la demanderesse n’établit pas qu’elle ne peut pas trouver refuge, à l’heure actuelle, dans une autre partie de son pays d’origine, et notamment dans les Etats du Sud du Nigeria majoritairement chrétiens, étant entendu que la Convention de Genève vise le pays d’origine ou de nationalité d’un demandeur d’asile sans restriction territoriale et que le défaut d’établir des raisons suffisantes pour lesquelles un demandeur d’asile ne serait pas en mesure de s’installer dans une autre région de son pays d’origine et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne doit être pris en compte pour refuser la reconnaissance du statut de réfugié (cf.

trib. adm 10 janvier 2001, n° 12240 du rôle, Pas. adm. 2004, V° Etrangers, n° 48 et autres références y citées), cette conclusion n’étant pas ébranlée par le fait que la demanderesse aurait été recherchée et retrouvée à Bénin City, où elle déclare s’être réfugiée suite à sa condamnation, le fait, peu plausible, restant non seulement à l’état de simple allégation, mais même avéré, pareil état des choses ne dénote pas que la demanderesse se trouve dans une situation tellement exposée qu’elle risquerait d’être persécutée par des membres de la communauté musulmane sur tout le territoire du Nigeria, l’Etat le plus peuplé d’Afrique.

Il suit de ce qui précède que la demanderesse n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne la demanderesse aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Campill, vice-président, M. Spielmann, juge, Mme Gillardin, juge et lu à l’audience publique du 17 mars 2005 par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Campill 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 18969
Date de la décision : 17/03/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-03-17;18969 ?

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