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17/03/2005 | LUXEMBOURG | N°18862

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 17 mars 2005, 18862


Tribunal administratif N° 18862 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 15 novembre 2004 Audience publique du 17 mars 2005

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Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18862 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 15 novembre 2004 par Maître Frank WIES, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des a

vocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Negrovc (Kosovo/Etat de Serbie-et-Monténégro), de na...

Tribunal administratif N° 18862 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 15 novembre 2004 Audience publique du 17 mars 2005

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Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18862 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 15 novembre 2004 par Maître Frank WIES, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Negrovc (Kosovo/Etat de Serbie-et-Monténégro), de nationalité serbo-monténégrine, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 18 août 2004 rejetant sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme étant non fondée, ainsi que d’une décision confirmative prise par ledit ministre le 11 octobre 2004 suite à un recours gracieux du demandeur ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 12 janvier 2005 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Le juge rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Frank WIES et Madame le délégué du gouvernement Jacqueline JACQUES en leurs plaidoiries respectives.

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En date du 17 février 2004, Monsieur … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Monsieur … fut entendu le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il fut encore entendu le 24 mars 2004 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Le 18 août 2004, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration l’informa que sa demande avait été refusée. Cette décision est libellée comme suit :

« En mains le rapport du service de Police Judiciaire du 17 février 2004 et le rapport d’audition de l’agent du Ministère de la Justice du 24 mars 2004.

Il résulte de vos déclarations que vous auriez quitté Sarajevo début février 2004 pour aller d’abord en Italie. De là, vous auriez pris place dans un camion pour venir au Luxembourg.

Vous avez déposé votre demande en obtention du statut de réfugié le 17 février 2004.

Vous exposez que vous auriez été soldat de la FARK en 1998-1999.

Vous n’auriez jamais adhéré à un parti politique.

Vous exposez que l’UCK et la FARK étaient toutes les deux des armées de libération du Kosovo.

Des membres de l’UCK vous auraient reproché de vous être enrôlé dans la FARK et pas dans leurs rangs. En novembre 2003, vous auriez reçu des lettres anonymes de menaces.

D’autres membres de la FARK auraient aussi eu ce genre de problème. Vous précisez cependant que la FARK n’existe plus.

Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière du demandeur d’asile, qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécutions au sens de la Convention de Genève.

Je vous rends attentif au fait que, pour invoquer l’article 1er, A., §2 de la Convention de Genève, il faut une crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre à la vie intolérable dans votre pays.

Vous dites avoir fait partie des forces de la FARK de 1998-1999 et que la FARK a été dissoute. Il est donc peu crédible que cette participation, vieille de cinq ans, vous soit encore reprochée actuellement. Quoi qu’il en soit, les faits que vous invoquez sont insuffisants pour entrer dans le cadre de la Convention de Genève.

Il ressort de votre récit que vous éprouvez un sentiment d’insécurité davantage qu’une crainte de persécution telle que prévue à la Convention précitée.

De plus, le Kosovo, pour un Albanais ne saurait être considéré comme un territoire dans lequel des risques de persécutions sont à craindre.

Finalement, il ne résulte pas de votre dossier qu’il vous aurait été impossible de vous établir dans une autre région de la République de Serbie-Monténégro et de profiter d’une possibilité de fuite interne.

Par conséquent, votre demande en obtention du statut de réfugié est refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Suite à un recours gracieux formulé par le mandataire de Monsieur … suivant courrier du 4 octobre 2004 à l’encontre de la décision ministérielle précitée, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration confirma le 11 octobre 2004 sa décision initiale de refus du 18 août 2004.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 15 novembre 2004, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation à l’encontre des deux décisions ministérielles prévisées des 18 août et 11 octobre 2004.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les deux décisions ministérielles critiquées.

Le recours en réformation est recevable pour avoir par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur fait exposer que contrairement à ce qui a été retenu par le ministre, ce ne serait pas un sentiment général d’insécurité qui l’aurait amené à quitter le Kosovo, mais sa crainte de faire l’objet de persécutions de la part d’Albanais. Il explique que lors du conflit armé du Kosovo, il aurait combattu dans les rangs de la FARK, formant à côté de l’UCK l’autre armée de libération du Kosovo, et que des membres de l’UCK, lui reprochant de ne pas avoir combattu à leurs côtés durant la guerre, auraient exigé qu’il rejoigne leurs rangs, sinon qu’il quitte le pays. Il précise qu’il aurait reçu des lettres anonymes le menaçant de mort et qu’il aurait été arrêté dans la rue par des membres de l’UCK qui l’auraient menacé. Il fait valoir que le fait que la FARK aurait été dissoute en 1999 ne changerait rien au fait que l’UCK aurait tiré prétexte de son appartenance à la FARK pour le faire partir. Il relève encore l’impuissance des forces armées internationales présentes au Kosovo par rapport aux violences interethniques du mois de mars 2004 pour justifier le fait de ne pas avoir recherché la protection des autorités au Kosovo. Enfin, il conteste l’existence d’une possibilité de fuite interne dans son chef en se prévalant du rapport de l’UNHCR daté d’août 2004 sur la situation des minorités au Kosovo.

Le délégué du gouvernement estime que le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration a fait une saine appréciation de la situation du demandeur, de sorte qu’il serait à débouter de son recours.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition du 24 novembre 2004, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte-rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, force est de constater que les menaces de mort proférées par des inconnus, prétendument membres de l’UCK, à les supposer établies, constituent certainement des pratiques condamnables, mais en l’espèce, ne dénotent pas une gravité telle qu’elles établissent à l’heure actuelle un risque de persécution dans le chef du demandeur au point que sa vie lui serait intolérable dans son pays d’origine. Le récit du demandeur traduit tout au plus un sentiment général d’insécurité, sans qu’il n’ait fait état d’une persécution personnelle vécue ou d’une crainte qui serait telle que la vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine.

D’autre part, les prétendues menaces de mort de la part d’inconnus, prétendument membres de l’UCK invoquées par le demandeur s’analysent non pas en une persécution émanant de l’Etat, mais d’un groupe de la population et ne sauraient dès lors être reconnues comme motif d’octroi du statut de réfugié que si la personne en cause ne bénéfice pas de la protection des autorités de son pays d’origine pour l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève. Or, la notion de protection de la part des autorités du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion.

Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée. Il faut en plus que le demandeur d’asile ait concrètement recherché cette protection, de sorte que ce n’est qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf. Jean-Yves CARLIER : Qu’est-ce qu’un réfugié ?, p. 113, nos 73-s).

Or, en l’espèce, le demandeur reste en défaut d’établir à suffisance de droit que les autorités chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre publics en place au Kosovo ne soient ni disposées ni capables de lui fournir une protection adéquate, étant relevé qu’il n’a pas fait état d’un quelconque fait concret qui serait de nature à établir un défaut caractérisé de protection de la part des autorités en place. En effet, il ressort du rapport d’audition qu’il n’a pas porté plainte au motif qu’il n’aurait pas su où porter plainte. Par ailleurs, c’est à tort que le demandeur entend se prévaloir du fait que les forces armées internationales présentes au Kosovo seraient incapables de lui fournir une protection adéquate, étant donné qu’il n’a pas recherché la protection des forces de la KFOR.

Il suit de ce qui précède qu’indépendamment de toutes considérations relativement à une possibilité de fuite interne, le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

donne acte au demandeur de ce qu’il déclare bénéficier de l’assistance judiciaire ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Campill, vice-président, M. Spielmann, juge, Mme Gillardin, juge, et lu à l’audience publique du 17 mars 2005 par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Campill 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 18862
Date de la décision : 17/03/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-03-17;18862 ?

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