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17/03/2005 | LUXEMBOURG | N°18764

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 17 mars 2005, 18764


Tribunal administratif N° 18764 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 22 octobre 2004 Audience publique du 17 mars 2005

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Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice et une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18764 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 22 octobre 2004 par Maître Frank WIES, avocat à la Cour,

inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M. …, né le 8 mars 1965 à Tonga (Soud...

Tribunal administratif N° 18764 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 22 octobre 2004 Audience publique du 17 mars 2005

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Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice et une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18764 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 22 octobre 2004 par Maître Frank WIES, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M. …, né le 8 mars 1965 à Tonga (Soudan), de nationalité soudanaise, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice intervenue le 14 juillet 2004 rejetant sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, telle que cette décision a été confirmée par le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration le 20 septembre 2004, suite à un recours gracieux du demandeur ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 13 janvier 2005 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Frank WIES et Madame le délégué du gouvernement Jacqueline JACQUES en leurs plaidoiries respectives.

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En date du 27 janvier 2004, M. … introduisit auprès du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

M. … fut entendu le 26 février 2004 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 14 juillet 2004, lui remise en mains propres le 2 août 2004, le ministre de la Justice l’informa que sa demande d’asile avait été refusée. Cette décision est libellée comme suit :

« Il résulte de vos déclarations que vous seriez avec votre père de religion chrétienne, plus particulièrement « rastafarian ». Une des caractéristiques du « rastafarianism » constituerait en ce que Jésus serait de couleur noire, de plus les cheveux des « rastafarian » ne devraient pas être coupés. Vous auriez tous deux été arrêtés à deux reprises par la police, la première fois en juin 2003, vous seriez restés un jour, la fois suivante en octobre 2003, où ils vous auraient gardés deux jours. La police aurait demandé à votre père de ne plus prêcher le « rastafarianism ». Un jour, des musulmans seraient venus chez vous, vous auraient tapé ainsi que votre père, l’ami de celui-ci aurait été aussi présent. Ils auraient brûlé votre maison y laissant votre père à l’intérieur, et vous auraient traînés dehors avec l’ami de votre père.

Vous auriez réussi ensemble à vous échapper avant qu’ils ne vous coupent les cheveux. Ainsi, lors de votre fuite l’ami de votre père aurait payé un homme pour pouvoir partir en voiture jusqu’au Kenya. De ce pays vous auriez pris deux avions sans en connaître les destinations.

Ensuite, votre accompagnateur s’en serait allé vous laissant seul. Enfin un homme blanc, que vous auriez rencontré, vous aurait déposé en voiture à la gare de Luxembourg.

Vous ajoutez qu’en cas de retour vous seriez tué par ces musulmans. De plus, il y aurait partout des attaques contre les chrétiens.

Vous déclarez avoir quitté votre pays alors que cela n’aurait pas été votre décision, vous l’auriez cependant fait en raison du manque de liberté d’expression concernant votre religion.

Enfin, vous n’êtes membre d’aucun parti politique.

Il y a d’abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

En l’espèce, il ressort du rapport d’audition que votre crainte des musulmans traduit plutôt un sentiment général d’insécurité qu’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève. En effet, des attaques seraient courantes contre les chrétiens selon vos déclarations, et de plus vous dites ne pas connaître les musulmans qui vous auraient attaqué. A cela s’ajoute qu’un groupe de musulmans inconnus ne sauraient constituer des agents de persécution.

De plus, un demandeur d’asile doit au moins pouvoir présenter un récit crédible et cohérent, or il convient de relever tout d’abord une certaine confusion dans les faits racontés.

En l’occurrence, il est peu vraisemblable que vous ayez pu échapper à vingt personnes qui de plus auraient été armées, selon vos allégations. Lors de l’incident en question, vous expliquez que les musulmans vous auraient sortis de la maison car elle aurait été en train de brûler, or ensuite vous mentionnez le chiffre de 7-8 personnes qui auraient été dehors avec vous, les autres se seraient trouvés à l’intérieur de la maison en train de détruire des affaires. Force est de constater que de telles déclarations sont contradictoires. A cela s’ajoute, dans un autre contexte, qu’il est inconcevable que vous ne sachiez donner aucune indication sur les destinations des deux avions que vous auriez pris. Il s’ensuit de ces remarques que des doutes doivent être émis sur la crédibilité de l’ensemble de vos allégations.

De toutes façons, même à supposer les faits que vous alléguez établis, ils ne sauraient, en eux-mêmes, constituer un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’ils ne peuvent, à eux seuls, fonder dans le chef du demandeur d’asile une crainte justifiée d’être persécuté dans votre pays d’origine du fait de votre race, de votre religion, de votre nationalité, de votre appartenance à un groupe social ou de vos convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section 1, § 2 de la Convention de Genève. En effet, les deux brèves arrestations que vous auriez connues, même dommageables soient-elles, ne sauraient suffire afin de bénéficier du statut de réfugié. De plus, vous précisez lors de l’audition ne pas parler la langue des policiers, à savoir l’arabe (langue officielle du Soudan), il n’est ainsi pas établi que lesdites arrestations ont été causées en raison de l’exercice de la religion de votre père.

Enfin, il ne ressort pas du dossier que vous n’étiez pas en mesure de vous installer dans une autre région de votre pays d’origine et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Suite à un recours gracieux introduit par lettre de son mandataire le 2 septembre 2004 et à une décision confirmative du refus initial prise par le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration le 20 septembre 2004, M. …, par requête déposée le 22 octobre 2004, a fait introduire un recours tendant à la réformation des décisions ministérielles prévisées des 14 juillet et 20 septembre 2004.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, de sorte que le recours en réformation, ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, est recevable.

A l’appui de son recours, le demandeur reproche aux deux autorités ministérielles, successivement compétentes en la matière, d’avoir commis une erreur d’appréciation et une mauvaise application de la loi en refusant sa demande d’asile. Il expose être originaire du sud du Soudan et, plus précisément, de la région de Tonga et de faire partie de la communauté religieuse des « rastafari », communauté dont son père aurait été le chef pour la région de Tonga. Dans ce contexte, il expose plus particulièrement que les adeptes du « rastafari » se serait souvent réunis dans le jardin de leur maison familiale et qu’en raison de ces réunions, il y aurait eu des conflits avec des membres d’autres communautés religieuses, notamment des musulmans, ce qui aurait incité sa mère à quitter le Soudan pour le Congo. Le demandeur expose encore qu’il aurait été arrêté ensemble avec son père à deux reprises par les autorités étatiques qui leur auraient enjoints d’arrêter de prêcher leur religion. M. … ajoute qu’au courant du mois d’octobre 2003, une vingtaine de musulmans auraient attaqué sa maison familiale, y mis le feu et assassiné son père, attaque lors de laquelle il aurait été blessé à l’arme blanche, mais qu’il aurait néanmoins réussi à s’enfuir ensemble avec un ami de son père, qui l’aurait aidé à quitter son pays d’origine. Le demandeur ajoute finalement que les autorités soudanaises seraient incapables de lui offrir une protection efficace et soutiendraient même les groupes musulmans qui le persécuteraient et que toute possibilité de fuite interne serait exclue dans son chef.

Le représentant étatique soutient que les deux ministres auraient fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que son recours laisserait d’être fondé.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

Force est de constater que les actes de persécution dont se prévaut le demandeur – à les supposer établis – n’émanent non pas des autorités publiques, mais de rebelles. Or, s’agissant ainsi d’actes émanant de certains groupements de la population, il y a lieu de relever qu’une persécution commise par des tiers peut être considérée comme fondant une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève uniquement en cas de défaut de protection de la part des autorités publiques pour l’un des motifs énoncés par ladite Convention et dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile. En outre, la notion de protection de la part du pays d’origine de ses habitants contre des agissements de groupes de la population n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, et une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p. 113, nos 73-s). Pareillement, ce n’est pas la motivation d’un acte criminel qui est déterminante pour ériger une persécution commise par un tiers en un motif d’octroi du statut de réfugié, mais l’élément déterminant à cet égard réside dans l’encouragement ou la tolérance par les autorités en place, voire l’incapacité de celles-ci d’offrir une protection appropriée.

Or, en l’espèce, il convient de relever que la situation globale au sud du Soudan a largement évolué depuis l’époque du départ du demandeur au courant du mois de janvier 2004, suite à la signature d’un accord de paix entre le gouvernement soudanais et le Mouvement populaire de libération du Soudan à Nairobi en date du 9 janvier 2005, accord qui a mis fin à une guerre civile de 21 ans et qui est également à la base d’un futur déploiement d’une force internationale de quelque 7.000 hommes, destinée à garantir l’accord de paix intervenu. Partant, au vu de la situation actuelle existant au sud du Soudan, le demandeur ne démontre pas que les autorités chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre publics en place ne soient pas capables de lui assurer un niveau de protection suffisant, étant donné que la simple affirmation que les autorités locales ne sauraient le protéger est insuffisante à cet égard.

Il résulte des développements qui précèdent que le demandeur reste en défaut d’établir une persécution ou un risque de persécution au sens de la Convention de Genève dans son pays de provenance, de manière que le recours sous analyse doit être rejeté comme n’étant pas fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

donne acte au demandeur de ce qu’il déclare bénéficier de l’assistance judiciaire ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Campill, vice-président, M. Spielmann, juge, Mme Gillardin, juge, et lu à l’audience publique du 17 mars 2005 par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Campill 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 18764
Date de la décision : 17/03/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-03-17;18764 ?

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