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16/03/2005 | LUXEMBOURG | N°18978

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 16 mars 2005, 18978


Tribunal administratif N° 18978 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 10 décembre 2004 Audience publique du 16 mars 2005

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Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18978 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 10 décembre 2004 par Maître David YURTMAN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre d

es avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Mossoul (Iraq), de nationalité iraquienne, demeura...

Tribunal administratif N° 18978 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 10 décembre 2004 Audience publique du 16 mars 2005

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Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18978 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 10 décembre 2004 par Maître David YURTMAN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Mossoul (Iraq), de nationalité iraquienne, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration intervenue le 6 septembre 2004 rejetant sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, telle que cette décision a été confirmée par ledit ministre le 10 novembre 2004, suite à un recours gracieux du demandeur ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 24 janvier 2005 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 23 février 2005 en nom et pour compte du demandeur ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport et Madame le délégué du gouvernement Jacqueline JACQUES en sa plaidoirie.

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En date du 14 avril 2003, Monsieur … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour, Monsieur … fut entendu par un agent de la police grand-ducale sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Grand-Duché de Luxembourg.

Il fut encore entendu le 3 juillet 2003 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 6 septembre 2004, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration l’informa que sa demande d’asile avait été refusée. Cette décision est libellée comme suit :

« Il résulte de vos déclarations que vous auriez quitté votre domicile le 15 février 2003 pour aller d’abord en Turquie. Là, vous auriez pris place dans un camion qui vous aurait conduit au Luxembourg.

Vous avez déposé votre demande en obtention du statut de réfugié le 14 avril 2003.

Vous seriez d’origine kurde. Votre père aurait été commerçant mais il aurait aussi exercé les fonctions de conseiller de village sous le régime de Saddam Hussein. Vous ajoutez qu’il aurait été opposé au parti kurde. Vous auriez reçu une convocation pour faire votre service militaire, mais vous auriez eu peur de la guerre. Vous précisez que ce n’était pas encore la guerre à ce moment-là, mais que vous sentiez qu’une guerre se préparait. Vous dites que la situation actuelle serait peu stable et qu’il y aurait des escarmouches contre l’armée américaine. En ce qui concerne les mauvais traitements que vous auriez subis, ils se résumeraient à une arrestation pour contrebande dans la zone kurde. A cette occasion, on vous aurait tapé.

Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécutions au sens de la Convention de Genève Je vous rends attentif au fait que la situation en Iraq a complètement changé depuis le début de l’année 2003. Le régime de Saddam Hussein est tombé, l’Iraq est passé d’abord sous contrôle des forces américaines et de leurs alliés et ensuite un gouvernement iraquien a été formé. Il est peu probable que, dans ces circonstances, vous soyez encore considéré comme insoumis et poursuivi pour n’avoir pas effectué votre service militaire sous l’ancien régime.

Quant à l’insécurité de la situation actuelle, elle ne saurait suffire pour obtenir le statut de réfugié car elle prouve, dans votre chef, un sentiment d’insécurité et non une crainte fondée de persécution.

Vous n’alléguez donc aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays, telle une crainte justifiée de persécution en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social.

Par conséquent, votre demande en obtention du statut de réfugié est refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Suite à un recours gracieux introduit par lettre de son mandataire le 17 octobre 2004 et à une décision confirmative du refus initial prise par le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration le 10 novembre 2004, Monsieur …, par requête déposée le 10 décembre 2004, a fait introduire un recours tendant à la réformation des décisions prévisées du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration des 6 septembre et 10 novembre 2004.

Le recours en réformation est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Quant au fond, le demandeur reproche en substance au ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration d’avoir commis une erreur d’appréciation et une mauvaise application de la loi en refusant sa demande d’asile. Il expose être de nationalité iraquienne et appartenir à la minorité kurde et il soutient remplir les conditions pour être admis au statut de réfugié, au motif que la situation générale régnant en Iraq resterait instable et dangereuse et qu’en cas de retour en Iraq, il risquerait d’être considéré comme un collaborateur de l’ancien régime et d’y être emprisonné voire tué. Dans ce contexte, il estime qu’un mandat d’arrêt produit en cause n’aurait pas été apprécié à sa juste valeur, étant donné qu’il appuierait pleinement ses craintes.

D’un autre côté, il soutient avoir déserté l’armée de Saddam HUSSEIN et qu’il risquerait des représailles de la part d’anciens membres des feddayins.

Le représentant étatique soutient que le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que son recours laisserait d’être fondé.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, une crainte de persécution doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, le demandeur d’asile risque de subir des persécutions et force est de constater que l’existence de pareils éléments ne se dégage pas des éléments d’appréciation soumis au tribunal, alors que le récit du demandeur traduit somme toute qu’un sentiment général d’insécurité, sans qu’il n’ait fait état d’une persécution personnelle vécue ou d’une crainte qui serait telle que la vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine.

Cette conclusion s’impose au regard de ce qu’au moment du dépôt de sa demande d’asile, le demandeur a uniquement fait état de son origine kurde et de ce qu’elle aurait impliqué sa mise au ban et sa poursuite dans sa ville d’origine, le demandeur ayant ajouté simplement que lorsqu’on aurait en outre essayé de le contraindre à effectuer son service militaire, il aurait quitté son pays d’origine pour s’enfuir en Turquie, que par la suite, l’expression de ses craintes concrètes reste encore essentiellement vague lors de son audition du 3 juillet 2003, le demandeur répondant à la question quant aux raisons de sa fuite que « depuis que j’ai été contacté par les services secrets et que j’ai signé dans les Feddajin, je suis en danger. Ou bien j’y vais ou bien je n’y vais pas et alors c’est dangereux puisque j’ai signé. Les Kurdes sont aussi dangereux, car je serai considéré comme collaborateur de l’ancien régime » et ce n’est que dans le cadre du recours gracieux que, curieusement et sans aucune explication, apparaît un mandat d’arrêt daté déjà du 10 avril 2002 relativement à un reproche de « collaboration avec l’ancien régime », étant relevé qu’il est difficile de comprendre pourquoi le demandeur n’en a pas fait état plus tôt.

Or, pareils évolution ou revirement ne sont pas de nature à conforter la crédibilité du demandeur, d’une part, et il est difficile de voir un risque concret de persécution émanant du simple fait d’avoir fait l’objet d’une tentative de recrutement par l’armée de Saddam HUSSEIN, ce à quoi le demandeur, d’après ses déclarations, s’est soustrait, faute de lien direct et apparent avec un prétendu reproche de collaboration, étant donné que soit il n’y a rien d’autre qui sous-tend ledit mandat et le demandeur pourra se défendre et se disculper relativement aisément, soit le mandat a une autre raison d’être et le demandeur devrait s’en expliquer, en l’état, ses explications vagues y afférentes ne laissant pas apparaître un risque personnel concret de persécution en Iraq, spécialement au regard de l’évolution que connaît le pays depuis 2003.

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Campill, vice-président, M. Spielmann, juge, Mme Gillardin, juge et lu à l’audience publique du 16 mars 2005 par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

Legille Campill 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 18978
Date de la décision : 16/03/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-03-16;18978 ?

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