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16/03/2005 | LUXEMBOURG | N°18703

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 16 mars 2005, 18703


Tribunal administratif N° 18703 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 8 octobre 2004 Audience publique du 16 mars 2005 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre du Travail et de l’Emploi en matière de permis de travail

JUGEMENT

Vu la requête inscrite au numéro 18703 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 8 octobre 2004 par Maître François MOYSE, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, employé, demeurant à L-…, tendant à la réformation,

sinon à l’annulation de la décision du ministre du Travail et de l’Emploi du 7 juillet 20...

Tribunal administratif N° 18703 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 8 octobre 2004 Audience publique du 16 mars 2005 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre du Travail et de l’Emploi en matière de permis de travail

JUGEMENT

Vu la requête inscrite au numéro 18703 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 8 octobre 2004 par Maître François MOYSE, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, employé, demeurant à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision du ministre du Travail et de l’Emploi du 7 juillet 2004, lui notifiée le lendemain, portant refus du permis de travail sollicité dans son chef ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 6 janvier 2005 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 3 février 2005 par Maître François MOYSE au nom de Monsieur … ;

Vu le mémoire en duplique du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 3 mars 2005 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision ministérielle critiquée ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître François MOYSE et Madame le délégué du Gouvernement Jacqueline JACQUES en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 7 mars 2005.

Considérant que par arrêté du 7 juillet 2004, le ministre du Travail et de l’Emploi, ci-après dénommé le « ministre », a refusé le permis de travail sollicité par Monsieur …, de nationalité israélienne, « pour les raisons inhérentes à la situation et à l’organisation du marché de l’emploi suivantes :

- des demandeurs d’emploi appropriés sont disponibles sur place - priorité à l’emploi des ressortissants de l’Espace Economique Européen - poste de travail non déclaré vacant par l’employeur - occupation irrégulière depuis mars 2004 - recrutement à l’étranger non-autorisé » Considérant que par recours déposé en date du 8 octobre 2004, Monsieur … a sollicité la réformation, sinon l’annulation de la décision ministérielle prérelatée du 7 juillet 2004 lui notifiée le lendemain ;

Considérant que le délégué du Gouvernement conclut à l’irrecevabilité du recours en réformation, aucun recours au fond n’étant prévu en la matière ;

Considérant que le tribunal est incompétent pour connaître du recours en réformation introduit en ordre principal, aucune disposition légale ne prévoyant un recours de pleine juridiction en la matière ;

Considérant que le recours en annulation est recevable pour avoir été introduit suivant les formes et délai prévus par la loi ;

Considérant qu’à l’appui de son recours Monsieur … fait valoir qu’étant marié à une ressortissante suédoise avec laquelle il réside à … depuis le mois d’avril 2004, il devrait être dispensé de tout permis de travail, ainsi qu’il résulterait à la fois des grands principes de la liberté de circulation et de la liberté d’établissement des citoyens communautaires et d’une circulaire ministérielle portée à sa connaissance à travers une information de l’administration de l’Emploi ;

Qu’au titre du droit communautaire il invoque plus précisément l’article 39 (ex 48) CE, ensemble l’article 11 du règlement CEE 1612/68 du Conseil du 15 octobre 1968 relatif à la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de la communauté instituant un droit dérivé au profit du conjoint du travailleur bénéficiaire de la libre circulation d’accéder à toutes activités salariées dans l’Etat membre où ledit travailleur communautaire s’est installé, de même que la directive 90/364 CEE du Conseil du 28 juin 1990 relative au droit de séjour, accordant à tous citoyens européens le droit de séjour dans un autre Etat membre, dans tous les cas où ce droit ne serait pas couvert par une autre disposition, le conjoint non-communautaire devant bénéficier de ce même droit de séjour précisé par ailleurs par l’article 18, paragraphe 1er CE ;

Que le délégué du Gouvernement de faire valoir en l’espèce, qu’au moins deux conditions d’application de l’article 11 du règlement CEE n° 1612/68 du Conseil ne seraient pas remplies en ce que, d’une part, l’épouse de Monsieur … ne vivrait pas au Grand-Duché de Luxembourg et que, d’autre part, elle n’exercerait pas non plus d’activité salariée ou non-salariée dans le pays de résidence de Monsieur … ;

Que la circulaire ministérielle invoquée par le demandeur ne visant que les hypothèses couvertes par le droit communautaire, elle ne trouverait pas application en l’espèce ;

Que la décision ministérielle déférée se trouverait dès lors justifiée à suffisance de droit par les motifs y invoqués ;

Qu’à travers son mémoire en réplique le demandeur d’insister qu’à partir de l’article 18 du Traité sur l’Union européenne, son conjoint, de nationalité suédoise, tirerait, à travers sa citoyenneté européenne, un droit de séjour direct et un libre accès direct au marché du travail dans l’Etat de sa résidence, le Grand-Duché de Luxembourg, au-delà des exigences anciennes relatives aux travailleurs communautaires en migration ;

Qu’en tant que conjoint d’un citoyen communautaire le demandeur devrait par conséquent jouir des mêmes droits ;

Que dès lors, en refusant au demandeur la possibilité de travailler, le ministre du Travail et de l’Emploi empêcherait un conjoint d’un ressortissant communautaire de bénéficier de sa liberté de circulation et d’établissement, en se basant uniquement sur les critères de droit national, alors que le droit communautaire devrait cependant aboutir à écarter les restrictions de droit national en la matière ;

Qu’à travers son mémoire en duplique le délégué du Gouvernement de faire valoir qu’à ce jour le ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration, compétent en la matière, n’aurait pas encore été saisi d’une demande de carte de séjour de l’épouse du demandeur, de sorte que l’existence d’un droit de séjour de Madame … n’aurait pas pu être utilement vérifiée, de même qu’il serait constant que celle-ci n’exerce aucune activité salariée au Grand-Duché, entraînant que les conditions d’application de l’article 11 du règlement CEE/1612/68 du Conseil précité ne seraient point réunies, de même qu’un droit de séjour au sens de la directive 90/364/CEE du Conseil également précitée ne serait point vérifié ;

Que le demandeur de faire valoir en termes de plaidoiries que son épouse et lui-

même auraient fait valablement la déclaration d’arrivée à la commune de … et qu’ils ne sauraient pâtir du fait que d’un point de vue administratif leurs demandes de carte de séjour ne suivraient pas utilement leur chemin ;

Considérant qu’il est constant que le demandeur … est de nationalité israélienne, partant ressortissant d’un pays tiers, tandis que son épouse, Madame …, est de nationalité suédoise, citoyenne de l’Union ;

Qu’en date du 30 avril 2004, les époux …-… ont effectué une déclaration d’arrivée auprès de l’administration communale de …, pour eux-mêmes et leur fils mineur …-…, né en Suède le… , déclarant tous venir de Stockholm (Suède) ;

Considérant que si sur la toile de fond du principe de la libre circulation des travailleurs, Monsieur … a invoqué à travers sa requête introductive d’instance un droit dérivé d’accès à l’activité salariée par lui briguée au Grand-Duché de Luxembourg, sans qu’il n’ait besoin d’un permis de travail, le tout en vertu de l’article 11 du règlement CEE 1612/68 précité, il invoque à travers son mémoire en réplique un droit direct tiré de l’article 18 CE dans le chef de son épouse, droit devant lui profiter non seulement pour le séjour au Grand-Duché de Luxembourg, mais également pour l’accès au marché du travail local ;

Considérant que l’article 18, paragraphe 1er CE dispose que « tout citoyen de l’Union a le droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des Etats membres, sous réserve des limitations et conditions prévues par le présent traité et par les dispositions prises pour son application » ;

Considérant que si l’article 18 CE, consacre dans le chef d’un citoyen de l’Union le droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des Etats membres, il n’en reste pas moins que ce même article 18 CE prévoit que ce droit est reconnu sous réserve des limitations et conditions prévues par le traité, ainsi que par les dispositions prises pour son application ;

Considérant qu’en l’état actuel de la législation européenne et de son application jurisprudentielle se limitant aux questions de droit de séjour, concernant les droits directement tirés de l’article 18 CE, ce dernier ne couvre directement l’accès au marché du travail dans un Etat membre ni dans le chef du citoyen de l’Union, ni a fortiori, de façon dérivée, dans celui de son conjoint non communautaire ;

Considérant que le droit dérivé d’accès au marché du travail d’un autre Etat membre est consacré, en l’état, par l’article 11 du règlement CEE 1612/68 du Conseil précité, disposant que : « le conjoint et les enfants de moins de 21 ans ou à charge d’un ressortissant d’un Etat membre exerçant sur le territoire d’un Etat membre une activité salariée ou non salariée, ont le droit d’accéder à toute activité salariée sur l’ensemble du territoire de ce même Etat, même s’ils n’ont pas la nationalité d’un Etat membre » ;

Considérant que le délégué du Gouvernement oppose au demandeur que son conjoint n’a ni un droit de séjour vérifié au Grand-Duché de Luxembourg, ni n’y exerce une activité salariée, de sorte que deux au moins des conditions posées par l’article 11 du règlement CEE 1612/68 du Conseil précité ne seraient pas remplies ;

Considérant qu’il est constant que Madame … n’entre pas dans les prévisions dudit article 11 en ce qu’elle n’exerce pas de façon vérifiée une activité salariée ou non salariée au Grand-Duché de Luxembourg ;

Que dès lors du point de vue du droit communautaire applicable, Monsieur … ne dispose pas d’un droit dérivé d’accès au marché du travail, de sorte qu’en vertu des dispositions du droit national et plus particulièrement des articles 26 et 28 combinés de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1) l’entrée et le séjour des étrangers ; 2) le contrôle médical des étrangers ; 3) l’emploi de la main-d’œuvre étrangère, un permis de travail était en principe requis dans son chef ;

Considérant que toujours en vertu du droit national, à travers la décision ministérielle déférée, cinq motifs de refus ont été avancés, dont celui du poste de travail non-déclaré vacant par l’employeur ;

Considérant que l’article 10 (1) du règlement grand-ducal du 12 mai 1972 déterminant les mesures applicables pour l’emploi des travailleurs étrangers sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg, dans la teneur lui conférée par le règlement grand-ducal du 29 avril 1999, dispose dans son deuxième alinéa que « la non-déclaration formelle et explicite de la vacance de poste à l’administration de l’emploi, conformément à l’article 9 paragraphe (2) de la loi modifiée du 21 février 1976 concernant l’organisation et le fonctionnement de l’administration de l’emploi et portant création d’une commission nationale de l’emploi, constitue un motif valable et suffisant de refus du permis de travail ».

Considérant que d’après l’article 9 de ladite loi modifiée du 21 février 1976, tout poste de travail doit être obligatoirement déclaré à l’administration de l’Emploi laquelle, d’après l’article 14 de la même loi est compétente pour le placement de personnes en quête d’emploi, qu’elles soient soumises à l’obligation du permis de travail ou non ;

Considérant que le motif tiré du poste de travail non déclaré vacant par l’employeur n’a pas été autrement énervé en fait par le demandeur, ni son mal-fondé en fait ne résulte-t-il des pièces actuellement versées au dossier ;

Considérant qu’en présence des termes clairs et précis employés par l’article 10 (1) du règlement grand-ducal modifié du 12 mai 1972 prérelaté, la déclaration de vacance de poste incombant à l’employeur doit être formelle et explicite ;

Considérant que d’un autre côté la non-déclaration formelle et explicite de la vacance de poste à l’administration de l’Emploi constitue, d’après le texte réglementaire sous revue, un motif valable et suffisant de refus du permis de travail, de sorte que face au caractère non seulement clair et précis mais encore automatique de la disposition réglementaire en question, la directive ministérielle prérelatée ne saurait être de nature à fonder dans le chef du demandeur la délivrance d’un permis de travail au-delà du non-

accomplissement constant en cause de la déclaration formelle et explicite de la vacance du poste concerné à l’administration de l’Emploi ;

Considérant que force est dès lors au tribunal de retenir que la décision ministérielle de refus déférée se justifie en raison du motif de refus tiré de la non-

déclaration formelle et explicite par l’employeur de la vacance de poste dont il s’agit à l’administration de l’Emploi ;

Considérant que cette conclusion n’est point énervée par l’argument tiré par le demandeur d’une circulaire ministérielle relatée à travers une communication du directeur de l’administration de l’Emploi, suivant laquelle depuis le 1er août 2003, une personne originaire d’un Etat tiers, non-membre de l’UE, titulaire d’une carte d’identité d’étranger octroyée sur base de son mariage avec un citoyen européen, originaire d’un Etat membre de l’Union Européenne (UE), a libre accès au marché de l’emploi dans le sens qu’elle est dispensée du permis de travail ;

Considérant qu’au-delà de la question de l’exigence vérifiée en l’espèce d’une carte d’identité d’étranger telle que prévue par la circulaire ministérielle, cette dernière ne saurait justifier une dispense de permis de travail dans le chef du demandeur, dans la mesure où elle excède le cadre du droit positif applicable, compte tenu des développements qui précèdent concernant le droit communautaire et le droit national en vigueur tandis que de l’autre côté le pouvoir d’appréciation ministériel prévu par l’article 27 de la loi modifiée du 28 mars 1972 précitée, trouve ses limites dans les exigences des normes de droit positif applicables par ailleurs, dont celles découlant de l’article 10(1) du règlement grand-ducal du 12 mai 1972 prérelaté, ensemble l’article 9 de la loi modifiée du 21 février 1976 précitée (cf. trib. adm. 10 novembre 2004, n° 17823 du rôle, disponible sur Internet www. ja.etat.lu);

Que le recours laisse dès lors d’être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

se déclare incompétent pour connaître du recours en réformation ;

déclare le recours en annulation recevable ;

au fond le dit non justifié ;

partant en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 16 mars 2005 par :

M. Delaporte, premier vice-président, Mme Lenert, premier juge, Mme Thomé, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Delaporte Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 18.3.2005 Le Greffier en chef du Tribunal administratif 6


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 18703
Date de la décision : 16/03/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-03-16;18703 ?

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