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14/03/2005 | LUXEMBOURG | N°18879

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 14 mars 2005, 18879


Tribunal administratif N° 18879 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 18 novembre 2004 Audience publique du 14 mars 2005 Recours formé par Monsieur …, …, contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18879 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 18 novembre 2004 par Maître Olivier LANG, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Kosovo/Etat de Serbie e

t de Monténégro), de nationalité serbo-monténégrine, demeurant actuellement à L-…, tendant...

Tribunal administratif N° 18879 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 18 novembre 2004 Audience publique du 14 mars 2005 Recours formé par Monsieur …, …, contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18879 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 18 novembre 2004 par Maître Olivier LANG, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Kosovo/Etat de Serbie et de Monténégro), de nationalité serbo-monténégrine, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 1er septembre 2004 portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 18 octobre 2004 prise sur recours gracieux ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 2 janvier 2005 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Entendu le juge-rapporteur en son rapport, Maître Olivier LANG et Monsieur le délégué du Gouvernement Marc MATHEKOWITSCH s’étant rapportés aux écrits de leurs parties respectives à l’audience publique du 28 février 2005.

Monsieur … introduisit en date du 30 janvier 2004 une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour il fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg et sur son identité.

Il fut entendu le 10 mars 2004 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration informa Monsieur … par décision du 1er septembre 2004, lui envoyée par courrier recommandé le 8 septembre 2004, de ce que sa demande a été refusée comme non fondée au motif qu’il n’alléguait aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre sa vie intolérable dans son pays, de sorte qu’une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Le 1er octobre 2004, Monsieur … fit introduire un recours gracieux à l’encontre de cette décision.

Le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration confirma sa décision antérieure par une décision prise en date du 18 octobre 2004.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 18 novembre 2004, Monsieur … a fait déposer un recours en réformation à l’encontre des deux décisions ministérielles de refus citées ci-avant.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, de sorte que le tribunal est compétent pour l’analyser. Le recours en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

A l’appui de son recours, le demandeur, après avoir retracé les faits tels qu’ils ont été relatés par lui au cours de son audition, prend position quant aux motifs invoqués par le ministre en ce qu’il n’aurait pas cherché la protection des autorités du Kosovo et n’aurait ainsi pas rapporté la preuve de l’impossibilité dans le chef de ces autorités de le protéger. S’il admet qu’il n’a effectivement pas porté plainte pour son enlèvement après sa libération, il fait valoir que son père aurait cependant immédiatement prévenu la police juste après son enlèvement laquelle se serait présentée sur les lieux deux heures après les faits. Il fait valoir qu’étant donné que la police n’aurait plus donné de nouvelle quant à une quelconque enquête qui aurait été ouverte ou de quelconques démarches faites pour le retrouver, sinon pour poursuivre ses ravisseurs, l’inaction de la police serait établie. Il ajoute que ce serait le bon sens qui l’aurait dicté, une fois libre, de ne pas avertir une nouvelle fois les autorités qui n’auraient strictement rien entrepris par désintérêt ou impossibilité pour le retrouver. Il ajoute que s’il avait à cet instant demandé la protection de la police et si ces agresseurs avaient été informés de cet acte ils n’auraient selon toute vraisemblance pas manqué de se venger plus violemment contre lui ainsi que contre le reste de sa famille, de sorte que cette situation particulière et subjective relative à son histoire démontrerait à suffisance que dans son cas, la police n’aurait rien fait pour le protéger contre les violences annoncées de ces ravisseurs.

Pour le surplus, il se réfère à deux rapports de l’UNHCR datant de mars respectivement août 2004 pour faire valoir que les autorités actuellement en place au Kosovo seraient dans l’impossibilité de le protéger, de sorte qu’il serait en droit de bénéficier de la protection et de la Convention de Genève.

Quant à l’absence de connotation politique des persécutions subies par lui, il fait valoir que ses ravisseurs auraient comme motivation la conviction qu’il aurait été responsable du meurtre de deux albanais, appartenant à l’UCK, qu’il aurait arrêté pendant la guerre au moment de son activité au sein de l’UCK.

Le délégué du Gouvernement soutient que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs et que le recours sous analyse laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

Force est de retenir que l’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

Le demandeur fait état d’un seul évènement, à savoir qu’en date du 5 janvier 2004 trois personnes armées seraient venues à son domicile et l’auraient amené dans la forêt dans une cabane où il aurait été maltraité pendant toute la nuit pour enfin être libéré le lendemain par des chasseurs de passage. Le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration retient à ce sujet : « Les personnes qui vous ont enlevé, ne sauraient être assimilées à des agents de persécutions au sens de la Convention de Genève. Il s’agit en effet, faute de connotation raciale, ethnique ou politique avérées, d’un acte de criminalité de droit commun. Vous n’avez d’ailleurs pas porté plainte contre ces personnes ; n’ayant pas cherché protection auprès des autorités, vous n’apportez pas la preuve qu’ils seraient dans l’impossibilité de vous protéger ».

En premier lieu, il y a lieu de constater que c’est à bon droit que le ministre a relevé que l’événement en question constitue un acte de criminalité de droit commun faute de connotations racial, ethnique ou politique avérées. En effet même à admettre les explications avancées par le demandeur celles-ci ne démontrent pas à suffisance que cet acte aurait été motivé par un des motifs prévus par la Convention de Genève.

En effet, le demandeur interrogé sur la disparition des deux personnes dont ses ravisseurs l’auraient accusée répond : « Je ne sais pas du tout, je ne sais rien sur cela.

C’est vrai qu’on a amené des gens à Prekaz qui étaient contre l’UCK. C’était les militaires qui ont fait cela. Or, moi j’étais technicien médicale. J’ai essayé par tous les moyens de leur expliquer qu’ils se seraient trompés de personne. Ils avaient des mauvaises informations et tout ce que je disais n’a servi à rien. Ils voulaient se venger, ils ont dit « Tu as tué notre père et notre frère, alors ce soir on va te tuer de façon qu’on va t’arracher un membre après l’autre ».

Force est de surcroît à constater que Monsieur … se prévaut de menaces émanant non pas des autorités publiques, mais de personnes privées. Or, s’agissant ainsi d’actes émanant de certains éléments de la population, une persécution commise par des tiers peut être considérée comme fondant une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève uniquement en cas de défaut de protection de la part des autorités publiques pour l’un des motifs énoncés par ladite Convention et dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile.

En outre, la notion de protection de la part du pays d’origine de ses habitants contre des agissements de groupes de la population n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, et une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p. 113, nos 73-s). Pareillement, ce n’est pas la motivation d’un acte criminel qui est déterminante pour ériger une persécution commise par un tiers en un motif d’octroi du statut de réfugié, mais l’élément déterminant à cet égard réside dans l’encouragement ou la tolérance par les autorités en place, voire l’incapacité de celles-ci d’offrir une protection appropriée.

Or, en l’espèce le demandeur n’a, ni démontré que les autorités en place encourageraient ou toléreraient de tels actes, ni n’a-t-il démontré que celles-ci auraient été dans l’incapacité de le protéger. A ce titre les explications avancées par le demandeur au cours de son recours contentieux ne sauraient emporter la conviction du tribunal. En effet le demandeur souligne lui-même que la police, après avoir été avertie par son père au moment de son enlèvement, s’est présentée à son domicile seulement deux heures après. En plus il est en aveu, qu’il a préféré ne pas aller voir de nouveau la police après sa libération. A la question : « Mais est-ce que vous avez porté plainte auprès d’une autorité » il répond : « Après une longue discussion avec mon père, il m’a dit qu’il vaut mieux de ne pas trop propager cette histoire, il vaut mieux ne pas faire trop de bruit puisqu’on ne sait pas qui ils sont et qu’actuellement il n’y a pas de sécurité chez nous. Le soir que j’ai été enlevé, la police était venue deux heures après, alors mon père pensait que c’est mieux de laisser un certain temps pour voir si cela va s’arranger ».

Etant donné que le demandeur a lui même pris le choix délibéré de ne pas porter plainte auprès de la police, il est actuellement mal venu à reprocher aux autorités une prétendue inaction.

Pour le surplus, la référence générale aux rapports de l’UNHCR de mars et d’août 2004 ne saurait être suffisant pour faire admettre que les autorités actuellement en place sont dans l’impossibilité de le protéger personnellement.

De tout ce qui précède, il résulte que le demandeur n’a pas fait état d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève, de sorte que le recours laisse d’être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 14 mars 2005 par :

Mme Lenert, premier juge, Mme Thomé, juge, M. Sünnen, juge, en présence de M. Schmit greffier en chef.

s. Schmit s. Lenert 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 18879
Date de la décision : 14/03/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-03-14;18879 ?

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