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14/03/2005 | LUXEMBOURG | N°18466

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 14 mars 2005, 18466


Tribunal administratif Numéro 18466 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 28 juillet 2004 Audience publique du 14 mars 2005 Recours formé par la société à responsabilité limitée …, Livange contre une décision de l’administration communale … en matière de marchés publics

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18466 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 28 juillet 2004 par Maître Eyal GRUMBERG, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société à responsabilité limitée

…, établie et ayant son siège social à L-3378 Livange, z.i. Livange, route de Bettembourg, ...

Tribunal administratif Numéro 18466 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 28 juillet 2004 Audience publique du 14 mars 2005 Recours formé par la société à responsabilité limitée …, Livange contre une décision de l’administration communale … en matière de marchés publics

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18466 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 28 juillet 2004 par Maître Eyal GRUMBERG, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société à responsabilité limitée …, établie et ayant son siège social à L-3378 Livange, z.i. Livange, route de Bettembourg, représentée par son gérant actuellement en fonctions, inscrite au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro B28496, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du 16 juin 2004 de l’administration communale …, décision portant révocation de l’attribution d’un marché public portant sur l’installation d’un ascenseur dans le complexe scolaire … ;

Vu l’exploit de l’huissier de justice Gilbert RUKAVINA, suppléé par l’huissier de justice suppléant, Georges WEBER, demeurant à Diekirch, du 25 août 2004 portant signification de ladite requête à l’administration communale … ;

Vu le mémoire en réponse déposé au greffe du tribunal administratif le 13 décembre 2004 par Maître Jean-Luc GONNER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch, au nom de l’administration communale … ;

Vu la notification de ce mémoire en réponse intervenue le 9 décembre 2004 par voie de télécopie adressée à Maître Eyal GRUMBERG, mandataire de la société à responsabilité limitée … ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 7 janvier 2005 par Maître Eyal GRUMBERG au nom de la société à responsabilité limitée … ;

Vu la notification de ce mémoire en réplique intervenue le 7 janvier 2005 par voie de télécopie adressée à Maître Jean-Luc GONNER ;

Vu le mémoire en duplique déposé au greffe du tribunal administratif le 8 février 2005 par Maître Jean-Luc GONNER au nom de l’administration communale … ;

Vu la notification de ce mémoire en duplique intervenue le 3 février 2005 par voie de télécopie adressée à Maître Eyal GRUMBERG ;

Vu les pièces versées au dossier et notamment la décision critiquée ;

Entendu le juge rapporteur en son rapport, Maître Jérome GUILLOT, en remplacement de Maître Eyal GRUMBERG et Maître Jean-Luc GONNER s’étant rapportés aux écrits respectifs de leurs parties à l’audience publique du 16 février 2005.

Dans le cadre d’une soumission publique pour l’installation d’un ascenseur dans le complexe scolaire …, la société à responsabilité limitée …, ci-après la « société », déposa le 2 avril 2004 un dossier de soumission.

Le 3 mai 2004, l’administration communale … lui fit parvenir un courrier libellé comme suit :

« Objet : Soumission du 02 avril 2004 pour l’installation d’un ascenseur à exécuter dans l’intérêt de la construction d’un complexe scolaire à .

Mesdames, Messieurs, Conformément à l’article 90 alinéa (2) du règlement grand-ducal du 7 juillet 2003 sur les marchés publics, j’ai l’honneur de vous informer que le collège des bourgmestre et échevins a décidé par sa délibération en date de ce jour d’adjuger le marché mentionné sous rubrique au montant total de 50.089,40 € (TVA comprise) à votre entreprise qui a présenté l’offre économiquement la plus avantageuse.

Pour votre gouverne, je vous signale que les soumissionnaires dont les offres n’ont pas été prises en considération ont été informés du résultat de la soumission par lettre recommandée. Ils ont la possibilité de présenter leurs observations au pouvoir adjudicateur conformément à l’article 5 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes.

Passé le délai de quinze jours à compter de l’information donnée aux soumissionnaires non retenus, la décision définitive du collège des bourgmestre et échevins sera portée à la connaissance des soumissionnaires qui auront présenté des observations.

La conclusion du contrat avec l’adjudicataire aura lieu après l’expiration dudit délai de quinze jours conformément à l’article 90 alinéa (4) du règlement grand-ducal susmentionné du 7 juillet 2003. » Le 16 juin 2004, l’administration communale … fit parvenir à la société … un courrier recommandé libellé comme suit :

« Objet : Soumission du 02 avril 2004 pour l’installation d’un ascenseur à exécuter dans l’intérêt d’un complexe à ….

Mesdames, Messieurs, Conformément à l’article 90 alinéa (2) du règlement grand-ducal du 7 juillet 2003 portant exécution de la loi du 30 juin 2003 sur les marchés publics, j’ai le regret de vous informer que le collège des bourgmestre et échevins n’a pas pris en considération votre offre relative au marché mentionné sous rubrique parce que votre offre n’est pas conforme au règlement grand-ducal mentionné ci-dessus.

Conformément à l’article 5 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, il vous est loisible de présenter vos observations au collège des bourgmestre et échevins.

En application de l’article 14 du même règlement grand-ducal du 8 juin 1979, je vous informe que vous avez également la possibilité d’introduire un recours en annulation auprès du tribunal administratif contre la décision d’adjudication du 03 mai 2004 par requête signée d’un avocat à la Cour dans un délai de trois mois à partir de la notification de la présente.

Passé ce délai de quinze jours à compter de la présente information, la décision définitive du collège des bourgmestre et échevins sera portée à la connaissance des soumissionnaires qui auront présenté des observations. A l’égard de ces soumissionnaires le délai de recours devant le tribunal administratif de trois mois ne commence à courir qu’à partir de la communication de la décision définitive. » La société … reçut en date du même jour également une lettre lui adressée par courrier simple ayant la teneur suivante :

« Objet : Adjudication des travaux d’installation d’un ascenseur dans l’intérêt de la construction d’un complexe scolaire à … (soumission du 2 avril 2004) Lettre recommandée du 03 mai 2004 du collège échevinal Mesdames, Messieurs, En nous référant à notre lettre du 03 mai 2004 concernant l’affaire mentionnée sous rubrique, nous sommes au regret de devoir vous informer que la prédite lettre est à considérer comme nulle et non avenue.

En effet nous sommes malheureusement obligés de vous annoncer que votre offre n’a pas été retenue, parce qu’elle n’est pas conforme au règlement grand-ducal du 07 juillet 2003 régissant les marchés publics.

Voilà pourquoi nous sommes obligés de réexaminer le présent dossier à la lumière des considérations ci-dessus et à apporter les modifications qui s’imposent. » Le 5 juillet 2004, la société … fit parvenir à l’administration communale … un recours gracieux à l’encontre du double courrier du 16 juin 2004 en lui faisant part de ce que l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 n’aurait pas été respecté dans la mesure où elle n’a pas été informée avant la prise de la décision et en demandant le remboursement des frais exposés ainsi qu’un dédommagement du manque à gagner.

Le 13 juillet 2004, l’administration communale … fit parvenir à la société … une réponse libellée comme suit :

« En réponse à votre courrier du 5 juillet 2004 nous tenons à apporter les précisions suivantes.

La société … a déposé le 2 avril 2004 un dossier de soumission non-conforme au règlement grand-ducal du 7 juillet 2003, régissant les marchés publics, dans la mesure où pour la position 1.9 de la page 45 du dossier de soumission, elle a indiqué le montant « zéro euro », ce qui est contraire à l’article 57 du règlement grand-ducal susmentionné « Toutes les positions du bordereau doivent être remplies, elles ne peuvent ni être barrées, ni contenir le terme « néant », ni le chiffre zéro … » Ce fait nous a été signalé en date du 19 avril 2004, par le bureau d’ingénieurs… , chargé du contrôle des dossiers, (copie de la lettre en annexe), mais malheureusement nos services n’ont pas pris note de cette communication.

Par conséquent, la délibération du conseil échevinal du 3 mai 2004, d’adjuger le marché en question à la société …, était à considérer comme nulle, puisque contraire à la loi. Dans cette optique, notre lettre du 16 juin 2004 ne constitue pas une révocation d’une décision antérieure, mais une information que cette décision était dès le départ, invalide.

Il s’agit là, en toute évidence, d’un fonctionnement défectueux de nos services, qui engage notre responsabilité. Toutefois, nous sommes d’avis que, l’erreur a été découverte avant la conclusion d’un contrat définitif et avant l’accomplissement d’un certain nombre de formalités requises, la société … était nullement obligée à engager des frais et ne peut réclamer un dédommagement quelconque pour gain manqué. » Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 28 juillet 2004, la société … a fait déposer un recours en réformation sinon en annulation à l’encontre de la décision du 16 juin 2004 de l’administration communale … portant révocation de l’attribution d’un marché public lui attribué antérieurement.

Aucun recours au fond n’étant prévu dans la présente matière, le tribunal est incompétent pour analyser le recours en réformation introduit en ordre principal. Le recours en annulation formé en ordre subsidiaire est recevable pour avoir été introduit par ailleurs dans les formes et délai de la loi.

Les parties sont en désaccord en ce qui concerne la qualification en tant que décision du courrier du 3 mai 2004 de l’administration communale … informant la société … que le collège des bourgmestre et échevins a décidé de lui attribuer le marché public dont question.

Pour la société … il s’agirait bien d’une décision administrative malgré l’irrégularité constatée au sein du bordereau de soumission, de sorte que le courrier de l’administration communale … du 16 juin 2004 constituerait à son tour une décision portant révocation de la décision prise antérieurement.

L’administration communale … fait valoir que le courrier du 3 mai 2004 aurait simplement informé la société … de ce qu’elle avait décidé de lui adjuger le marché public et non pas de ce que le marché lui aurait déjà été attribué. Elle estime que dans la mesure où la société … n’aurait pas encore déposé toutes les pièces requises (attestations du Centre commun de la sécurité sociale, etc) aux termes de l’article 86 du règlement grand-ducal du 7 juillet 20031 et que pour le surplus le bordereau contiendrait une inscription « zéro euro » en violation de l’article 57 du même règlement grand-ducal, elle n’aurait pas pu adjuger définitivement le marché public à la société …, en conformité avec les dispositions impératives et d’ordre public du règlement grand-ducal du 7 juillet 2003.

La société … réplique qu’il y aurait lieu de distinguer la décision d’attribution du marché public de celle portant conclusion du contrat avec l’adjudicataire telle que prévue par l’article 90, paragraphe 4 du règlement grand-ducal du 7 juillet 2003. Elle estime que l’administration communale … ne pourrait tirer profit d’une non observation de l’article 86 du règlement grand-ducal du 7 juillet 2003, dans la mesure où cet article ne s’imposerait qu’à elle seule et qu’elle ne pourrait tirer profit de sa propre turpitude.

Quant à la non observation des prescriptions de l’article 57 du règlement grand-ducal du 7 juillet 2003, la société … fait valoir que cet article, même lu en combinaison avec l’article 71 ne s’analyseraient pas en des « normes impératives et d’ordre public ». A ce titre elle explique qu’une lecture textuelle du règlement grand-ducal du 7 juillet 2003 ne permettrait pas de retenir une telle qualification, étant donné que l’article 57 serait supplétif de volonté, d’autant plus que les prescriptions prévues à l’article 57 ne seraient pas visées dans le cadre des critères d’adjudication fixés aux articles 85 à 89 du règlement grand-ducal du 7 juillet 2003. En plus, la sanction prévue à l’article 71 serait relativisée par le contenu des articles 72 et 73, suivant lesquels il serait toujours loisible au pouvoir adjudicateur de solliciter un redressement ou une rectification.

L’administration communale … duplique qu’à travers l’article 57 du règlement grand-

ducal du 7 juillet 2003, le pouvoir réglementaire aurait voulu imposer aux offrants d’indiquer un prix pour toutes les positions et qu’il n’aurait pas voulu laisser à la discrétion du pouvoir adjudicataire une simple faculté.

Au vu des divergences quant à la qualification du courrier du 3 mai 2004, il appartient au tribunal de le qualifier.

Le courrier du 3 mai 2004 constitue une décision administrative prise par l’administration communale … d’adjuger le marché en question à la société ….

A ce titre il importe peu que la conclusion du contrat avec l’adjudicateur n’a pas encore eu lieu, étant donné que cet acte constitue un acte distinct de l’acte du 3 mai 2004, d’autant plus que la législation applicable en matière de marchés publics distingue formellement la notification d’attribution d’un marché public de la conclusion du contrat portant exécution du marché public2.

Il est également constant que la décision de l’administration communale … du 16 juin 2004 a eu pour effet de revenir sur la décision prise en date du 3 mai 2004 portant adjudication du marché public à la société …, décision ayant créé des droits dans le chef de la société …, de sorte que l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes est applicable.

1 Règlement grand-ducal du 7 juillet 2003 portant exécution de la loi du 30 juin 2003 sur les marchés publics et portant modification du seuil prévu à l’article 106 point 10° de la loi communale du 13 décembre 1988, ci-après dénommé règlement grand-ducal du 7 juillet 2003 2 Cf. TA 29 juin 2004, n° 18238 du rôle, (ordonnance) L’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes dispose : « Sauf s’il y a péril en la demeure, l’autorité qui se propose de révoquer ou de modifier pour l’avenir une décision ayant créé ou reconnu des droits à une partie, ou qui se propose de prendre une décision en dehors d’une initiative de la partie concernée, doit informer de son intention la partie concernée en lui communiquant les éléments de fait et de droit qui l’amènent à agir ».

Etant donné qu’il est constant que la société … n’a pas été préalablement informée sous forme de communication des éléments de fait et de droit qui ont amené la commune à agir, force est au tribunal de constater que ledit article n’a pas été respecté, de sorte que la décision litigieuse est entachée d’illégalité et qu’elle encourt par conséquent l’annulation.

A ce titre l’administration communale … ne saurait arguer de l’inobservation des articles 57 et 86 du règlement grand-ducal du 7 juillet 2003.

En effet, même à admettre que la décision n’a pas été valablement prise, il n’en reste pas moins que cette décision existe, bien qu’éventuellement entachée d’illégalité, de sorte que la commune ne saurait faire valoir que cette décision serait à considérer ab initio comme nulle et non avenue pour avoir été prise en méconnaissance des dispositions réglementaires applicables. Il appartient le cas échéant au tribunal d’analyser la régularité de la décision intervenue en date du 3 mai 2004.

Dès lors l’acte du 3 mai 2004 constitue un acte administratif existant, de sorte que par décision du 16 juin 2004, l’administration communale … a révoqué pour l’avenir une décision ayant crée des droits.

A ce titre la référence au jugement du tribunal administratif du 3 décembre 2003, n° 16763 du rôle, ne saurait invalider les conclusions ci-avant tirées.

En effet, la situation de départ était différente de celle actuellement déférée au tribunal.

Il s’agissait d’une offre qui a été écartée dès le départ pour ne pas avoir satisfait aux dispositions de l’article 41 (7) du règlement grand-ducal du 10 janvier 1989, article applicable à l’époque et dont le contenu a été repris par l’actuel article 57 du règlement grand-ducal du 7 juillet 2003, tandis que dans l’affaire actuellement portée devant le tribunal le marché a été attribué pour être révoqué dans la suite.

Au stade actuel de la procédure, le tribunal ne saurait se livrer à l’analyse du fond de l’affaire, à savoir si l’administration communale … a pu valablement révoquer le marché, étant donné que la décision litigieuse encourt l’annulation pour être intervenue au mépris de l’exigence fondamentale de l’information préalable prévue à l’article 9 du règlement grand-

ducal du 8 juin 1979.

De tout ce qui précède il résulte que le recours en annulation est fondé et que la décision de l’administration communale … du 16 juin 2004 encourt l’annulation.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

se déclare incompétent pour connaître du recours en réformation ;

déclare le recours en annulation recevable ;

au fond le déclare justifié ;

partant annule la décision de l’administration communale … du 16 juin 2004 ;

condamne l’administration communale … aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 14 mars 2005 par :

M. Delaporte, premier vice président, Mme Lenert, premier juge, Mme Thomé, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Delaporte Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 14.3.2005 Le Greffier en chef du Tribunal administratif 7


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 18466
Date de la décision : 14/03/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-03-14;18466 ?

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