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09/03/2005 | LUXEMBOURG | N°19287

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 09 mars 2005, 19287


Tribunal administratif N° 19287 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 9 février 2005 Audience publique du 9 mars 2005

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Recours formé par Mademoiselle …, … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19287 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 9 février 2005 par Maître Aurore GIGOT, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats

à Luxembourg, au nom de Mademoiselle …, né le … à Hun (Etat de Serbie-et-Monténégo), demeurant actuellement...

Tribunal administratif N° 19287 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 9 février 2005 Audience publique du 9 mars 2005

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Recours formé par Mademoiselle …, … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19287 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 9 février 2005 par Maître Aurore GIGOT, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Mademoiselle …, né le … à Hun (Etat de Serbie-et-Monténégo), demeurant actuellement à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 10 janvier 2005, confirmative sur recours gracieux de la décision initiale de refus du 26 novembre 2004, par laquelle sa demande tendant à la reconnaissance du statut de réfugié a été déclarée manifestement infondée ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 23 février 2005 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Ouï le juge rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Aurore GIGOT et Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives.

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Le 15 novembre 2004, Mademoiselle … introduisit auprès du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Mademoiselle … fut entendue le 24 novembre 2004 par un agent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration l’informa, par lettre du 26 novembre 2004, envoyée par courrier recommandé expédié le 3 décembre 2004, que sa demande avait été déclarée manifestement infondée au sens de l’article 9 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, au motif qu’elle ne ferait valoir aucune crainte raisonnable de persécution pour une des raisons prévues par la Convention de Genève.

A l’encontre de cette décision, Mademoiselle … fit introduire, par le biais de son mandataire, un recours gracieux formulé par lettre datée du « 27 septembre 2004 », expédiée le 22 décembre 2004.

Par décision du 10 janvier 2005, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration confirma sa décision initiale de refus du 26 novembre 2004 dans son intégralité.

Par requête déposée le 9 février 2005, Mademoiselle … a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision ministérielle du 10 janvier 2005 confirmative sur recours gracieux de la décision initiale de refus du 26 novembre 2004.

Une décision prise sur recours gracieux, purement confirmative d'une décision initiale tire son existence de cette dernière, et, dès lors, les deux doivent être considérées comme formant un seul tout. Il s’ensuit qu’un recours introduit en temps utile contre la seule décision confirmative est valable (cf. trib. adm. 21 avril 1997, n° 9459 du rôle, Pas.

adm. 2004, V° Procédure contentieuse, n° 112 et autres références y citées).

Il ressort des éléments du dossier, notamment de la décision ministérielle précitée du 26 novembre 2004, que le refus de reconnaissance du statut de réfugié est basé sur l’article 9 de la loi modifiée du 3 avril 1996, précitée.

L’article 10 de la loi précitée du 3 avril 1996 prévoit expressément qu’en matière de demandes d’asile déclarées manifestement infondées au sens de l’article 9 de la loi précitée de 1996, seul un recours en annulation est ouvert devant les juridictions administratives. Le tribunal est partant incompétent pour connaître de la demande en réformation de la décision critiquée. - En effet, si le juge administratif est saisi d’un recours en réformation dans une matière dans laquelle la loi ne prévoit pas un tel recours, il doit se déclarer incompétent pour en connaître (cf. trib. adm. 28 mai 1997, Pas. adm.

2004, V° Recours en réformation, n° 5, et autres références y citées).

Quant au recours en annulation, introduit en ordre subsidiaire, le délégué du gouvernement a soulevé à l’audience publique à laquelle l’affaire a été fixée pour plaidoiries son irrecevabilité, au motif que la demanderesse n’aurait pas la capacité d’ester en justice, étant donné qu’elle serait mineure.

S’il est vrai que la requête introductive d’instance a été introduite en apparence au seul nom de Mademoiselle …, il se dégage cependant des éléments du dossier soumis à l’appréciation du tribunal que le père de la demanderesse, Monsieur … …, a assisté sa fille durant l’entièreté de la procédure administrative et notamment lors de l’audition de sa fille par l’agent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration, qu’il a spécialement autorisé le litismandataire à introduire un recours contentieux au nom de sa fille et qu’il a déclaré représenter celle-ci dans ladite procédure, ainsi qu’il ressort d’un certificat signé par Monsieur … en date du 8 mars 2005. S’y ajoute que Monsieur … a encore déclaré « reprendre l’instance » introduite au seul nom de sa fille dans une attestation produite en cours de délibéré.

Au regard de tous ces éléments, qui font apparaître l’intérêt et l’accord du représentant légal de Mademoiselle … pour l’introduction et la poursuite d’un recours contentieux dirigé à l’encontre de la décision litigieuse, laquelle, il convient de le relever, a été adressée à la seule Mademoiselle …, malgré le fait que l’administration ne pouvait ignorer la présence d’un interlocuteur spécial en la personne du représentant légal, le moyen d’irrecevabilité est par conséquent à écarter.

Le recours en annulation à l’encontre de la décision ministérielle litigieuse, ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Quant au fond, la partie demanderesse reproche au ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration d’avoir à tort retenu qu’elle n’aurait pas invoqué de crainte de persécution justifiant la reconnaissance du statut de réfugié dans la mesure où elle aurait fui son pays d’origine, le Kosovo, pour échapper aux persécutions dont sa famille aurait été victime en raison de la collaboration de Monsieur … … avec l’OSCE, du fait que la menuiserie familiale aurait eu des clients serbes, ainsi que du fait que certains membres de la famille seraient d’origine bosniaque. Elle précise que la famille aurait reçu de nombreuses lettres de menaces de mort, que leur maison et menuiserie auraient été incendiées et que Monsieur … … aurait été torturé et emprisonné injustement. Elle conteste encore l’allégation du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration que Mademoiselle … n’aurait quitté son pays que pour rejoindre ses parents et son frère au Luxembourg, ainsi que l’existence d’une possibilité de fuite interne dans son chef.

Le délégué du gouvernement estime que le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration a fait une saine appréciation de la situation de la partie demanderesse, et que le recours de celle-ci laisse d’être fondé.

Aux termes de l’article 9 de la loi précitée du 3 avril 1996 « une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsqu’elle ne répond à aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève, si la crainte du demandeur d’asile d’être persécuté dans son propre pays est manifestement dénuée de fondement ou si la demande repose sur une fraude délibérée ou constitue un recours abusif aux procédures en matière d’asile ».

En vertu de l’article 3, alinéa 1er du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 portant application des articles 8 et 9 de la loi précitée du 3 avril 1996 « une demande d’asile pourra être considérée comme manifestement infondée lorsqu’un demandeur n’invoque pas de crainte de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques comme motif de sa demande ».

Une demande d’asile basée exclusivement sur des motifs d’ordre personnel et familial ou sur un sentiment général d’insécurité sans faire état d’un quelconque fait pouvant être considéré comme constituant une persécution ou une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève est à considérer comme manifestement infondée (cf.

trib. adm. 19 juin 1997, n° 10008 du rôle, Pas. adm. 2004, V° Etrangers, n° 107 et autres références y citées ; trib. adm. 22 septembre 1999, n° 11508 du rôle, Pas. adm. 2004, V° Etrangers, n° 105 et autres références y citées).

En l’espèce, au regard des faits et motifs invoqués par la partie demanderesse à l’appui de la demande d’asile sous examen, tels qu’ils se dégagent du rapport d’audition susvisé du 24 novembre 2004 et du recours gracieux, force est de constater qu’elle n’a manifestement pas établi, ni même allégué, des raisons personnelles suffisamment précises de nature à établir dans son chef l’existence d’une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève dans son pays de provenance.

En effet, il appert du compte-rendu d’audition de Mademoiselle … que ses craintes se résument en définitive en l’expression d’un sentiment général d’insécurité, mais non pas en l’expression d’une crainte de persécution personnelle concrète dans son chef, étant relevé que Mademoiselle … a déclaré lors de son audition qu’elle n’avait pas connu de problèmes lorsqu’elle habitait chez sa tante, respectivement son oncle après le départ de ses parents vers le Luxembourg et qu’à la question de savoir quelles pouvaient être les conséquences d’un retour, elle a répondu « j’ai perdu mon année d’école. Les plus grandes conséquences seraient pour mes parents, mais pas moi », le seul fait concret dont elle fait état, à savoir le fait d’avoir été victime d’insultes de la part de membres de la population albanaise, n’étant pas de nature à fonder une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève. - Si dans le recours contentieux, il est encore soutenu que la fuite de Mademoiselle … n’aurait pas seulement été motivée par le souhait de rejoindre sa famille au Luxembourg, mais également par le fait que la famille aurait été victime de persécutions en raison de la collaboration du père avec l’OSCE et les Serbes, il échet de constater que les actes de persécution allégués - même à les supposer établis - ainsi mis en avant par la partie demanderesse ne sont pas personnels à Mademoiselle … mais ont été vécus par d’autres membres de sa famille, et Mademoiselle … reste en défaut d’apporter un quelconque élément concret relativement à des circonstances particulières desquelles il se dégagerait un risque personnel pour elle-

même. S’y ajoute que la destruction de la maison et de l’entreprise familiale par les forces d’occupation serbes remonte trop loin dans le temps pour être prise en considération.

Il s’ensuit que c’est à bon droit que le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration a déclaré la demande d’asile de Mademoiselle … comme étant manifestement infondée, de sorte que le recours en annulation est à rejeter pour manquer de fondement.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

se déclare incompétent pour connaître du recours en réformation ;

reçoit le recours subsidiaire en annulation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant le rejette ;

condamne la partie demanderesse aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Campill, vice-président, M. Spielmann, juge, Mme Gillardin, juge, et lu à l’audience publique du 9 mars 2005 par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

Legille Campill 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 19287
Date de la décision : 09/03/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-03-09;19287 ?

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