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09/03/2005 | LUXEMBOURG | N°18910

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 09 mars 2005, 18910


Tribunal administratif N° 18910 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 26 novembre 2004 Audience publique du 9 mars 2005 Recours formé par Monsieur … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18910 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 26 novembre 2004 par Maître Stef OOSTVOGELS, avocat à la Cour, assisté de Maître Amélie JURIN, av

ocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsi...

Tribunal administratif N° 18910 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 26 novembre 2004 Audience publique du 9 mars 2005 Recours formé par Monsieur … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18910 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 26 novembre 2004 par Maître Stef OOSTVOGELS, avocat à la Cour, assisté de Maître Amélie JURIN, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Kosovo, Etat de Serbie et Monténégro), de nationalité serbo-monténégrine, actuellement détenu au Centre de détention à Schrassig, tendant principalement à la réformation et subsidiairement en annulation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 10 septembre 2004 déclarant non fondée sa demande d’admission au statut de réfugié, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre datant du 8 novembre 2004 intervenue sur recours gracieux ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 24 janvier 2005 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport à l’audience publique du 7 mars 2005 en présence de Maître Amélie JURIN et de Madame le délégué du Gouvernement Jacqueline JACQUES qui se sont toutes les deux rapportées à leurs écrits respectifs.

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En date du 18 décembre 2003, Monsieur … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour, il fut entendu par un agent de la police grand-ducale, section police des étrangers et des jeux, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Grand-Duché de Luxembourg.

Il fut entendu en outre le 2 février 2004 par un agent du ministère de la Justice sur sa situation et sur les motifs à la base de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié.

Par décision du 10 septembre 2004, notifiée par voie de courrier recommandé expédié le 17 septembre 2004, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration informa Monsieur … de ce que sa demande avait été rejetée sur base d’abord du constat qu’il avait déposé antérieurement des demandes d’asile en Allemagne et aux Pays Bas et qu’il avait été rapatrié après décision négative. Le ministre a relevé ensuite, quant au récit présenté à l’appui de sa demande, que c’était surtout le père de Monsieur … qui aurait été recherché dans son village et que lui-même n’aurait rien à voir avec la carrière de policier de celui-ci, voire avec les exactions commises par ses oncles ou d’autres policiers, collègues de son père. Quant à l’enlèvement invoqué par Monsieur …, le ministre a retenu qu’il s’agirait d’un délit de droit commun à l’encontre duquel il aurait pu porter plainte et que par ailleurs, sa crainte de vengeance de la part des Albanais de son village serait insuffisante pour lui valoir l’octroi du statut de réfugié, lesdites personnes n’étant pas susceptibles d’être considérées comme des agents de persécution au sens de ladite convention. Il a retenu finalement que les dires de Monsieur … s’analyseraient plutôt en l’expression d’un sentiment général d’insécurité qu’en une réelle crainte de persécution au sens de la Convention de Genève et que par ailleurs, il ne résulterait pas du dossier qu’il lui aurait été impossible de s’établir dans une autre région de la République de Serbie et de Monténégro et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne.

Le recours gracieux que Monsieur … a fait introduire par courrier de son mandataire datant du 11 octobre 2004 à l’encontre de la décision ministérielle prévisée du 10 septembre 2004 s’étant soldé par une décision confirmative du ministre du 8 novembre 2004, il a fait introduire, par requête déposée en date du 26 novembre 2004, un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation des deux décisions prévisées du ministre des 10 septembre et 8 novembre 2004.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, de sorte que le recours en réformation, introduit par ailleurs dans les formes et délai de la loi, est recevable. Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est irrecevable.

A l’appui de son recours Monsieur … expose que c’était pour des raisons de sécurité et par crainte d’atteinte à son intégrité physique, liée à son origine ethnique albanaise, qu’il aurait quitté le Kosovo en direction du Luxembourg. Il expose dans ce contexte que son père et ses oncles maternels auraient été policiers sous le régime du président MILOSEVIC et qu’à l’époque, tant son père que ses collègues d’origine albanaise auraient commis des tortures à l’égard d’Albanais, tandis que sa famille aurait exploité de 1995 à 1997 un commerce très fréquenté par les Serbes. Il fait valoir que de ce fait, sa famille serait bien connue dans la région d’Istok et considérée comme une famille de collaborateurs et de traîtres à la nation albanaise, de sorte qu’à ce titre, les membres de sa famille auraient subi des représailles. Il relève en outre avoir été victime d’un enlèvement en octobre 2003, alors que faute de trouver son père, les ravisseurs l’auraient emmené dans un endroit inconnu et l’auraient frappé en lui faisant subir des tortures tant physiques que psychiques. Ils auraient également fait pression sur lui en ce sens que pour pouvoir vivre paisiblement au Kosovo il devrait tuer dans un délai d’un mois trois Serbes, sous peine d’être égorgé lui-même. Refusant d’obtempérer à ce chantage, il se serait alors caché et aurait finalement décidé de prendre la fuite.

Le demandeur estime que sa situation ainsi dépeinte rentrerait clairement dans le champ d’application de la Convention de Genève, étant donné que les forces d’intervention au Kosovo ne seraient pas en mesure de lui assurer ses droits les plus fondamentaux, à savoir le droit de ne pas être persécuté à cause de son appartenance ethnique.

Le délégué du Gouvernement estime que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que celui-ci serait à débouter de son recours.

Quant au fond, l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

Encore que le demandeur se prévaut en l’espèce de persécutions dues à son appartenance ethnique, il se dégage néanmoins clairement du contexte relaté que les agressions mises en avant par le demandeur trouvent leur cause non pas directement dans l’appartenance ethnique du demandeur qui est lui-même Albanais à l’instar de personnes dont il se dit persécuté, mais repose sur une motivation d’ordre personnel tout autre, en l’occurrence un désir de vengeance basé sur la filiation du demandeur et trouvant sa source notamment dans des actes de torture avoués commis par son père à l’égard d’Albanais lors du conflit au Kosovo.

Or, si la façon alléguée dont se manifestent les ressentiments de la population albanaise à l’encontre de la famille du demandeur est certes condamnable, les actes commis dans ce contexte ne sauraient pas pour autant être considérés comme étant fondés sur l’un des motifs de persécution spécifiquement envisagés par la Convention de Genève, qui ne sauraient être confondus, de par leur nature, avec des motifs de vengeance privée ou familiale en raison d’atrocités commises par ailleurs.

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, déclare le recours non justifié et en déboute, déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 9 mars 2005 par :

Mme Lenert, premier juge, Mme Thomé, juge, M. Sünnen, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

Schmit Lenert 4


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 18910
Date de la décision : 09/03/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-03-09;18910 ?

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