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09/03/2005 | LUXEMBOURG | N°18256

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 09 mars 2005, 18256


Tribunal administratif N° 18256 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 18 juin 2004 Audience publique du 9 mars 2005 Recours formé par Monsieur …, … contre trois décisions du ministre du Travail et de l’Emploi en matière de permis de travail

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18256 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 18 juin 2004 par Maître Claude DERBAL, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, demeurant à L-…, tendant à l’annulation d’un arrêté du

ministre du Travail et de l’Emploi du 16 avril 2003, d’une décision dudit ministre du 19 sept...

Tribunal administratif N° 18256 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 18 juin 2004 Audience publique du 9 mars 2005 Recours formé par Monsieur …, … contre trois décisions du ministre du Travail et de l’Emploi en matière de permis de travail

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18256 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 18 juin 2004 par Maître Claude DERBAL, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, demeurant à L-…, tendant à l’annulation d’un arrêté du ministre du Travail et de l’Emploi du 16 avril 2003, d’une décision dudit ministre du 19 septembre 2003 et d’un arrêté dudit ministre du 10 mars 2004, décisions lui refusant la délivrance d’un permis de travail ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 18 novembre 2004 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 21 décembre 2004 au nom et pour compte du demandeur ;

Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 21 janvier 2005.

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Claude DERBAL et Messieurs les délégués du gouvernement Jean-Paul REITER et Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives.

Suivant demande déposée le 12 juillet 2001 auprès du service commun des ministères du Travail et de l’Emploi, de la Justice et de Famille, de la Solidarité sociale et de la Jeunesse, Monsieur … sollicita l’obtention d’une autorisation de séjour dans le cadre de la campagne dite de régularisation de certaines catégories d’étrangers séjournant sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg en ce qu’il résiderait au Grand-Duché de Luxembourg de façon ininterrompue depuis le 1er juillet 1998 au moins.

Par décision conjointe du 10 décembre 2002 des ministres de la Justice et du Travail et de l’Emploi, Monsieur … fut informé que « nous sommes disposés, à titre tout à fait exceptionnel, à vous accorder une autorisation de séjour ainsi qu’un permis de travail aux conditions suivantes :

1) Vous devez avoir un emploi stable avant le 6 janvier 2003, vous procurant soit un salaire au moins égal au salaire social minimum revenant à un travailleur non-

qualifié âgé de 18 ans, soit un salaire au moins égal au revenu minimum garanti auquel vous pouvez prétendre compte tenu de votre situation familiale (pour les familles, il suffit qu’un seul des parents rempli cette condition) ;

2) Vous devez disposer d’un logement non-subventionné par les autorités publiques trois mois après le début du contrat de travail.

Dès que vous aurez trouvé un emploi, vous voudrez inviter votre employeur à compléter les déclarations d’engagement ci-annexées et à les envoyer au service commun des ministères du Travail et de l’Emploi, de la Justice et de la Famille.

Dès la délivrance du permis de travail vous êtes autorisé à travailler. » Suivant contrat de travail à durée indéterminée daté au 1er janvier 2003, Monsieur … entra au service de la société E. S.A. en qualité de masseur.

Par courriers des 7 et 14 février 2003, Monsieur … sollicita, par l’intermédiaire de son mandataire, la délivrance d’un permis de travail, suite à son engagement auprès de la société E. S.A.

Le ministre du Travail et de l’Emploi, ci-après dénommé « le ministre », refusa, par arrêté du 16 avril 2003 de faire droit à cette demande « pour les raisons inhérentes à la situation et à l’organisation du marché de l’emploi suivantes - des demandeurs d’emploi appropriés sont disponibles sur place : 2155 ouvriers non qualifiés inscrits comme demandeurs d’emplois au bureau de placement de l’Administration de l’Emploi - priorité à l’emploi des ressortissants de l’Espace Economique Européen - poste de travail non déclaré vacant par l’employeur - occupation irrégulière depuis le 01.01.2003 - recrutement à l’étranger non autorisé ».

Suite à plusieurs courriers de réclamation de la part de l’a.s.b.l. Association de Soutien aux Travailleurs Immigrés et du mandataire de Monsieur …, insistant sur le fait que ce dernier aurait rempli les conditions préalables posées par la décision du 10 décembre 2002, le ministre suivant courrier du 19 septembre 2003 répondit en les termes suivants :

« Maître, J’accuse bonne réception de la demande dans l’affaire reprise sous rubrique.

Avant tout progrès en cause, je vous prie de bien vouloir me faire tenir une copie de la reconnaissance du diplôme de Monsieur …, ainsi qu’une copie de son autorisation d’exercer la profession de masseur.

A défaut de recevoir une réponse dans un délai d’un mois, votre demande en obtention d’un permis de travail est à considérer comme refusée.

La présente lettre repose sur les avis de l’Administration de l’Emploi et de la commission consultative d’avis spéciale en matière de permis de travail ».

Dans un courrier de son mandataire du 8 janvier 2004, Monsieur … admit ne pouvoir prester la profession de masseur au Grand-Duché de Luxembourg, mais informa le ministre du fait qu’il aurait trouvé un nouvel emploi en tant qu’agent commercial auprès de la société X. LUXEMBOURG et sollicita de nouveau la délivrance d’un permis de travail estimant avoir rempli les conditions posées dans la décision ministérielle du 10 décembre 2002.

Par arrêté du 10 mars 2004, le ministre refusa de nouveau de faire droit à la demande de Monsieur … « pour les raisons inhérentes à la situation et à l’organisation du marché de l’emploi suivantes - des demandeurs d’emploi appropriés sont disponibles sur place : 190 agents commerciaux inscrits comme demandeurs d’emplois au bureau de placement de l’Administration de l’Emploi - priorité à l’emploi des ressortissants de l’Espace Economique Européen - poste de travail non déclaré vacant par l’employeur - recrutement à l’étranger non autorisé - ordre de quitter le territoire du Grand-Duché du 17.02.2004 ».

Par courrier du 25 mars 2004, Monsieur …, par l’intermédiaire de son mandataire pria le ministre de bien vouloir rapporter sa décision de refus du 10 mars 2004 tout en sollicitant la communication du « dossier administratif constitué ».

Ledit courrier, tout comme divers rappels subséquents, étant restés sans réponse, le demandeur a fait introduire, par requête déposée en date du 18 juin 2004 un recours contentieux tendant à l’annulation des trois décisions ministérielles prévisées des 16 avril 2003, 19 septembre 2003 et 10 mars 2004, tout en sollicitant la jonction dudit recours avec un recours introduit le 19 mai 2004 sous le numéro 18085 du rôle contre le refus du ministre de la Justice de lui délivrer une autorisation de séjour.

C’est à juste titrer que le délégué du gouvernement, dans son mémoire en duplique, soulève l’irrecevabilité du recours pour autant qu’il est dirigé contre les décisions du ministre des 16 avril et 19 septembre 2003 concernant l’engagement de Monsieur … en tant que masseur auprès de la société E. S.A. pour défaut d’intérêt personnel.

En effet, il s’est révélé qu’au moment de la prise de la décision ministérielle initiale en date du 16 avril 2003, ladite société avait déjà procédé à la désaffiliation de Monsieur … auprès des organismes de sécurité sociale pour le 1er mars 2003 et ce dernier est d’ailleurs en aveu de ne pouvoir exercer la profession de masseur au Luxembourg, à défaut d’avoir les qualifications requises. Il s’ensuit que Monsieur …, au jour du dépôt de la requête introductive d’instance, ne pouvait plus espérer retirer de l’annulation des décisions du ministre des 16 avril et 19 septembre 2003 une satisfaction certaine et personnelle, à défaut de possibilité de pouvoir être engagé en tant que masseur auprès de la société E. S.A.

Dans la mesure où ni la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1) l’entrée et le séjour des étrangers ; 2) le contrôle médical des étrangers ; 3) l’emploi de la main-

d’œuvre étrangère, ni aucune autre disposition légale n’instaurent un recours au fond en matière de permis de travail, le recours en annulation, à l’encontre de l’arrêté ministériel du 10 mars 2004, est cependant recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Concernant en premier lieu la demande de jonction avec le recours introduit en date du 19 mai 2004 sous le numéro du rôle 18085 à l’encontre de différentes décisions de refus du ministre de la Justice en matière d’autorisation de séjour, il échet de rappeler que le tribunal administratif n’est pas obligé de joindre une affaire concernant une demande d’autorisation de séjour avec une demande concernant un permis de travail, les deux demandes n’ayant pas le même objet, les décisions attaquées relevant de la compétence de deux ministères différents et les conditions d’octroi de l’autorisation de séjour et du permis de travail étant appréciées selon des critères différents (cf. Cour adm.

16 juin 1998, n°10649C du rôle, Pas. adm. 2004, V° Procédure contentieuse, n° 413).

Or, en l’espèce, il n’appert pas des éléments du dossier qu’une bonne administration de la justice requiert la jonction des affaires introduites sous les numéros 18085 et 18256 du rôle, de sorte qu’il n’y a pas lieu de faire droit à la demande de jonction du demandeur.

A l’appui de son recours, le demandeur conclut à l’annulation de la décision attaquée aux motifs :

- que la décision ministérielle initiale du 10 décembre 2002 aurait créé un droit acquis à la délivrance d’un permis de travail à son profit à condition de trouver un emploi stable, condition qui se trouverait remplie à l’heure actuelle, d’autant plus que l’article 27 de la loi modifiée du 28 mars 1972, précitée, de même que l’article 10 du règlement grand-ducal modifié du 12 mai 1972 déterminant les mesures applicables pour l’emploi des travailleurs étrangers sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg, se borneraient uniquement à énoncer un motif de refus facultatif ;

- qu’il ne pourrait être question d’un recrutement à l’étranger, étant donné que l’on se situerait dans le cadre d’une régularisation par le travail, d’autant plus que le deuxième poste pour lequel Monsieur … a été engagé aurait été déclaré vacant auprès de l’administration de l’Emploi en date du 29 décembre 2003 de sorte qu’il aurait incombé au ministre de délivrer le permis de travail sollicité.

Le délégué du gouvernement, dans son mémoire en réponse, rappelle que les ministres de la Justice et du Travail auraient été disposés à accorder au demandeur, à titre tout à fait exceptionnel, une autorisation de travail et de séjour si Monsieur … aurait été en possession d’un emploi stable avant le 6 janvier 2003. Or, étant donné que ce dernier aurait uniquement trouvé dans ledit délai un employeur prêt à l’engager comme masseur, profession qui est réglementée et pour laquelle le demandeur n’a pas la qualification requise, aucun permis de travail n’aurait pu lui être délivré sur base de cette relation de travail. Comme le demandeur n’aurait trouvé qu’en date du 5 janvier 2004 un nouvel emploi stable et compte tenu du temps écoulé par rapport au délai imparti, le ministre n’aurait plus été engagé suivant les termes de sa lettre du 10 décembre 2002.

En relation avec les motifs de refus invoqués, le représentant étatique estime que le ministre aurait invoqué à bon droit le motif de refus tiré de la priorité à l’emploi des ressortissants de l’Espace Economique Européen au vu de la situation du marché de l’emploi luxembourgeois et eu égard au fait que 190 agents commerciaux étaient inscrits à l’Administration de l’Emploi au moment où le demandeur a trouvé son emploi auprès de la société X. LUXEMBOURG. Pour le surplus, ledit employeur n’avait déclaré vacant le poste finalement occupé par Monsieur … qu’en date du 29 décembre 2003, que l’administration de l’Emploi aurait de suite assigné à ladite société 15 demandeurs d’emploi, mais que cette dernière aurait procédé à l’engagement du demandeur déjà en date du 5 janvier 2004, de sorte qu’il serait établi que l’employeur n’avait nullement l’intention d’engager un ressortissant communautaire bénéficiant de la priorité à l’embauche.

Finalement, eu égard au fait que le demandeur n’était pas en possession d’une autorisation de séjour pour le Grand-Duché de Luxembourg, il serait à considérer comme ayant été recruté à l’étranger.

Dans son mémoire en réplique, le demandeur insiste encore sur le fait qu’il aurait sollicité à de multiples reprises la communication d’une copie du dossier administratif, plus particulièrement en relation avec la motivation des décisions attaquées qui reposerait sur des avis de l’Administration de l’emploi respectivement de la commission consultative d’avis spéciale en matière de permis de travail. Dans ce contexte, le mandataire du demandeur souligne que déjà par courrier du 25 août 2003, il aurait requis de la part du ministre la fixation d’un rendez-vous afin de prendre connaissance du dossier administratif conformément aux dispositions inscrites à l’article 1er de la loi du 1er décembre 1978 réglant la procédure administrative non-contentieuse et aux articles 11 et 12 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes. Malgré de multiples rappels subséquents et divers entretiens téléphoniques avec le ministère du Travail en vue d’obtenir une communication du dossier administratif, afin de soumettre le litige à la procédure de médiation, le ministre n’aurait pas procédé à la communication du dossier administratif, attitude qui serait encore à l’heure actuelle contraire à l’article 8 (5) de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, au motif que ledit dossier n’aurait pas non plus été déposé au greffe du tribunal administratif.

Dans son mémoire en duplique, le délégué du gouvernement signale que le dossier administratif du ministère du Travail et de l’Emploi aurait été égaré et resterait introuvable « jusqu’à ce jour ».

Il appartient au tribunal, au vu de l’ensemble des actes de procédure et pièces versées au dossier, de déterminer la suite du traitement des moyens et arguments des parties compte tenu de la logique juridique dans laquelle il s’insèrent (cf. trib. adm. 4 décembre 2002, n° 14923 du rôle, confirmé par arrêt du 1er juillet 2003, n° 15879C du rôle, Pas. adm. 2004, V° Procédure contentieuse, n° 417).

Partant, il convient d’analyser en premier lieu l’argumentation du demandeur tiré de la violation des dispositions de la procédure administrative non-contentieuse, ayant plus particulièrement trait à la non-communication des avis de l’Administration de l’emploi respectivement de la commission consultative d’avis spéciale en matière de permis de travail, comme étant préalable.

L’article 4 du règlement grand-ducal précité du 8 juin 1979 dispose que :

« Les avis des organismes consultatifs pris préalablement à une décision doivent être motivés et énoncés les éléments de fait et de droit sur lesquels ils se basent.

Lorsqu’il s’agit d’un organisme collégial, l’avis doit indiquer la composition de l’organisme, les noms des membres ayant assisté à la délibération et le nombre de voix exprimées en faveur de l’avis exprimé. Les avis séparés éventuels doivent être annexés, sans qu’ils puissent indiquer les noms de leurs auteurs ».

D’après l’article 8 (5) de la loi du 21 juin 1999, précitée :

« L’autorité qui a posé l’acte visé par le recours dépose le dossier au greffe sans autre demande, dans le délai de trois mois à partir de la communication du recours.

(…) ».

En l’espèce, la décision attaquée du 10 mars 2004 se base sur un avis de l’Administration de l’emploi et sur un avis de la commission d’avis spéciale et le délégué du gouvernement est en aveu de ne pouvoir produire le moindre avis à la base des décisions attaquées, le dossier administratif ayant été égaré au niveau du ministère du Travail.

Il s’ensuit que le tribunal n’est pas à même de vérifier en l’espèce la régularité de la procédure prévue en matière d’octroi d’un permis de travail, ni les éléments de fait et de droit sur lesquels se basent les avis précités, de sorte que la décision attaquée encourt l’annulation pour violation de l’article 4 du règlement grand-ducal précité du 8 juin 1979 et de l’article 8 (5) de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

déclare le recours irrecevable pour autant qu’il est dirigé contre les décisions du ministre du Travail et de l’Emploi des 16 avril et 19 septembre 2003 ;

reçoit le recours en annulation en la forme pour le surplus ;

au fond, le déclare justifié ;

partant annule la décision du ministre du Travail et de l’Emploi du 10 mars 2004 et renvoie l’affaire devant ledit ministre en prosécution de cause ;

condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé par :

M. Campill, vice-président, M. Schroeder, premier juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 9 mars 2005 par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

Legille Campill 7


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 18256
Date de la décision : 09/03/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-03-09;18256 ?

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