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07/03/2005 | LUXEMBOURG | N°18883

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 07 mars 2005, 18883


Tribunal administratif N° 18883 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 19 novembre 2004 Audience publique du 7 mars 2005

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Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18883 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 19 novembre 2004 par Maître Yvette NGONO YAH, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre de

s avocats à Luxembourg, au nom de M. …, né le … à Delta State (Nigeria), de nationalité nigériane, demeur...

Tribunal administratif N° 18883 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 19 novembre 2004 Audience publique du 7 mars 2005

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Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18883 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 19 novembre 2004 par Maître Yvette NGONO YAH, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M. …, né le … à Delta State (Nigeria), de nationalité nigériane, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration intervenue le 6 septembre 2004 rejetant sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 21 décembre 2004 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 19 janvier 2005 en nom et pour compte du demandeur ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Yvette NGONO YAH, et Monsieur le délégué du gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives.

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En date du 2 juillet 2004, M. … introduisit auprès du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

M. … fut entendu le 14 juillet 2004 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 6 septembre 2004, lui notifiée par courrier recommandé le 13 septembre 2004, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration l’informa que sa demande d’asile avait été refusée. Cette décision est libellée comme suit :

« Il ressort du rapport du Service de Police Judiciaire que vous auriez quitté le Nigeria par bateau pour arriver dans un endroit inconnu. A partir de là vous auriez pris le train pour Luxembourg. Vous ne possédiez aucun document d’identité.

Il résulte de vos déclarations qu’une bataille aurait éclaté entre votre communauté et une autre rivale en raison de possession de terres [sic]. Vos ennemis, les « oghene », seraient venus détruire vos récoltes et tuer vos parents. Votre village aurait songé en conséquence à se battre par vengeance, or vous précisez ne pas vouloir vous battre. Ensuite vous ajoutez plus loin être recherché par vos rivaux. La police de Warri vous aurait conseillé de sauver votre vie car elle ne pourrait rien faire pour vous. Ainsi un homme blanc vous aurait aidé à monter sur un bateau puis, après 6 mois de voyage il vous aurait conduit dans une maison et aurait abusé sexuellement de vous. Il s’ensuit que vous seriez parti et auriez rencontré une autre personne qui vous aurait fait prendre un train pour vous rendre au Luxembourg.

Vous affirmez avoir peur des gens de la communauté rivale, peur qu’ils vous trouvent et vous tuent.

Enfin, vous admettez ne pas être membre d’un parti politique.

Pour le surplus, vous n’auriez subi aucune persécution ni mauvais traitement.

Il y a d’abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Force est cependant de constater qu’à défaut de pièces, un demandeur d’asile doit au moins pouvoir présenter un récit crédible et cohérent. Or, il convient de relever les différentes contradictions et invraisemblances. En effet, tout d’abord vous déclarez au service de Police Judiciaire que vous seriez né le 27 août 1963 puis lors de l’audition vous annoncez 6 ans de moins, à savoir 1969 comme année de naissance, et 23 comme jour de naissance au lieu de 27. Il s’ensuit qu’une telle confusion de dates jette de sérieux doutes quant à votre réelle identité. De plus, auprès de la Police Judiciaire vous expliquez être parti trois semaines auparavant du Nigeria, or au sein du rapport d’audition vous déclarez 6 mois comme durée de voyage, et ce uniquement concernant le trajet en bateau. Enfin, votre récit se trouve être confus, vous n’expliquez à aucun moment la raison exacte pour laquelle vous seriez personnellement recherché par les « oghene ». A cela s’ajoute que lors de la demande de renseignements sur vos parents par l’agent du ministère vous ne dites absolument pas qu’ils sont décédés, ce n’est que plus loin à la question de l’agent à savoir si vos parents sont toujours vivants que vous répondez par la négative. Par conséquent, les remarques précitées entachent sérieusement la crédibilité de votre récit.

De toutes façons, à supposer les faits que vous alléguez établis, ils ne sauraient, en eux-mêmes, constituer un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’ils ne peuvent, à eux seuls, fonder une crainte justifiée d’être persécuté dans votre pays d’origine du fait de votre race, de votre religion, de votre nationalité, de votre appartenance à un groupe social ou de vos convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section 1, § 2 de la Convention de Genève. En effet, en l’espèce, le prétendu conflit qui dure, selon vos déclarations, depuis deux ans entre les communautés ne repose que sur des problèmes de terre. Or de telles considérations ne correspondent à aucun des motifs de la prédite Convention.

En outre, il ressort du rapport d’audition que vous n’avez subi aucune persécution ni mauvais traitement. En l’espèce votre crainte des membres de la communauté rivale traduit plutôt un sentiment général d’insécurité qu’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève. A cela s’ajoute qu’il ne faut pas oublier que ces personnes ne sauraient constituer des agents de persécution.

Enfin, à la question d’une possibilité de fuite interne, vous n’apportez en l’espèce aucune raison valable justifiant une impossibilité de vous installer dans une autre région de votre pays d’origine.

Par conséquent, vous n’alléguez aucune crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays. Votre demande ne répond donc à aucun des critères de fonds définis par la Convention de Genève.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Suite à un recours gracieux introduit par lettre de son mandataire le 14 octobre 2004 et à une décision confirmative du refus initial prise par le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration le 18 octobre 2004, M. …, par requête déposée le 19 novembre 2004, a fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision prévisée du 6 septembre 2004.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, de sorte que le recours en réformation, ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, est recevable.

A l’appui de son recours, le demandeur reproche au ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration d’avoir commis une erreur d’appréciation et une mauvaise application de la loi en refusant sa demande d’asile. Il expose être originaire de la région de Delta State au Nigeria et plus précisément du village de « Koko », de faire partie de la communauté des « Koko » et d’avoir quitté son pays d’origine en raison des affrontements avec la communauté des « Oghene ». Dans ce contexte, il expose plus particulièrement que suite à un litige au sujet de la propriété d’un terrain des membres de la communauté des « Oghene » auraient détruit les récoltes de sa famille et tué ses parents et qu’il serait sans nouvelle depuis lors de la part de son épouse et de ses deux enfants. Il ajoute finalement que les autorités nigérianes seraient incapables de lui offrir une protection efficace et que toute possibilité de fuite interne serait exclue dans son chef. En ordre subsidiaire, le demandeur sollicite encore le bénéfice du régime de protection temporaire « au vu de la situation dans son pays ».

Le représentant étatique soutient que le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que son recours laisserait d’être fondé.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, même abstraction faite des incohérences contenues dans le récit du demandeur concernant sa date de naissance et le déroulement de son voyage, force est de constater que ses déclarations restent à l’état de simples allégations non confortées par un quelconque élément de preuve tangible et que même en admettant le récit du demandeur relativement à l’assassinat de ses parents, fait qui s’inscrit dans le cadre d’une criminalité de droit commun, force est de constater qu’il ne se dégage pas à suffisance de droit des éléments d’appréciation qui ont été soumis au tribunal que le demandeur risque également de devenir la cible des meurtriers.

Pour le surplus, il convient de constater que le demandeur invoque essentiellement sa crainte d’être tué par des membres de la communauté des « Oghene ». Or, les faits allégués par le demandeur, même à les supposer établis, n’émanent pas de l’Etat, mais de personnes privées et ne sauraient dès lors être reconnus comme motif d’octroi du statut de réfugié que si les personnes en cause ne bénéficient pas de la protection des autorités de leur pays d’origine pour l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève. La notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée. Il faut en plus que le demandeur d’asile ait concrètement recherché cette protection, de sorte que ce n’est qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf. Jean-Yves CARLIER : Qu’est-ce qu’un réfugié ?, p. 113, nos 73-s). Or, en l’espèce, le demandeur ne démontre pas que les autorités chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre publics en place ne soient pas capables de lui assurer un niveau de protection suffisant, étant donné que la simple affirmation que les autorités locales de police ne sauraient le protéger est insuffisante à cet égard.

S’y ajoute qu’au regard du champ d’action territorialement limité des prétendus agresseurs, les problèmes allégués se révèlent essentiellement limités au village d’origine du demandeur, ce dernier ne justifiant pas l’existence d’une impossibilité de trouver refuge dans une autre région de son pays d’origine, étant rappelé que la Convention de Genève vise le pays d’origine ou de nationalité du demandeur d’asile sans restriction territoriale et que le défaut d’établir les raisons suffisantes pour lesquelles un demandeur d’asile ne serait pas en mesure de s’installer dans une autre région de son pays d’origine et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne doit être pris en compte pour refuser la reconnaissance du statut de réfugié (cf. trib. adm. 10 janvier 2001, n° 12240 du rôle, Pas. adm. 2004, V° Etrangers, n° 48 et autres références y citées).

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Il convient de relever que le recours contentieux du demandeur tend également à la reconnaissance d’un statut de protection temporaire, demande qui est également formulée en ordre subsidiaire dans le dispositif de la requête introductive d’instance, par rapport à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève.

Comme il se dégage de ce qui précède que le recours du demandeur a été déclaré non fondé dans la mesure où il a été dirigé contre la décision ministérielle déférée par laquelle ladite reconnaissance du statut de réfugié lui a été refusée, il y a encore lieu d’analyser cette demande subsidiaire.

Il échet de constater que cette demande a été présentée pour la première fois devant le tribunal administratif, par le biais de la requête introductive d’instance déposée au greffe du tribunal le 19 novembre 2004, sans qu’auparavant le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration ait été saisi d’une demande afférente, et que de ce fait aucune décision n’a encore pu être prise relativement à une telle demande en admission à un statut de protection temporaire, de sorte qu’il n’y a pas lieu de procéder à l’examen de ce volet du recours.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

déclare le recours irrecevable à défaut d’objet dans la mesure où il tend à l’obtention d’un statut de protection temporaire ;

pour le surplus, reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Campill, vice-président, M. Spielmann, juge, Mme Gillardin, juge, et lu à l’audience publique du 7 mars 2005 par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

Legille Campill 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 18883
Date de la décision : 07/03/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-03-07;18883 ?

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