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07/03/2005 | LUXEMBOURG | N°18780

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 07 mars 2005, 18780


Numéro 18780 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 25 octobre 2004 Audience publique du 7 mars 2005 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice et une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 18780 du rôle, déposée le 25 octobre 2004 au greffe du tribunal administrati

f par Maître Nicky STOFFEL, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à...

Numéro 18780 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 25 octobre 2004 Audience publique du 7 mars 2005 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice et une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 18780 du rôle, déposée le 25 octobre 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Nicky STOFFEL, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Gnjilane (Kosovo, Etat de Serbie-Monténégro), de nationalité serbo-monténégrine, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 29 juillet 2004 portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 24 septembre 2004 prise sur recours gracieux;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 10 décembre 2004;

Vu le mémoire en réplique, intitulé « mémoire en duplique, sinon note de plaidoirie », déposé au greffe du tribunal administratif le 17 janvier 2005 par Maître Nicky STOFFEL pour compte de Monsieur …;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en sa plaidoirie à l’audience publique du 24 janvier 2005.

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Le 26 novembre 2003, Monsieur …, préqualifié, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

En date du même jour, Monsieur … fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il fut entendu en date du 8 janvier 2004 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Le ministre de la Justice l’informa par décision du 29 juillet 2004, notifiée par courrier recommandé du 3 août 2004, que sa demande avait été rejetée comme n’étant pas fondée aux motifs énoncés comme suit :

« Il résulte de vos déclarations que vous auriez quitté le Kosovo le 23 novembre 2003. Vous seriez venus en camionnette au Luxembourg. Vous ne pouvez fournir aucune précision quant à votre trajet.

Vous avez déposé vos demandes en obtention du statut de réfugié le 26 novembre 2003.

Monsieur, vous auriez fait votre service militaire en 1986/1987 comme simple soldat.

Vous n’auriez été membre d’aucun parti politique, mais simple sympathisant du SPO.

Vous auriez été mobilisé comme réserviste dans la police sous le régime Milosevic, d’octobre 1998 à février 1999. Vous dites être Serbe. Vous auriez travaillé également dans une société appelée Elecktro-Kosovo. A la fin du conflit, des paramilitaires de l’UCK auraient fait irruption dans cette société pour arrêter tout le monde, mais vous auriez sauté par la fenêtre. Par la suite, ces paramilitaires vous auraient encore recherché. Actuellement, vous dites ne pas pouvoir circuler sans être accompagné de la KFOR car vous seriez menacé par les Albanais. Vous auriez peur de sortir pour cultiver vos terres.

Vous Madame, vous confirmez les dires de votre mari. En 2001, vous auriez été maltraitée et menacée, avec votre enfant, par des soldats de l’UCK. Vous vous plaignez de l’insécurité.

Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécutions au sens de la Convention de Genève.

L’appartenance à une minorité ethnique est insuffisante pour entraîner d’office l’application de la Convention de Genève.

Je constate d’abord que vous n’avez été réserviste que pendant six mois et que vous avez quitté ce poste au début 1999, soit il y a plus de cinq ans. Vous dites ne pas être libre de vos mouvements, mais je constate néanmoins que les soldats de la KFOR vous protègent. Vos dires traduisent davantage un sentiment général d’insécurité qu’une réelle crainte de persécution. Les problèmes que vous auriez rencontrés sont insuffisants pour fonder une persécution au sens de la Convention de Genève.

En ce qui concerne la situation au Kosovo, notons que depuis mars 2004, un groupe de travail poursuit un fructueux dialogue Pristina/Belgrade, ce qui est un élément essentiel de la normalisation de cette région. La situation des minorités est devenue plus stable. Il ressort du rapport du UNHCR de janvier 2003, confirmé en 2004, sur la situation des minorités au Kosovo qu’en règle générale, celles-ci ne doivent plus craindre des attaques directes contre leur sécurité.

Je dois donc constater qu’aucune de vos assertions ne saurait fonder une crainte de persécutions entrant dans le cadre de l’article 1er A,2 de la Convention de Genève, c’est à dire une crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays.

Par conséquent, vos demandes en obtention du statut de réfugié sont refusées comme non fondées au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Le recours gracieux formé par courrier de son mandataire du 27 août 2004 ayant été rencontré par une décision confirmative du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 24 septembre 2004, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation, sinon en annulation à l’encontre des décisions ministérielles initiale du 29 juillet 2004 et confirmative du 24 septembre 2004 par requête déposée le 25 octobre 2004.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation, lequel est également recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi. Le recours subsidiaire en annulation est en conséquence irrecevable.

Le délégué du gouvernement a soulevé à l’audience le moyen de la tardiveté du mémoire en réplique déposé le 17 janvier 2005 pour compte du demandeur.

L’article 5 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, prévoit en ses paragraphes (5) et (6) que :

« (5) Le demandeur peut fournir une réplique dans le mois de la communication de la réponse, la partie défenderesse et le tiers intéressé sont admis à leur tour à dupliquer dans le mois.

(6) Les délais prévus aux paragraphes (1) et (5) sont prévus à peine de forclusion. Ils ne sont pas susceptibles d’augmentation en raison de la distance. Ils sont suspendus entre le 16 juillet et le 15 septembre ».

Il convient encore de relever qu’aucune prorogation de délai n’a été demandée au président du tribunal administratif conformément à l’article 5 (7) ni, par la force des choses, accordée par ce dernier.

Il se dégage de l’article 5 de la loi précitée du 21 juin 1999 que la question du dépôt des mémoires dans les délais prévus par la loi touche à l’organisation juridictionnelle, étant donné que le législateur a prévu les délais émargés sous peine de forclusion.

Dans la mesure où, d’une part, le mémoire en réponse du délégué du gouvernement a été déposé au greffe du tribunal en date du 10 décembre 2004 et que ce dépôt a été porté à la connaissance de la demanderesse par la voie du greffe en date du 13 décembre 2004, le dépôt du mémoire en réplique de la demanderesse aurait dû intervenir pour le 13 janvier 2005 au plus tard. Or, il convient de constater que le dépôt du mémoire en réplique n’est intervenu qu’en date du 17 janvier 2005, donc en dehors du prédit délai. Par conséquent, à défaut d’avoir été déposé dans le délai d’un mois légalement prévu à peine de forclusion, le tribunal est dans l’obligation d’écarter le mémoire en réplique des débats.

A l’appui de son recours, le demandeur, originaire du Kosovo, expose avoir décrit en détail les craintes qui l’auraient motivé à déposer une demande d’asile au Luxembourg. Il ajoute qu’il ne se sentirait plus en sécurité au Kosovo, au vu notamment de déclarations récentes de l’administrateur de l’ONU au Kosovo et des incidents violents du mois de mars 2004, et qu’il y risquerait des persécutions, de manière à satisfaire aux conditions pour se voir reconnaître le statut de réfugié.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que son recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2004, v° Recours en réformation, n° 12).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition du 8 janvier 2004, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, saisie d’un recours en réformation, la juridiction administrative est appelée à examiner le bien-fondé et l’opportunité des décisions querellées à la lumière de la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance du demandeur d’asile.

En ce qui concerne cette situation actuelle, il est constant en cause que, suite au départ de l’armée fédérale yougoslave et des forces de police dépendant des autorités serbes du Kosovo, une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, s’est installée sur ce territoire, de même qu’une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, y a été mise en place.

Il convient d’ajouter que la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence et qu’une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel. Il ne saurait en être autrement qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile (cf. Jean-Yves CARLIER : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p. 113, nos 73-s).

En ce qui concerne la situation des membres des minorités au Kosovo et plus particulièrement de celle des Serbes, s’il est vrai que leur situation générale est difficile et qu’ils sont particulièrement exposés à subir des insultes, voire d’autres discriminations ou agressions par des groupes de la population, notamment du groupe majoritaire des Albanais, elle n’est cependant pas telle que tout membre de la minorité ethnique visée serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève, étant entendu qu’une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, le demandeur d’asile risque de subir des traitements discriminatoires.

Or, en l’espèce, les faits concrets exposés par le demandeur lors de son audition et à travers son recours se situent au cours des années 1999 et 2002 et pour la période subséquente, il se prévaut essentiellement de menaces ou d’actes isolés de la part d’Albanais lesquels ne revêtent néanmoins pas le caractère de gravité requis pour rendre au demandeur la vie intolérable dans sa région d’origine. En outre, si le demandeur tend en l’espèce certes à décrire une situation d’insécurité et de conflit généralisé dans son pays d’origine, il n’a soumis aucun indice concret relativement à l’incapacité actuelle des autorités compétentes de lui fournir une protection adéquate. En effet, le simple fait de prétendre que les autorités actuellement en place au Kosovo, en l’occurrence la MINUK, ne seraient pas en mesure de lui assurer une protection efficace, sans apporter d’autres précisions à ce sujet et sans faire état d’une tentative concrète de recherche de protection à travers notamment le dépôt d’une plainte, n’est pas de nature à établir un défaut caractérisé de protection de la part desdites autorités.

Il résulte des développements qui précèdent que le demandeur reste en défaut d’établir une persécution ou un risque de persécution au sens de la Convention de Genève dans son pays de provenance, de manière que le recours sous analyse doit être rejeté comme n’étant pas fondé.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties, reçoit le recours principal en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. CAMPILL, vice-président, M. SCHROEDER, premier juge, M. SPIELMANN, juge, et lu à l’audience publique du 7 mars 2005 par le vice-président en présence de M.

LEGILLE, greffier.

LEGILLE CAMPILL 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 18780
Date de la décision : 07/03/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-03-07;18780 ?

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