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07/03/2005 | LUXEMBOURG | N°18763

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 07 mars 2005, 18763


Tribunal administratif N° 18763 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 22 octobre 2004 Audience publique du 7 mars 2005 Recours formé par les époux … et …, … contre une décision du ministre de la Justice et une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18763 du rôle du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 22 octobre 2004 par Maître Olivier LANG, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au n

om de Monsieur …, né le … (Etat de Serbie-et-Monténégro), et de son épouse, Madame …, née ...

Tribunal administratif N° 18763 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 22 octobre 2004 Audience publique du 7 mars 2005 Recours formé par les époux … et …, … contre une décision du ministre de la Justice et une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18763 du rôle du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 22 octobre 2004 par Maître Olivier LANG, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Etat de Serbie-et-Monténégro), et de son épouse, Madame …, née le … (Kosovo/ Etat de Serbie-et-

Monténégro), tous les deux de nationalité serbo-monténégrine, demeurant actuellement à L-

…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 5 juillet 2004 rejetant leur demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative rendue sur recours gracieux en date du 20 septembre 2004 par le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 8 décembre 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport ainsi que Maître Olivier LANG et Monsieur le délégué du Gouvernement Marc MATHEKOWITSCH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 21 février 2005.

En date du 29 décembre 2003, Monsieur … et son épouse, Madame …, introduisirent oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour, les époux …… furent entendus par un agent de la police grand-ducale sur leur identité et l’itinéraire suivi pour venir au Grand-Duché de Luxembourg.

Ils furent entendus en outre séparément en date respectivement des 24 février, 22 avril et 18 mai 2004 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande d’asile.

Par décision du 5 juillet 2004, notifiée par voie de courrier recommandé expédié le 6 juillet 2004, le ministre de la Justice informa les époux …… de ce que leur demande d’asile avait été refusée comme étant non fondée aux motifs que la seule appartenance à une minorité ethnique serait insuffisante pour entraîner d’office l’application de la Convention de Genève et que leurs dires traduiraient davantage un sentiment général d’insécurité qu’une réelle crainte de persécution, étant entendu que l’agression par eux relatée de 1999 serait trop ancienne pour fonder une crainte actuelle de persécution. Le ministre a relevé en outre que les époux …… auraient pu à chaque fois compter sur l’aide des forces internationales, ainsi que de leurs collègues ou voisins albanais et que par ailleurs la situation générale au Kosovo ne serait à l’heure actuelle plus précaire au point de justifier une crainte d’attaques directes contre la sécurité des Bochniaques. Le ministre a relevé finalement qu’il ne résulterait pas de leur dossier qu’il leur aurait été impossible de s’installer dans une autre région de la République de Serbie-Monténégro et de profiter d’une possibilité de fuite interne.

Le recours gracieux que les époux …… ont fait introduire par courrier de leur mandataire datant du 9 août 2004 à l’encontre de cette décision ministérielle s’étant soldé par une décision confirmative du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 20 septembre 2004, ils ont fait introduire, par requête déposée le 22 octobre 2004, un recours contentieux tendant à la réformation des deux décisions ministérielles prévisées des 5 juillet et 20 septembre 2004.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire prévoyant un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit. Le dit recours est également recevable pour avoir été déposé dans les formes et délai de la loi.

Quant au fond, les demandeurs reprochent en substance aux ministres respectivement compétents de s’être livrés à une mauvaise appréciation des faits par eux invoqués, ainsi que d’avoir méconnu la gravité des actes de persécution dont ils auraient été victimes dans leur pays d’origine. Il font valoir que le fait pour eux d’avoir fait l’objet de menaces et d’agressions en raison de leur appartenance à la minorité bochniaque illustrerait à suffisance un défaut caractérisé de protection de la part des autorités en place qui n’auraient pas été en mesure d’empêcher ces actes.

Le délégué du Gouvernement estime pour sa part que les ministres compétents auraient fait une saine appréciation de la situation des demandeurs, de sorte que ceux-ci seraient à débouter de leur recours. Quant au défaut de protection allégué, il relève plus particulièrement que les demandeurs, d’après leurs propres déclarations, ont refusé les propositions qui leur ont été faites par la KFOR, circonstance qui reviendrait à dénoter le refus des demandeurs de recourir à une éventuelle possibilité de fuite interne.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par les demandeurs lors de leurs auditions respectives, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, une crainte de persécution doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, les demandeurs d’asile risquent de subir des persécutions et force est de constater que l’existence de pareils éléments ne se dégage pas des éléments d’appréciation soumis au tribunal, alors que le récit des demandeurs traduit essentiellement un sentiment général d’insécurité, sans qu’ils n’aient fait état d’une persécution personnelle vécue ou d’une crainte qui serait telle que la vie leur serait, à raison, intolérable dans leur pays d’origine.

Ainsi, concernant cette crainte générale exprimée par les demandeurs d’actes de persécution à leur encontre en raison de leur appartenance à la minorité bochniaque de la part d’Albanais, force est de constater que s’il est vrai que la situation générale des membres de minorités ethniques au Kosovo, en l’espèce celle des bochniaques, est difficile et qu’ils sont particulièrement exposés à des discriminations, elle n’est cependant pas telle que tout membre de cette minorité ethnique serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève. Une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, le demandeur risque de subir des persécutions.

A cet égard, il y a lieu de constater que suivant la version actualisée du rapport de l’UNHCR sur la situation des minorités au Kosovo, notamment celle des bochniaques, datant de 2004, il est relaté dans la troisième partie dudit rapport intitulée « Situation of minority groups by region in light of the turmoil in March 2004 » que « Kosovo Serbs were the primary target of inter-ethnic violence. … Finally, whereas Bosniaks and Gorani did not become a direct target of the violence, in some locations they felt sufficiently at risk that they opted for precautionary movements, or where evacuated by police, to safer places1» et encore « The few Bosniaks and Gorani who were displaced during the mid-March unrest have returned to their home communities. Returnees and remainees have resumed the same levels of freedoms they enjoyed prior to the events.1 ».

Enfin, dans un second rapport datant quant à lui d’août 2004, l’UNHCR souligne que « the security situation for Kosovo Bosniaks and Goranis has remained stable, with no serious incidents of violence reported » ainsi que « whereas the Bosniaks and Goranis were not directly targeted during the turmoil in March 2004, in some locations they felt insecure and opted for precautionary movements. Two families were evacuated by the police from the Bosniak Mahalla in Mitrovice/a North, while several others left on their own initiatives.

Living in a Serb neighbourhood in Fushe Kosova/Kosovo Polje and seeing their Serb neighbours being attacked, several Gorani families left their homes as a precautionary measure. No other attacks or self-imposed evacuations have been reported, although the two ethnic communities anxiously followed the unfolding developments. The events have inevitably left the communities with a heightened sense of insecurity and in a state of constant alert 2».

Il s’y ajoute que c’est à juste titre que le ministre a relevé que les demandeurs ont eux-

mêmes fait état de propositions de protection de la part de la KFOR ayant consisté à suggérer un déménagement à Rozaje, voire chez des cousins à Plavle, sinon encore, à une autre occasion, dans l’enceinte d’un monastère avec d’autres bochniaques, mais que les demandeurs ont refusé de recourir aux possibilités leur ainsi offertes.

En ce qui concerne les différentes agressions relatées, force est encore de relever que les auteurs, indiqués comme ayant été des bandits, ne peuvent pas être considérés comme des agents de persécution au sens de la Convention de Genève et que les demandeurs restent en défaut d’établir à suffisance de droit que les autorités de leur pays d’origine refuseraient de les protéger ou seraient dans l’impossibilité de leur fournir une protection d’une efficacité suffisante, étant relevé que la notion de protection des habitants d’un pays contre des agissements de groupes de la population n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission matérielle d’un acte criminel et qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers uniquement en cas de défaut de protection dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par les demandeurs d’asile, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

De tout ce qui précède, il résulte que les craintes dont les demandeurs font état s’analysent en substance en un sentiment général d’insécurité lequel ne saurait fonder une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève, de sorte que le recours laisse d’être fondé.

Par ces motifs, 1 Update on the Kosovo Roma, Ashkaelia, Egyptian, Serb, Bosniak, Gorani and Albanian communities in a minority situation, UNHCR Kosovo, June 2004, p. 46 2 UNHCR Position on the Continued International Protection Needs of Individuals from Kosovo, August 2004, p.5.

le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours principal en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 7 mars 2005 par :

Mme Lenert, premier juge, Mme Thomé, juge, M. Sünnen, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

Schmit Lenert 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 18763
Date de la décision : 07/03/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-03-07;18763 ?

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