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07/03/2005 | LUXEMBOURG | N°18467

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 07 mars 2005, 18467


Numéro 18467 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 28 juillet 2004 Audience publique du 7 mars 2005 Recours formé par la société anonyme T., … (B) contre deux décisions du ministre des Classes moyennes, du Tourisme et du Logement en matière d’autorisation d’établissement

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 18467 du rôle, déposée le 28 juillet 2004 au greffe du tribunal administratif par Maîtr

e Anne FERRY, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, ...

Numéro 18467 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 28 juillet 2004 Audience publique du 7 mars 2005 Recours formé par la société anonyme T., … (B) contre deux décisions du ministre des Classes moyennes, du Tourisme et du Logement en matière d’autorisation d’établissement

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 18467 du rôle, déposée le 28 juillet 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Anne FERRY, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société anonyme de droit belge T., établie et ayant son siège social à B-…, inscrite sous le numéro d’entreprise …, représentée par son conseil d’administration actuellement en fonctions, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Classes moyennes, du Tourisme et du Logement du 12 décembre 2003 portant révocation de l’autorisation de prestations occasionnelles de services émise en sa faveur, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 4 mai 2004 prise sur recours gracieux;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 21 octobre 2004;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 19 novembre 2004 par Maître Anne FERRY pour compte de la société anonyme T.;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Anne FERRY et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 3 janvier 2005.

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En date du 18 mars 2003, le ministre des Classes moyennes, du Tourisme et du Logement, ci-après désigné par le « ministre », délivra à la société anonyme de droit belge T., préqualifiée, désignée ci-après par la « société T. », une « autorisation d’établissement » n° C 1817 pour l’activité spécifiée comme suit : « ingénieur-conseil en construction – chantier : Terminal à l’Aéroport de Luxembourg ». Par courrier du 12 décembre 2003, la société T. informa le ministre de ce que cette autorisation concernait des « prestations à accomplir dans le cadre du nouveau terminal à l’Aéroport de Luxembourg » et qu’ « aucune prestation n’a été accomplie sur base de l’autorisation accordée », étant donné que le marché afférent ne lui aurait pas été attribué.

Suite à une demande de l’Ordre des architectes et ingénieurs-conseil du 17 juin 2003 sollicitant le retrait de l’autorisation n° C 1817 établie au nom de la société T. et à un avis de la commission prévue par l’article 2 alinéa 1er de la loi modifiée du 28 décembre 1988 réglementant l’accès aux professions d’artisan, de commerçant, d’industriel ainsi qu’à certaines professions libérales, désignée dans la suite par la « loi d’établissement », du 4 décembre 2003 quant à une éventuelle révocation de la même autorisation retenant que « la commission propose le retrait en raison des dispositions déontologiques de la profession d’ingénieur », le ministre s’adressa le 12 décembre 2003 à la société T. dans les termes suivants :

« Par la présente, j’ai l’honneur de me référer à votre demande sous rubrique, qui a fait entre-temps, l’objet de l’instruction administrative prévue à l’article 2 de la loi d’établissement du 28 décembre 1988, modifiée le 4 novembre 1997.

Le résultat m’amène à vous informer qu’en raison des dispositions déontologiques applicables à la profession d’ingénieur de la construction, je suis au regret de devoir procéder à la révocation de l’autorisation no C 1817, conformément aux articles 2 et 3 de la loi susvisée.

En effet, il apparaît que T. SA est liée avec le groupe T., compromettant ainsi son indépendance professionnelle. Pour votre gouverne, je joins en annexe la prise de position de l’OAI à cet égard, prise de position que je fais également mienne.

Par conséquent et conformément aux dispositions du règlement du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des Communes, vous disposez d’un délai de 8 jours à partir de la réception de la présente pour présenter d’éventuelles observations ou être entendus en personne.

La présente décision peut faire l’objet d’un recours par voie d’avocat à la Cour endéans trois mois après du Tribunal Administratif ».

La société T. soumit, par courrier de son mandataire du 19 décembre 2003, sa prise de position et ses arguments et sollicita une entrevue au ministère des Classes moyennes. A travers un itératif courrier de son mandataire du 8 mars 2004, la société T. introduisit un recours gracieux contre le courrier ministériel du 12 décembre 2003 par elle qualifié de décision de retrait de son autorisation n° C 1817 du 18 mars 2003.

Par lettre du 4 mai 2004 adressée tant à la société T. qu’à son mandataire, le ministre prit position dans les termes suivants :

« J’ai l’honneur de me référer à votre autorisation d’établissement mentionnée sous rubrique, qui fait l’objet d’une procédure de révocation initiée par mon courrier du 12 décembre 2003, procédure contre laquelle vous avez introduit un recours gracieux par votre courrier du 8 mars 2004.

Je m’empresse de vous rappeler qu’aucune décision définitive n’a été prise à ce stade, puisque mon courrier prémentionné du 12 décembre 2003 a initié une procédure de révocation en vous invitant à prendre position endéans le délai de 8 jours prévu par les dispositions du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes.

J’ai pris entre temps note des arguments contenus dans votre réponse du 19 décembre 2003, arguments que vous avez formalisé et précisés dans votre recours gracieux du 8 mars 2004.

Quant au prétendus manquements aux dispositions du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des Communes, il me semble que vous avez été averti et avez pu prendre amplement position, en conformité avec le texte réglementaire précité.

Une procédure de révocation est par ailleurs toujours possible, comme en l’espèce, et l’Administration peut défaire ce qu’elle a fait.

Votre mandante s’est en outre vu délivrer une autorisation (ou certificat) conformément à la procédure, y compris consultative, prévue à cet égard par les dispositions générales de la loi du 28 décembre 1988 sur le droit d’établissement, qui ont vocation à s’appliquer à toutes les demandes d’autorisations, y compris donc celles visées à l’article 20 de la loi et qui sont désignées « certificat ».

Quant à la prise de position de l’OAI, elle n’affecte en rien l’autonomie décisionnelle du Ministre, mais constitue un élément qu’il lui est loisible de prendre en considération s’il estime celui-ci fondé ou de nature à clarifier la situation de votre mandante, au même titre que votre propre prise de position.

L’intervention de l’OAI n’est qu’une suite fort logique à l’affaire disciplinaire concernant encore actuellement votre mandante, puisqu’il lui est précisément reproché d’être liée, d’une manière incompatible avec les règles déontologiques en vigueur, avec le groupe T. qui y était en cause.

Pour cette raison, je ne puis d’ailleurs accéder à votre demande de séparer strictement ces deux dossier administratifs (T. SA et T. … LUXEMBOURG) en retirant des dossiers respectifs certaines pièces relatives à l’un ou l’autre seulement.

Pour ce qui est de votre lecture de l’article 20 de la loi d’établissement, relatif aux prestations de services – c’est à dire aux ressortissants qui viennent au Luxembourg exercer ses [sic] activités sans y être établi – je constate qu’elle est tronquée, puisque la dispense de principe d’une autorisation de la part des autorités luxembourgeoises qui est en effet prévue est conditionnée à une importante réserve : sans préjudice des directives existantes.

Or, les dispositions de la directive 85/384/CEE sont applicables en l’espèce.

L’article 22 de cette directive dispose que l’Etat d’accueil est en droit d’exiger certaines documents et que le bénéficiaire exerce la prestation de services avec les mêmes droits et obligations que les ressortissants de l’Etat membre d’accueil. Il est notamment soumis aux dispositions disciplinaires de caractère professionnel et administratif applicables dans l’Etat membre d’accueil.

Dans ces conditions, compte tenu des liens très étroits entre T. SA et T. … LUXEMBOURG SA, qui appartiennent au même groupe – avec un même gérant, M. D., sur lequel reposent les autorisations des deux sociétés – et compte tenu de l’interdiction professionnelle définitive dont a été frappée T. … LUXEMBOURG SA, je me vois dans l’obligation de révoquer par la présente l’autorisation C 1817 délivrée à T. SA en date du 18 mars 2003.

Je vous prie de bien vouloir me remettre l’autorisation en question dans les meilleurs délais.

La présente décision peut faire l’objet d’un recours par voie d’avocat à la Cour endéans trois mois auprès du tribunal administratif ».

Par requête déposée le 28 juillet 2004, la société T. a fait introduire un recours contentieux tendant à la réformation, sinon à l’annulation des deux décisions ministérielles des 12 décembre 2003 et 4 mai 2004.

Etant donné que la loi d’établissement instaure expressément dans son article 2 alinéa final un recours en annulation en la matière, le tribunal est incompétent pour connaître du recours principal en réformation.

Le délégué du gouvernement conteste d’abord l’existence d’un intérêt à agir dans le chef de la société T. en arguant que l’autorisation n° C 1817 litigieuse concernerait un seul chantier qui serait désormais terminé après avoir été exécuté par une autre entreprise, de sorte que la révocation de cette autorisation ne lui porterait aucun préjudice et ne saurait partant faire naître un intérêt à agir à son encontre.

C’est cependant à juste titre que la société T. fait valoir que l’autorisation prévisée lui aurait été retirée pour des motifs généraux et étrangers au marché y visé, de manière qu’elle a un intérêt à « voir déclarer illégaux les agissements adverses » au vu du risque que le ministre se référera dans le futur à cette décision de retrait pour s’opposer à toute prestation occasionnelle de sa part sur le territoire luxembourgeois, la nécessité d’introduire dans le futur un recours contentieux à l’encontre de chaque décision de refus lui enlevant toute chance de participer à un marché. En effet, au vu du motif de refus tiré de l’appartenance de la société T. à un certain groupe de sociétés et du défaut de l’indépendance requise dans son chef, lequel ne porte ainsi pas sur le droit d’exécuter un marché déterminé, mais sur les qualités exigées de la part de la société T. afin d’être en droit de prester en général ses services sur le territoire luxembourgeois, elle conserve un intérêt à voir examiner la légalité de ce motif à la base des décisions de révocation incriminées dans le cadre d’un recours contentieux, alors même que le marché concrètement visé dans l’autorisation n° C 1817 a été exécuté sans l’intervention de la société T.. Il s’ensuit que le moyen d’irrecevabilité du délégué du gouvernement est à rejeter.

Il incombe cependant au tribunal d’examiner la question de savoir si le courrier ministériel du 12 décembre 2003 comporte un élément décisionnel le rendant susceptible de faire l’objet d’un recours contentieux.

En effet, l'acte émanant d'une autorité administrative, pour être sujet à un recours contentieux, doit constituer, dans l'intention de l'autorité qui l'émet, une véritable décision, à qualifier d'acte de nature à faire grief, c'est-à-dire un acte de nature à produire par lui-même des effets juridiques affectant la situation personnelle ou patrimoniale de celui qui réclame (trib. adm. 21 juin 1999, n° 10853, Pas. adm. 2004, v° Actes administratifs, n° 3).

Or, force est de constater que, malgré l’insertion erronée d’une instruction sur les voies de recours, le courrier du 12 décembre 2003 ne peut être considéré comme véhiculant une décision de révocation de l’autorisation émise en faveur de la société T.. En effet, en présence du renvoi exprès aux dispositions du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 concernant la procédure à suivre par les administrations relevant de l'Etat et des communes et de l’invitation faite à la société T. de présenter ses observations face aux développements y contenus, ledit courrier a une nature essentiellement préparatoire d’une décision finale à intervenir.

Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est irrecevable dans la mesure où il entend déférer au tribunal le courrier ministériel du 12 décembre 2003, mais qu’en tant que dirigé à l’encontre de la décision ministérielle du 4 mai 2004, il est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Le tribunal n’étant pas tenu de suivre l’ordre dans lequel les moyens sont présentés par une partie demanderesse mais, dans l’intérêt de l’administration de la justice, sinon de la logique inhérente aux éléments de fait et de droit touchés par les moyens soulevés, pouvant les traiter suivant un ordre différent (cf. trib. adm. 21 novembre 2001, n° 12921 du rôle, Pas.

adm. 2004, v° Procédure contentieuse, n° 226 et autres références y citées), il convient d’examiner en premier lieu le moyen tiré du non-respect des dispositions relatives à la procédure administrative non contentieuse.

La société T. reproche au ministre le non-respect de l’article 8 du règlement grand-

ducal du 8 juin 1979 concernant la procédure à suivre par les administrations relevant de l'Etat et des communes, en ce sens que le retrait par elle qualifié de rétroactif de l’autorisation n° C 1817 du 18 mars 2003 aurait seulement pu intervenir au cours du délai de recours contentieux, ainsi que pendant le cours d’une procédure contentieuse engagée contre cette décision, mais qu’il n’aurait plus été admissible à la date du premier acte de la procédure engagée, à savoir le 12 décembre 2003.

Ce moyen laisse cependant d’être fondé dans la mesure où il ne ressort d’aucun élément du dossier que le ministre ait entendu opérer un retrait rétroactif de l’autorisation n° C 1817 du 18 mars 2003 plutôt qu’une révocation pour le futur au sens de l’article 9 du même règlement grand-ducal du 8 juin 1979, qualification qui est plus conforme à l’intention du ministre exprimée à travers la décision critiquée du 4 mai 2004 retenant qu’ « une procédure de révocation est par ailleurs toujours possible ». Etant donné que la faculté d’une révocation pour le futur d’une décision ayant créé des droits ne se trouve confinée par aucune condition de délai par ledit article 9, le moyen d’annulation soulevé par la société T.

est à rejeter.

La société T. soutient ensuite que la décision ministérielle critiquée devrait encourir l’annulation, au motif qu’aucune autorisation ne serait requise dans son chef pour exercer l’activité d’ingénieur-conseil par voie de prestations de services occasionnelles sur le territoire luxembourgeois. Elle expose à cet égard que l’article 20 de la loi d’établissement préverrait le principe de la dispense de toute autorisation administrative pour les prestations de services occasionnelles et passagères au pays et que la réserve avancée par le ministre relative à l’application de dispositions de directives européennes existantes ne saurait mettre en échec ce principe, étant donné que la directive CEE n° 85/384 du Conseil du 10 juin 1985 visant la reconnaissance mutuelle des diplômes, certificats et autres titres du domaine de l’architecture et comportant des mesures destinées à faciliter l’exercice effectif du droit d’établissement et de libre prestation de services, ci-après désignée par la « directive CEE 85/384 », invoquée dans la décision critiquée, aurait trait au domaine de l’architecture sans viser l’activité de l’ingénieur et ne serait ainsi pas applicable en l’espèce. La société T.

affirme qu’en plus, la directive CEE 85/384 aurait été transposée en droit luxembourgeois non pas par une loi, mais par un règlement grand-ducal qui ne serait ainsi pas conforme à l’article 11 (6) de la Constitution réservant au pouvoir législatif la faculté de porter des restrictions au libre exercice de la profession libérale. Même au cas où la directive CEE 85/384 devait trouver application, la société T. estime que son article 22 préverrait la possibilité pour un Etat membre d’accueil d’exiger une déclaration préalable relative à certaines prestations de services, mais qu’aucune disposition légale luxembourgeoise n’aurait instauré une telle obligation pour les professions libérales, contrairement aux artisans et aux industriels.

Le délégué du gouvernement rétorque que l’article 1er de la loi d’établissement, s’il ne permet pas au ministre de soumettre des prestations de services sans établissement au pays à une autorisation préalable, constituerait néanmoins une base juridique suffisante pour exiger une déclaration préalable matérialisée par un agrément pour un chantier spécifique. Il allègue que la réserve en faveur des directives européennes inscrite à l’article 20 de la loi d’établissement devrait être comprise en ce sens que la volonté du législateur aurait été d’appliquer aux ressortissants des autres Etats membres les conditions et formalités prévues par les différentes directives européennes et que la directive CEE 85/384 devrait trouver application pour l’activité d’ingénieur de la construction. Le représentant étatique se prévaut de l’article 22 de cette directive pour soutenir que cette disposition européenne constituerait une base légale suffisante pour exiger de la part de prestataires de services provenant d’autres Etats membres l’indication préalable des références concernant le chantier projeté pour la prestation de services, « laquelle se trouve simplement formalisée et matérialisée par un document du ministère des Classes moyennes « autorisant » ce chantier particulier ».

La société T. fait répliquer qu’elle conteste que l’article 1er de la loi d’établissement puisse constituer une base juridique pour exiger une déclaration préalable pour une prestation de services occasionnelle à partir d’un autre Etat membre et elle estime que ni l’article 20 ni une autre disposition n’instaurerait une exigence d’un agrément en ce cas. Elle réitère sa position que la directive CEE 85/384 ne vise que la profession d’architecte et non pas celle de l’ingénieur et qu’elle réserverait simplement aux Etats membres le droit de prévoir dans le cadre d’une réglementation interne d’exécution la production de certains documents ou d’une déclaration préalable, mais qu’à défaut d’une telle disposition en droit luxembourgeois, le ministre serait sans droit de poser une telle exigence.

L’article 20 de la loi d’établissement dispose ce qui suit :

« Les ressortissants des Etats membres de la Communauté Economique Européenne qui, sans être établis au Luxembourg y viennent occasionnellement et passagèrement pour y recueillir des commandes ou prester des services relevant des professions commerciales et libérales sont dispensés de toute autorisation administrative de la part des autorités luxembourgeoises, sans préjudice des directives du Conseil en matière de la libre prestation des services pour les activités non salariées des professions visées par les présentes dispositions.

Les artisans et industriels sont cependant obligés de justifier, auprès du ministre ayant dans ses attributions les autorisations d´établissement, qu´ils sont légalement autorisés à exercer leur profession dans le pays de leur établissement, sans préjudice des directives du Conseil en matière de la libre prestation des services pour certaines activités non salariées de l´industrie et de l´artisanat. Le ministre leur délivrera un certificat ad hoc ».

Etant constant en cause que l’activité de la société T. n’est pas visée par l’alinéa 2 dudit article 20 pour être étrangère aux métiers des artisans et activités des industriels, il découle de son alinéa 1er que les ressortissants des autres Etats membres de l’Union européenne n’étant pas établis au pays peuvent librement prester des services occasionnels relevant de professions libérales sans autorisation préalable de la part des autorités luxembourgeoises, sauf si une telle exigence d’autorisation découle d’une directive communautaire relative à la libre prestation de services d’une certaine profession libérale.

Dans la mesure où le délégué du gouvernement soutient que la directive CEE 85/384 trouverait application à l’activité d’ingénieur-conseil et serait donc visée par l’article 20 alinéa 1er de la loi d’établissement, il y a lieu de préciser le champ d’application de cette directive.

A cet égard, l’article 1er de la directive CEE 85/384 dispose :

« 1. La présente directive s'applique aux activités du domaine de l'architecture.

2. Au sens de la présente directive, on entend par activités du domaine de l'architecture celles exercées habituellement sous le titre professionnel d'architecte ».

La même directive CEE 85/384 comporte dans son préambule les considérants suivants :

« considérant que la référence faite à l'article 1er paragraphe 2 aux «activités du domaine de l'architecture exercées habituellement sous le titre professionnel d'architecte» qui se justifie par la situation existant dans certains États membres a uniquement pour objet d'indiquer le champ d'application de la présente directive, sans pour autant prétendre donner une définition juridique des activités dans le secteur de l'architecture;

considérant que dans la plupart des États membres les activités du domaine de l'architecture sont exercées, en droit ou en fait, par des personnes qui portent l'appellation d'architecte seule ou accompagnée d'une autre appellation, sans que ces personnes bénéficient pour autant d'un monopole d'exercice de ces activités, sauf dispositions législatives contraires; que les activités précitées, ou certaines d'entre elles, peuvent également être exercées par d'autres professionnels, notamment par des ingénieurs, ayant reçu une formation particulière dans le domaine de la construction ou de l'art de bâtir ».

Il en découle que la directive CEE 85/384 reconnaît elle-même la distinction entre les professions d’architecte et d’ingénieur et qu’elle attache son champ d’application à la dénomination professionnelle sous laquelle l’activité en cause est exercée et non pas à une définition d’actes visés indépendamment de la dénomination professionnelle sous laquelle ils sont accomplis. Par voie de conséquence, force est au tribunal de conclure que la directive CEE 85/384 ne régit que l’activité exercée dans un Etat membre déterminé sous le titre professionnel d’architecte à l’exclusion de celle exercée sous le titre professionnel d’ingénieur.

Or, comme en droit interne, tant l’article 1er de la loi d’établissement que la loi du 13 décembre 1989 portant organisation des professions d’architecte et d’ingénieur-conseil distinguent également entre les professions d’architecte et d’ingénieur-conseil, force est d’admettre que la directive CEE 85/384 ne régit que la profession d’architecte au sens de ladite loi du 13 décembre 1989 à l’exclusion de celle d’ingénieur-conseil exercée par la société T., de manière qu’elle ne peut pas trouver application en l’espèce et que c’est à tort que le ministre s’est fondé sur cette directive pour fonder une obligation déclarative dans le chef de la société T..

L’Etat n’invoque pas non plus l’existence d’une autre directive communautaire relative à la profession d’ingénieur et autorisant les Etats membres à soumettre à une obligation déclarative les prestations de services d’ingénieur à partir d’autres Etats membres.

S’y ajoute que l’article 1er de la loi d’établissement soumet à une autorisation préalable l’activité d’ingénieur seulement si elle est exercée par voie d’établissement au pays et ne saurait partant être interprété dans le sens préconisé par le délégué du gouvernement comme soumettant à une déclaration préalable une prestation de services d’ingénieur occasionnelle au pays à partir d’un autre Etat membre (cf. trib. adm. 2 février 2005, n° 18301, non encore publié).

Il s’ensuit qu’en l’absence d’une directive communautaire ou d’une autre disposition légale de droit interne portant une restriction à la liberté de prester des services occasionnels d’ingénieur au pays à partir d’un autre Etat membre, il y a lieu de faire tout simplement application du principe de la dispense d’autorisation administrative ancré à l’article 20 alinéa 1er de la loi d’établissement.

Par voie de conséquence, aucune disposition de droit communautaire ou interne n’autorisait le ministre à exiger de la part de la société T. une déclaration préalable à la fourniture d’une prestation de services d’ingénieur de sa part à partir de son établissement en Belgique. Il s’ensuit qu’en présence d’une autorisation, voire d’un agrément d’après le délégué du gouvernement, émis suite à la satisfaction par la société T. à une telle obligation déclarative illégale et ayant reconnu officiellement son droit à l’exécution de prestations de services dans le cadre d’un certain marché, le ministre n’était a fortiori pas en droit de procéder à la révocation de l’autorisation n° C 1817 émise au bénéfice de la société T..

Il découle de ces développements que la décision ministérielle déférée du 4 mai 2004 encourt l’annulation pour violation de la loi.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties, se déclare incompétent pour connaître du recours principal en réformation, déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable dans la mesure où il est dirigé contre le courrier ministériel du 12 décembre 2003, reçoit le recours subsidiaire en annulation en la forme en tant que dirigé contre la décision du ministre des Classes moyennes, du Tourisme et du Logement du 4 mai 2004 portant révocation de l’autorisation d’établissement n° C 1817 émise en faveur de la société T., au fond, le déclare justifié, partant, annule ladite décision du 4 mai 2004, condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé par:

M. CAMPILL, vice-président, M. SCHROEDER, premier juge, M. SPIELMANN, juge, et lu à l’audience publique du 7 mars 2005 par le vice-président en présence de M.

LEGILLE, greffier.

LEGILLE CAMPILL 9


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 18467
Date de la décision : 07/03/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-03-07;18467 ?

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