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07/03/2005 | LUXEMBOURG | N°18455

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 07 mars 2005, 18455


Tribunal administratif N° 18455 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 26 juillet 2004 Audience publique du 7 mars 2005 Recours formé par Monsieur …, …, contre un arrêté du ministre du Travail et de l’Emploi en matière de permis de travail

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18455 du rôle et déposée le 26 juillet 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Albert RODESCH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le …, de nationalité bosniaque, demeurant à L-…, ten

dant à l’annulation d’un arrêté du ministre du Travail et de l’Emploi du 6 mai 2004 lui ref...

Tribunal administratif N° 18455 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 26 juillet 2004 Audience publique du 7 mars 2005 Recours formé par Monsieur …, …, contre un arrêté du ministre du Travail et de l’Emploi en matière de permis de travail

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18455 du rôle et déposée le 26 juillet 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Albert RODESCH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le …, de nationalité bosniaque, demeurant à L-…, tendant à l’annulation d’un arrêté du ministre du Travail et de l’Emploi du 6 mai 2004 lui refusant la délivrance d’un permis de travail ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 15 décembre 2004 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 14 janvier 2005 en nom et pour compte du demandeur ;

Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 26 janvier 2005 ;

Vu les pièces versées au dossier et notamment la décision attaquée ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Sophie PIERINI, en remplacement de Maître Albert RODESCH, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives.

En date du 29 janvier 2004, le ministre du Travail et de l’Emploi, ci-après désigné par le « ministre », s’adressa à la société Garage … s.à r.l., ci-après dénommée « la société … » en les termes suivants :

« Monsieur, J’ai l’honneur de vous informer que le permis de travail n° A 044990 de votre salarié(e) … viendra à expiration le 31/03/2004.

L’exercice d’une activité salariée par un ressortissant d’un Etat non-membre de l’Espace Economique Européen étant conditionnée par la détention d’un permis de travail valable, je vous prie de bien vouloir introduire, auprès de l’Administration de l’Emploi (b.p. 2208, L-1022 Luxembourg), en double exemplaire, une nouvelle demande en obtention d’une autorisation de travail pour le travailleur précité.

Est à joindre à la demande, un certificat émanant du Centre commun de la sécurité sociale reprenant les affiliations depuis le mois de juillet 2001 et précisant les heures de travail et les salaires mensuels déclarés par chaque employeur individuellement depuis le mois de juillet 2001(…) ».

Par arrêté du 6 mai 2004, le ministre refusa la délivrance du permis de travail sollicité par la société … pour compte de Monsieur … « pour les raisons inhérentes à la situation et à l’organisation du marché de l’emploi suivantes - des demandeurs d’emploi appropriés sont disponibles sur place : 2645 ouvriers non qualifiés inscrits comme demandeurs d’emploi aux bureaux de placement de l’Administration de l’Emploi - priorité à l’emploi des ressortissants de l’Espace Economique Européen - augmentation inquiétante du nombre des demandeurs d’emploi : + 20 % endéans 1 an ».

Par lettre du 9 juin 2004, la société … introduisit pour compte de Monsieur … un recours gracieux à l’encontre de l’arrêté ministériel prévisé du 6 mai 2004.

Le recours gracieux s’étant soldé par une décision confirmative du ministre datant du 21 juin 2004, Monsieur … a fait introduire par requête déposée le 26 juillet 2004 un recours tendant à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 6 mai 2004.

La loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1) l’entrée et le séjour des étrangers ;

2) le contrôle médical des étrangers ; 3) l’emploi de la main-d’œuvre étrangère ne prévoit pas de recours au fond en la matière, de sorte que seul un recours en annulation a pu être déposé.

Le recours en annulation formé à l’encontre de la décision ministérielle déférée est recevable pour avoir été par ailleurs introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur expose avoir bénéficié d’un permis de travail auprès de la société … jusqu’au 31 mars 2004, qu’il fut invité par l’Administration de l’Emploi, ci-après désignée l’« ADEM », en date du 29 janvier 2004 à signer une nouvelle demande en obtention d’une autorisation de travail, mais que par arrêté du 6 mai 2004, le permis de travail lui aurait été refusé. Le demandeur estime plus particulièrement que l’augmentation du taux de chômage ne saurait lui être opposée, étant donné que cette augmentation était déjà connue le 29 janvier 2004, date à laquelle il fut invité à renouveler son autorisation et que la motivation tirée de l’augmentation du nombre de demandeurs d’emploi ne serait pas suffisante pour refuser à l’heure actuelle « le maintien du contrat ». Dans ce contexte, Monsieur … soutient que le refus de prolongation du permis de travail serait dû au fait qu’il vivrait séparé de son épouse, motif de refus qui ne reposerait sur aucune base légale.

Finalement, le demandeur sollicite encore la communication du rapport de la commission d’avis spéciale instituée par règlement grand-ducal du 17 juin 1994, avis préalable à la prise de la décision du 6 mai 2004 attaquée.

Le délégué du gouvernement rétorque que la situation du marché de l’emploi serait mauvaise en se prévalant des statistiques officielles qui sont publiées mensuellement dans la presse écrite et parlée à la suite de la réunion du Comité de conjoncture, que suivant la situation sur le marché de l’emploi luxembourgeois au 30 avril 2004, 8660 demandeurs d’emploi étaient inscrits aux bureaux de placement de l’ADEM, dont 2645 ouvriers non-qualifiés. Or, comme le métier de manœuvre ne nécessiterait aucune qualification particulière, ce serait à bon droit que le ministre, compte tenu des chiffres exposés ci-avant, aurait refusé un permis de travail à un ressortissant d’un pays tiers en invoquant la priorité à l’emploi des travailleurs de l’Union Européenne et de l’Espace Economique Européen et la disponibilité de 2645 ouvriers non-qualifiés sur le marché luxembourgeois.

Le représentant étatique relève ensuite une augmentation inquiétante du nombre des demandeurs d’emplois, à savoir + 20 % au cours d’un an, que d’après une jurisprudence constante des juridictions administratives, le titulaire d’une autorisation de travail du type A ne jouirait pas d’un droit acquis au renouvellement du permis de travail et que le ministre aurait le droit d’examiner la nouvelle demande de permis de travail, compte tenu de la situation sur le marché de l’emploi. Or, la situation sur le marché de l’emploi se serait dégradée à tel point qu’il conviendrait de réserver les emplois disponibles aux ressortissants communautaires.

Dans ce contexte, il relève plus particulièrement qu’entre la date de délivrance du premier permis de travail au profit de Monsieur … au mois de décembre 2002 et le mois d’octobre 2004, le nombre des personnes sans emploi a augmenté de 32,75 %, et entre les mois d’avril 2003 et avril 2004 de 20,14 %. Quant aux travailleurs non-qualifiés, 2.018 personnes auraient été sans emploi au mois de décembre 2002 contre 2.577 au mois d’avril 2004, soit une augmentation de 27,70 %.

Finalement, le délégué du gouvernement conteste encore l’affirmation de Monsieur …, d’après laquelle le refus de prolongation de l’autorisation de travail serait dû au fait qu’il vivrait séparé de son épouse.

Dans son mémoire en réplique, le demandeur insiste à nouveau sur la communication de l’avis de la commission d’avis spéciale. Pour le surplus, la motivation tirée de la présence de demandeurs d’emploi appropriés disponibles issus de l’Union Européenne et de l’Espace Economique Européen ne suffirait pas à justifier le refus de renouvellement du permis de travail à défaut de preuve par l’ADEM que d’autres candidats bénéficiant de la priorité de l’embauche auraient été assignés à l’employeur, d’autant plus que ledit employeur continuerait à employer un autre manœuvre originaire du Monténégro.

Concernant en premier lieu l’argumentation tirée du défaut de production de l’avis de la commission d’avis spéciale, il échet de constater qu’en annexe à son mémoire en duplique du 26 janvier 2005, le délégué du gouvernement a communiqué ledit avis reproduisant les trois motifs de refus retenus dans la décision attaquée du 6 mai 2004. Il s’ensuit que le moyen d’annulation tiré du défaut de communication voire d’existence dudit avis manque en fait et est partant à rejeter.

La délivrance du permis de travail, son renouvellement et son retrait sont conditionnés par la situation du marché de l’emploi. Le ministre est en droit, tout comme lors de la première délivrance d’un permis de travail, d’apprécier s’il y a lieu de le renouveler au vu de la situation, de l’évolution et de l’organisation du marché du travail (cf. trib. adm. 21 juin 1999, n° 11116 du rôle, Pas. adm. 2004, V° Travail, n° 73 et autre référence y citée).

L’article 27 de la loi du 28 mars 1972 précitée, dispose que : « L’octroi et le renouvellement du permis de travail peuvent être refusés aux travailleurs étrangers pour des raisons inhérentes à la situation, à l’évolution ou à l’organisation du marché de l’emploi (…) ».

En deuxième lieu, l’article 10, paragraphe 1 du règlement grand-ducal modifié du 12 mai 1972 déterminant les mesures applicables pour l’emploi des travailleurs étrangers sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg dispose que : « L’octroi et le renouvellement du permis de travail peuvent être refusés aux travailleurs étrangers pour des raisons inhérentes à la situation, à l’évolution ou à l’organisation du marché de l’emploi, compte tenu de la priorité à l’embauche dont bénéficient les ressortissants des Etats membres de l’Union Européenne et des Etats parties à l’Accord sur l’Espace Economique Européen, conformément à l’article 1er du règlement CEE 1612/68 concernant la libre circulation des travailleurs ».

En troisième lieu, l’article 1er du règlement CEE n° 1612/68 dispose que : « 1.

Tout ressortissant d’un Etat membre, quelque soit le lieu de sa résidence, a le droit d’accéder à une activité salariée et de l’exercer sur le territoire d’un autre Etat membre, conformément aux dispositions législatives, réglementaires et administratives régissant l’emploi des travailleurs nationaux de cet Etat. 2. Il bénéficie notamment sur le territoire d’un autre Etat membre de la même priorité que les ressortissants de cet Etat dans l’accès aux emplois disponibles ».

Le ministre, en refusant un permis de travail doit se référer avec précision à la situation et à l’organisation du marché de l’emploi existant au moment où la décision est prise et viser la situation particulière dans la profession pour laquelle le permis est sollicité, afin de répondre à l’obligation de motivation de sa décision. La référence à la situation du marché de l’emploi doit être considérée ensemble avec les motifs de refus, notamment la priorité à l’emploi des ressortissants de l’Espace Economique Européen et la présence et l’assignation d’autres personnes, pour apprécier si la décision a été suffisamment motivée.

Quant à la situation du marché de l’emploi, le ministre, en se basant sur l’avis de la commission d’avis spéciale a motivé la décision attaquée en soulignant que 2.645 ouvriers non-qualifiés étaient inscrits comme demandeurs d’emploi aux bureaux de placement de l’ADEM et en constatant une augmentation inquiétante du nombre des demandeurs d’emploi de plus de 20 % sur un an.

Conformément aux dispositions légales et réglementaires applicables, le ministre peut refuser un permis de travail à un ressortissant d’un pays tiers en invoquant la priorité de l’emploi des travailleurs de l’Union Européenne et de l’Espace Economique Européen et leur disponibilité sur le marché luxembourgeois, de sorte que c’est à bon droit que le ministre, compte tenu des chiffres exposés ci-avant et du fait qu’au courant des douze derniers mois considérés, le nombre de demandeurs d’emplois a augmenté de plus de 20 %, a pu conclure que la situation sur le marché de l’emploi est telle qu’il a pu réserver l’accès à l’emploi aux demandeurs d’emploi bénéficiant de la priorité à l’emploi plutôt que de recruter un ressortissant d’un pays tiers, cette conclusion n’étant pas affectée par le fait que l’intéressé a été bénéficiaire d’un permis de travail, renouvelé une fois, aucun droit acquis ne pouvant en être tiré.

Dans ce contexte, le reproche du demandeur consistant à soutenir que l’ADEM n’aurait pas rapporté la preuve d’avoir assigné d’autres candidats bénéficiant de la priorité à l’embauche à la société … ne saurait être retenu eu égard au fait que l’employeur s’était contenté de solliciter le renouvellement du permis de travail de Monsieur … en précisant d’ailleurs, dans son courrier du 9 juin 2004, que ce dernier avait donné entière satisfaction et ne pas comprendre pourquoi devoir rechercher une autre personne susceptible de le remplacer.

Finalement, le moyen basé - en substance - sur un détournement de pouvoir au motif que le refus ministériel serait fondé sur la séparation du demandeur de son épouse est à rejeter comme mal fondé, ce reproche restant en l’état de simple allégation, le ministre ayant, comme relevé ci-avant, repris dans la décision attaquée les motifs contenus dans l’avis de la commission d’avis spéciale.

Partant le recours en annulation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par :

M. Campill, vice-président, M. Spielmann, juge, Mme Gillardin, juge, et lu à l’audience publique du 7 mars 2005 par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

Legille Campill 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 18455
Date de la décision : 07/03/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-03-07;18455 ?

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