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02/03/2005 | LUXEMBOURG | N°18869

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 02 mars 2005, 18869


Tribunal administratif Numéro 18869 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 18 novembre 2004 Audience publique du 2 mars 2005 Recours formé par les époux … et … et consorts, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18869 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 18 novembre 2004 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (K

osovo/Etat de Serbie et Monténégro), de son épouse, Madame …, née le… , et de leurs quatre en...

Tribunal administratif Numéro 18869 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 18 novembre 2004 Audience publique du 2 mars 2005 Recours formé par les époux … et … et consorts, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18869 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 18 novembre 2004 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Kosovo/Etat de Serbie et Monténégro), de son épouse, Madame …, née le… , et de leurs quatre enfants mineurs …, tous de nationalité serbo-monténégrine, demeurant actuellement à L-… , tendant à la réformation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 3 septembre 2004 portant rejet de leur demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée et de celle confirmative, intervenue sur recours gracieux, du même ministre du 21 octobre 2004 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 21 décembre 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Entendu le juge-rapporteur en son rapport, Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, en remplacement de Maître Louis TINTI et Monsieur le délégué du Gouvernement Marc MATHEKOWITSCH s’étant rapportés aux écrits de leurs parties respectives à l’audience publique du 14 février 2005.

Le 3 septembre 2003, Monsieur … et son épouse Madame …, accompagnés de leurs 4 enfants mineurs … introduisirent une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951 et approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le 20 janvier 2004, les époux …-… furent entendus, chacun séparément, par un agent du ministère de la Justice sur leur situation et sur les motifs à la base de leur demande en reconnaissance du statut de réfugié.

Par décision du 3 septembre 2004, notifiée par courrier recommandé expédié le 13 septembre 2003, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration informa la famille …-

… de ce que sa demande avait été refusée comme non fondée au motif qu’elle n'invoquerait aucune crainte justifiée de persécution en raison de leurs opinions politiques, de leur race, de leur religion, de leur nationalité ou de leur appartenance à un groupe social.

Par courrier de son mandataire du 14 octobre 2004, la famille …-… fit introduire un recours gracieux à l’encontre de cette décision de refus.

Par décision du 18 octobre 2004, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration confirma sa décision de refus antérieure.

Le 18 novembre 2004, la famille …-… a fait déposer au greffe du tribunal administratif un recours en réformation contre les deux décisions ministérielles citées ci-avant.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, de sorte que le tribunal est compétent pour analyser le recours introduit. Le recours en réformation ayant été introduit, par ailleurs, dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

A l’appui de leur recours, les demandeurs exposent être originaires du Kosovo, ainsi qu’appartenir à la minorité des Goranais. Ils reprochent notamment à l’autorité administrative d’avoir fait une appréciation erronée des faits d’espèce en ce sens que ce serait à tort qu’elle est arrivée à la conclusion que les faits par eux invoqués ne justifieraient pas dans leur chef une crainte justifiée de persécution. Ils reprochent en plus à l’autorité administrative de n’avoir pas tiré les conséquences qui s’imposeraient du fait de la persécution dont ils auraient été victimes ou pourraient être victimes en cas de retour dans leur pays d’origine du fait notamment de l’origine ethnique en ce sens qu’ils appartiennent à la minorité des Goranais.

Le délégué du Gouvernement soutient que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs et que le recours sous analyse laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par les demandeurs lors de leur audition, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En l’espèce, les demandeurs ne font pas état d’éléments permettant de retenir dans leur chef une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève. En effet, Monsieur … relate qu’il a eu du mal à trouver du travail et que des Albanais seraient passés chez lui pour voir s’il avait des armes, tout en précisant que leur dernier passage remontait à 2001. En ce qui concerne Madame …, elle précise n’avoir subi aucune persécution mais qu’elle se sentait en insécurité.

Concernant la crainte générale exprimée par les demandeurs d’actes de persécution de la part d’Albanais du Kosovo à leur encontre en raison de leur appartenance à la minorité goranaise, force est de constater que s’il est vrai que la situation générale des membres de minorités ethniques au Kosovo, en l’espèce celle des Goranais, est difficile et qu’ils sont particulièrement exposés à des discriminations, elle n’est cependant pas telle que tout membre d’une minorité ethnique serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève. Une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considérés individuellement et concrètement, les demandeurs risquent de subir des persécutions.

A cet égard, il y a lieu de constater que suivant la version actualisée du rapport de l’UNHCR datant de juin 2004 sur la situation des minorités au Kosovo, la situation de sécurité générale des Goranais pendant la période observée de janvier 2003 au 15 mars 2004 est restée stable et n’a été marquée que par un seul incident isolé. Ainsi il est relaté que “The overall security situation of Kosovo Gorani, who are predominantly concentrated in the isolated and underdeveloped southernmost municipality of Dragash/Dragas, remained stable.

With the exception of one stoning incident against a Gorani-operated bus in May 2003, no ethnically motivated incidents involving Gorani were reported1”.

En ce qui concerne leur situation après les récents incidents ayant eu lieu entre le 15 et le 19 mars 2004, force est de constater que les Goranais n’étaient pas la cible directe des affrontements. En effet il est relaté dans la troisième partie du rapport intitulé : “ Situation of minority groups by region in light of the turmoil in march 2004” que “Kosovo Serbs were the primary target of inter-ethnic violence…Finally, whereas Bosniaks and Gorani did not become a direct target of the violence, in some locations they felt sufficiently at risk that they opted for precautionary movements, or where evacuated by police, to safer places”2 et encore “The few Bosniaks and Gorani who were displaced during the mid-March unrest have returned to their home communities. Returnees and remainees have resumed the same levels of freedoms they enjoyed prior to the events. Nevertheless and for reasons stated in other parts of this update, it is important to underline the continued and accrued vulnerability of these communities in the event of new violence. Likewise all other ethnic minorities in 1 UPDATE ON THE KOSOVO ROMA, ASHKAELIA, EGYPTIAN, SERB, BOSNIAK, GORANI AND ALBANIAN COMMUNITIES IN A MINORITY SITUATION, UNHCR Kosovo, June 2004, p. 28.

2 UPDATE ON THE KOSOVO ROMA, ASHKAELIA, EGYPTIAN, SERB, BOSNIAK, GORANI AND ALBANIAN COMMUNITIES IN A MINORITY SITUATION, UNHCR Kosovo, June 2004, p. 31 et 32.

Kosovo, the Bosniaks and Gorani have now an increased level of fear and their confidence in existing security systems has been subject to the same erosion as other groups3”.

Face à l’évolution somme toute positive ainsi tracée de la situation de la minorité goranaise, malgré l’installation d’un sentiment général d’insécurité suite aux événements ayant eu lieu en mars 2004, les éléments invoqués par le demandeur ne peuvent être considérés comme fondant une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève. A cela s’ajoute que les persécutions mises en avant par le demandeur émanent de personnes privées et non pas de l’Etat, de sorte qu’il lui appartient de mettre suffisamment en évidence un défaut de protection de la part des autorités, preuve qu’il n’a pas rapportée en l’espèce, étant entendu qu’il n’a pas fait état d’un quelconque fait concret qui serait de nature à établir un défaut caractérisé de protection dans son chef de la part des autorités en place.

De tout ce qui précède, il résulte que les craintes dont les demandeurs font état s’analysent en substance en un sentiment général d’insécurité lequel ne saurait fonder une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève, de sorte que le recours laisse d’être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 2 mars 2005 par :

Mme Lenert, premier juge, Mme Thomé, juge, M. Sünnen, juge, en présence de M. Schmit greffier en chef.

Schmit Lenert 3 UPDATE ON THE KOSOVO ROMA, ASHKAELIA, EGYPTIAN, SERB, BOSNIAK, GORANI AND ALBANIAN COMMUNITIES IN A MINORITY SITUATION, UNHCR Kosovo, June 2004, p. 46.


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 18869
Date de la décision : 02/03/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-03-02;18869 ?

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