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02/03/2005 | LUXEMBOURG | N°18624

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 02 mars 2005, 18624


Tribunal administratif N° 18624 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 1er septembre 2004 Audience publique du 2 mars 2005 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du Gouvernement en conseil en matière de dossier personnel

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18624 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 1er septembre 2004 par Maître Lex THIELEN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au n

om de Monsieur …, … , demeurant à L- … , tendant à la réformation et subsidiairement à l...

Tribunal administratif N° 18624 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 1er septembre 2004 Audience publique du 2 mars 2005 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du Gouvernement en conseil en matière de dossier personnel

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18624 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 1er septembre 2004 par Maître Lex THIELEN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, … , demeurant à L- … , tendant à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du Gouvernement en conseil du 30 avril 2004, maintenant en vigueur la décision du ministre de la Défense du 19 janvier 2004 de maintenir une note datant du 5 novembre 2003 dans le dossier personnel de Monsieur … ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 14 décembre 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du Gouvernement Guy SCHLEDER en sa plaidoirie à l’audience publique du 21 février 2005, Maître Renaud LE SQUEREN, en remplacement de Maître Lex THIELEN, s’étant rapporté au recours introduit pour compte de sa partie.

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Monsieur …, fonctionnaire de l’Etat, affecté au ministère des Affaires Etrangères, du Commerce Extérieur, de la Coopération et de la Défense, ci-après appelé le « ministère des Affaires étrangères », se vit adresser en date du 5 novembre 2003 une note rédigée à son attention, émanant de Monsieur …, directeur de la Défense auprès du ministère des Affaires étrangères, portant comme objet les absences non motivées de Monsieur …, le temps de présence de ce dernier au bureau et le retard affectant la réalisation de certaines tâches lui imparties, l’auteur de cette note ayant retenu en guise de conclusion que « ces faits constituent des manquements graves à vos devoirs de fonctionnaire tels qu’énumérés par la loi modifiée du 16 avril 1974 fixant le statut général des fonctionnaires de l’Etat et je me réserve tous droits quant aux suites à y donner. La présente note sera ajoutée à votre dossier personnel».

1 Monsieur … adressa au ministre de la Fonction publique et de la Réforme administrative une réclamation datée du 21 novembre 2003 contre cette note, ainsi que contre son incorporation dans son dossier personnel sur base de l’article 33 de la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l’Etat, ci-après appelé « le statut général ».

Par courrier daté du 19 janvier 2004, le ministre de la Défense prit position par rapport à la prédite réclamation, en rejetant l’ensemble des arguments exposés par Monsieur … dans ladite réclamation et en concluant que : « la note du 5 novembre 2003 émise par Monsieur … à votre égard sera maintenue dans son intégralité ».

Monsieur … ayant alors fait introduire, suivant lettre recommandée datant du 20 février 2004, un recours sur base de l’article 33, alinéa 5 du statut général devant le Gouvernement en conseil, celui-ci a décidé en date du 24 mai 2004 « de maintenir en vigueur la décision du Ministre de la Défense du 19 janvier 2004 dans son intégralité ainsi que l’incorporation subséquente de la note du 5 novembre 2003 du Directeur de la Défense dans le dossier personnel de Monsieur … ».

Cette décision ayant été communiquée à Monsieur … par courrier du ministère des Affaires étrangères, direction de la Défense expédiée le 28 mai 2004, Monsieur …, par requête déposée en date du 1er septembre 2004, a fait introduire un recours contentieux tendant principalement à sa réformation et subsidiairement à son annulation.

A l’appui de son recours, le demandeur conclut en premier lieu à une violation de l’article 11, alinéa 2 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes en faisant valoir que la note incorporée à son dossier porterait atteinte à son honneur, de sorte qu’il serait en droit d’en demander le retrait.

Il souligne à cet égard le fait que l’acte d’incorporation de la note litigieuse, « à caractère diffamatoire », constituant une véritable décision administrative, constituerait l’étape finale dans la procédure d’incorporation au dossier d’une appréciation écrite concernant un fonctionnaire, susceptible de faire l’objet d’un recours contentieux, et non « une simple mesure de rassemblage d’éléments d’information en vue de la prise éventuelle d’une décision ultérieure ».

Il estime encore que les formalités édictées par l’article 11 du prédit règlement grand-

ducal du 8 juin 1979 seraient « plus élaborées et plus protectrices des intérêts de l’administré que les règles édictées par l’article 34.2 du statut général », de sorte que l’article 11 précité aurait vocation à s’appliquer en l’espèce.

Quant au fond, il conteste la compétence du directeur de la Défense pour verser dans son dossier personnel des « notes à caractère péjoratif ayant pour objet de le discréditer dans son honneur professionnel » et fait plaider, à titre subsidiaire, que les griefs retenus à son encontre dans ladite note ne seraient pas justifiés.

2 Le délégué du Gouvernement conclut principalement à l’irrecevabilité du recours, la décision d’incorporation de la note au dossier personnel du demandeur n’étant pas une décision administrative susceptible d’un recours.

Aux termes de l’article 1er de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, un recours est ouvert « contre toutes les décisions administratives à l’égard desquelles aucun autre recours n’est admissible ».

Cette disposition limite dès lors l’ouverture d’un recours devant les juridictions administratives notamment aux conditions cumulatives que l’acte litigieux doit constituer une décision administrative, c’est-à-dire émaner d’une autorité administrative légalement habilitée à prendre des décisions unilatérales obligatoires pour les administrés et qu’il doit s’agir d’une véritable décision, affectant les droits et intérêts de la personne qui la conteste (F. Schockweiler, Le contentieux administratif et la procédure administrative non contentieuse en droit luxembourgeois, n° 46, p. 28).

Il est constant que le litige sous examen a trait, à sa base, à l’incorporation d’une note contenant une appréciation écrite concernant Monsieur … à son dossier personnel, le demandeur estimant dans ce contexte que l’article 11, alinéa 2 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 précité devrait trouver à s’appliquer en lieu et place de l’article 34 du statut général.

Aux termes de l’article 11 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 précité, « tout administré a droit à la communication intégrale du dossier relatif à sa situation administrative, chaque fois que celle-ci est atteinte, ou susceptible de l´être, par une décision administrative prise ou en voie de l´être. Il peut demander, à cette occasion, le retrait de son dossier de toute pièce étrangère à l´objet du dossier, si elle est de nature à lui causer un préjudice. La décision prise par l´Administration sur sa demande est susceptible de recours devant la juridiction compétente ».

L’article 34 du statut général pour sa part dispose au sujet du dossier personnel comme suit :

« 1. Le dossier personnel du fonctionnaire doit contenir toutes les pièces concernant sa situation administrative. Ne pourra figurer au dossier aucune mention faisant état des opinions politiques, philosophiques ou religieuses de l’intéressé.

Un règlement grand-ducal pourra déterminer les pièces concernant la situation administrative du fonctionnaire et visées par le présent article.

2. Toute appréciation écrite concernant le fonctionnaire doit lui être communiquée en copie avant l’incorporation au dossier. La prise de position éventuelle de l’intéressé est jointe au dossier.

3. Tout fonctionnaire a, même après la cessation de ses fonctions, le droit de prendre connaissance de toutes les pièces qui constituent son dossier.

3 4. Le dossier ne peut être communiqué à des personnes étrangères à l’administration publique, sauf à la demande du fonctionnaire. (…) » Il se dégage du libellé des deux textes cités ci-avant que les dispositions de l’article 34 du statut général, insérées dans celui-ci par une loi spéciale postérieure à la réglementation générale relative à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, à savoir par la loi du 14 décembre 1983, offrent au fonctionnaire des garanties supérieures à celles prévues par le prédit article 11, de sorte qu’elles trouvent à s’appliquer au cas d’espèce.

En effet, si l’article 11 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 précité limite la possibilité de demander le retrait du dossier administratif d’une pièce préjudiciable aux seules pièces étrangères à ce dossier, le législateur ayant visé par cette disposition des appréciations sur la personnalité ou les convictions politiques, philosophiques ou religieuses de l’administré, mais non par exemple l’appréciation professionnelle du supérieur hiérarchique du fonctionnaire (voir Conseil d’Etat, 18 mars 1982, Pas. 25, p.294), l’article 34 du statut général permet au fonctionnaire de prendre position par rapport à toute pièce généralement quelconque figurant dans son dossier personnel, sans même avoir à justifier d’un préjudice.

Le cadre légal ainsi tracé, il échet, afin de déterminer la nature juridique de l’acte d’incorporation critiqué, laquelle conditionne directement la compétence du tribunal pour connaître du recours sous examen, de se référer aux dispositions de l’article 34 prérelaté, dont il ressort que le dossier personnel du fonctionnaire est destiné à rassembler à la fois toutes les pièces concernant sa situation administrative et, le cas échéant, toute appréciation écrite le concernant, ensemble ses prises de position éventuelles y relatives.

L'acte émanant d'une autorité administrative, pour être sujet à un recours contentieux, doit dès lors constituer, dans l'intention de l'autorité qui l'émet, une véritable décision, à qualifier d'acte de nature à faire grief, c'est-à-dire un acte de nature à produire par lui-même des effets juridiques affectant la situation personnelle ou patrimoniale de celui qui réclame (trib. adm., 18 juin 1998, n° 10617 et 10618, Pas. adm. 2004, V° Actes administratifs, n° 3, p. 14 et autres références). Plus particulièrement n'ont pas cette qualité de décision faisant grief, comme n'étant pas destinées à produire, par elles-mêmes, des effets juridiques, les actes préparatoires d'une décision (trib. adm., 23 juillet 1997, n° 9658, confirmé sur ce point par arrêt du 19 février 1998, n° 10263C, Pas. adm. 2004, v° Actes administratifs, n° 6, p. 15 et autres références).

Force est de constater que l’acte d’incorporation au dossier d’une appréciation écrite concernant un fonctionnaire ne comporte pas d’élément décisionnel affectant directement les droits de la personne concernée, étant donné qu’une appréciation écrite, si elle est certes susceptible d’être invoquée par la suite à l’appui d’une décision administrative, n’est pas pour autant de nature à faire grief déjà au stade préalable de son incorporation au dossier, ceci d’autant plus si le fonctionnaire concerné, tel le cas en l’espèce, a pu utilement user de son droit de voir joindre au dossier sa propre prise de position écrite.

Si des actes administratifs du type de ceux litigieux peuvent dès lors certes être considérés comme étant de nature à blesser le cas échéant le fonctionnaire concerné dans sa dignité au sens de l’article 33 du statut général et faire l’objet d’une réclamation dans le cadre y prétracé, ils ne sauraient pas pour autant être considérés comme des décisions administratives susceptibles de 4 recours contentieux pour ne constituer que de simples mesures de rassemblage d’éléments d’information en vue de la prise éventuelle d’une décision ultérieure, sous le respect par ailleurs du principe du contradictoire en cette phase préparatoire en ce sens qu’une prise de position éventuelle de l’intéressé est jointe au dossier (trib. adm., 29 mars 2004, n° 17049, confirmé par arrêt du 2 décembre 2004, n° 18039C).

Or de tels actes préparatoires, de par leur nature même, qui laissent le pouvoir de décision libre de la suite à leur donner, échappent à la censure du juge administratif (voir Falys Jacques, La recevabilité des recours en annulation des actes administratifs, Larcier, 1975, n° 6, p.26).

L’argument avancé par le demandeur selon lequel la décision d’incorporation serait la décision finale dans le cadre de la procédure d’incorporation ne saurait être retenu, étant donné que si cette décision constitue effectivement l’acte matériel final de la procédure d’incorporation, la procédure d’incorporation n’est pas une fin en soi, mais uniquement l’étape d’une procédure pouvant le cas échéant aboutir à une décision de l’autorité compétente sur base du dossier personnel du fonctionnaire, compte tenu de la note incorporée à ce même dossier et de la prise de position afférente de Monsieur …. La décision d’incorporation de la note au dossier personnel de ce dernier n’est dès lors pas, contrairement à ce que fait plaider le demandeur, une décision mettant définitivement fin à la procédure, mais seulement un acte de la procédure préparatoire susceptible d’aboutir à une décision définitive, qui elle donnera le cas échéant droit à ouverture d’un recours, dans le cadre duquel la pertinence et la justification des faits retenus dans l’écrit incorporé au dossier personnel pourront être débattus.

La conclusion retenue ci-avant n’est de même pas énervée par le fait que l’acte déféré indique constituer une « décision administrative susceptible d’un recours », étant donné que ce n’est ni la forme, ni, comme en l’espèce, l’adjonction d’une formule non directement pertinente dans son contexte, qui détermine la nature juridique d’un acte.

Il se dégage des considérations qui précèdent qu’en l’absence de décision litigieuse prise sur base de l’acte d’incorporation de la note déféré au tribunal, le recours sous examen est irrecevable.

La partie demanderesse réclame enfin l’allocation d’une indemnité de procédure d’un montant de 1.500 € « sur base de l’article de la loi du 21 juin 1999 portant règlement de la procédure devant les juridictions administratives, tel que cet article a été modifié par l’article V de la loi du 28 juillet 2000 », demande qui, outre le fait que la base légale d’une telle demande se situerait dans l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de la procédure devant les juridictions administratives, est à rejeter au vu de l’issue du litige.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

déclare le recours irrecevable ;

5 rejette la demande en allocation d’une indemnité de procédure, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 2 mars 2005 par :

Mme Lenert, premier juge, Mme Gillardin, juge, M. Sünnen, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Lenert 6


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 18624
Date de la décision : 02/03/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-03-02;18624 ?

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