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28/02/2005 | LUXEMBOURG | N°18846

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 28 février 2005, 18846


Tribunal administratif N° 18846 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 10 novembre 2004 Audience publique du 28 février 2005

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Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18846 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 10 novembre 2004 par Maître Daniel BAULISCH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’O

rdre des avocats à Diekirch, assisté de Maître Anne-Marie NICOLAS, avocat, inscrite au tableau de l’Ordre ...

Tribunal administratif N° 18846 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 10 novembre 2004 Audience publique du 28 février 2005

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Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18846 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 10 novembre 2004 par Maître Daniel BAULISCH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch, assisté de Maître Anne-Marie NICOLAS, avocat, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Ani (Côte d’Ivoire), de nationalité ivoirienne, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration intervenue le 6 septembre 2004 rejetant sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, telle que cette décision a été confirmée par ledit ministre le 11 octobre 2004, suite à un recours gracieux du demandeur ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 21 décembre 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport et Maître Anne-Marie NICOLAS, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives.

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En date du 24 mai 2004, Monsieur … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour, Monsieur … fut entendu par un agent de la police grand-ducale sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Grand-Duché de Luxembourg.

Il fut encore entendu les 2 et 18 juin 2004 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 6 septembre 2004, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration l’informa que sa demande d’asile avait été refusée. Cette décision est libellée comme suit :

« Il résulte de vos déclarations un peu confuses que vous auriez quitté la Côte d’Ivoire à cause de la guerre qui existerait entre les différents partis politiques du pays. Les partisans du parti politique RDR attaqueraient les personnes qui n’auraient pas voté pour eux ou qui seraient contre eux avec des fusils et des machettes. Ils tueraient, casseraient et voleraient.

Un jour, en 2003 des voisins seraient venus vous avertir que les membres du RDR se dirigeraient vers votre village et vous seriez allé vous cacher dans la brousse avant d’aller au Ghana. Vous n’auriez jamais vu les membres du RDR. Au Ghana, on vous aurait dit que votre village aurait été attaqué et que votre maison aurait été cambriolée et cassée.

Vous auriez quitté la Côte d’Ivoire vers juin-juillet 2003 parce que vous auriez peur de vous faire tuer par les « gens du RDR », notamment parce que vous ne seriez pas dans leur parti. Vous seriez allé à Dormaa Ahenkro au Ghana où vous auriez habité chez un ami et travaillé dans les champs pendant trois mois. Vous auriez continué vers Accra, la capitale ghanéenne où vous seriez resté pendant deux mois avant de séjourner à Lomé, Togo pendant au moins un mois et demi. Vous y auriez déchargé les camions. Un jour, vous auriez pris un bateau à Lomé accostant dans un endroit en Europe en février 2004. Par la suite, après avoir vécu cinq mois dans les rues d’un pays européen, vous auriez pris trois trains différents pour le Luxembourg. Vous auriez payé 80 euros pour le train, mais rien pour votre voyage en bateau.

Enfin, vous admettez ne pas avoir subi de persécutions personnelles en Côte d’Ivoire et de ne pas être membre d’un parti politique. Vous ajoutez vouloir travailler au Luxembourg.

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Il y a d’abord lieu de soulever que vous déclarez auprès de la Police judiciaire en mai 2004 avoir quitté la Côte d’Ivoire il y a huit à neuf mois, donc vers septembre-octobre 2003.

Auprès de l’agent du Ministère de la Justice, vous déclarez pourtant avoir quitté la Côte d’Ivoire en juin-juillet 2003. Il est également invraisemblant (sic) que vous ayez vécu pendant cinq mois dans les rues d’un pays européen sans pour autant savoir dans quel pays exactement vous étiez. Dans le même ordre d’idées vous dites avoir pris trois trains pour le Luxembourg sans pouvoir préciser quels trains vous auriez pris et où. Par ailleurs, vous dites avoir perdu les billets de trains. Il est également peu crédible que vous n’ayez rien payé pour votre voyage en bateau de Lomé jusqu’en Europe. Ces contradictions et invraisemblances laissent planer des doutes concernant la véracité de votre récit.

A cela s’ajoute qu’il ne résulte pas de vos allégations, qui ne sont d’ailleurs corroborées par aucun élément de preuve tangible, que vous risquiez ou risquez d’être persécuté dans votre pays d’origine pour un des motifs énumérés par l’article 1er A., §2 de la Convention de Genève. Force est de constater que vous ne faites pas état de persécutions personnelles dans votre pays d’origine et que vous ne soulevez que la situation générale en Côte d’Ivoire. Vous dites avoir été averti que des membres du RDR se dirigeraient vers votre village et vous vous seriez enfui dans la brousse et puis au Ghana. Même à supposer l’attaque de votre village et ainsi de votre maison comme établie, elle ne saurait, en elle-même, constituer un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’elle ne peut, à elle seule, suffire pour fonder une crainte justifiée d’être persécuté dans votre pays d’origine du fait de votre race, de votre religion, de votre nationalité, de votre appartenance à un groupe social ou de vos convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section 1, § 2 de la Convention de Genève. Vous dites avoir peur des membres du RDR parce qu’ils attaqueraient et tueraient les gens. Or, ces derniers ne sauraient être considérés comme agents de persécution au sens de la Convention de Genève de 1951. Force est donc de conclure, que vos motifs traduisent plutôt un sentiment général d’insécurité. Or, un sentiment général d’insécurité ne constitue pas une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Votre demande de pouvoir travailler au Luxembourg ne saurait davantage fonder une demande en obtention du statut de réfugié étant donné qu’elle ne rentre pas dans le cadre d’un motif de persécution prévu par la Convention de Genève de 1951.

A cela s’ajoute que vous auriez vécu et travaillé pendant plusieurs mois au Ghana et au Togo sans y avoir eu des problèmes quelconques. Vous n’avez à aucun moment apporté un élément de preuve permettant d’établir des raisons pour lesquelles vous n’auriez pas été en mesure de demander le statut de réfugié ou une protection quelconque dans ces deux pays.

Soulignons qu’un accord de paix a été conclu sous les auspices de la France le 24 janvier 2003 entre tous les protagonistes de la guerre civile. Cet accord prévoit entre autre la création d’un gouvernement de transition sous la présidence de Seydou Elimane Diarra ainsi que le désarmement et la démobilisation des groupes armés. Le recrutement militaire a ainsi été stoppé aussi bien du côté gouvernemental que rebelle en juin 2003. Des élections présidentielles ont été prévues pour octobre 2005. Un cessez-le-feu a été signé entre les forces armées et groupes rebelles en mai 2003 et une loi d’amnistie a été adoptée en juillet 2003 permettant la libération de plusieurs détenus arrêtés pendant la guerre civile. Relevons la création par le Conseil de Sécurité des Nations Unies de l’ONUCI, « l’Opération des Nations Unies en Côte d’Ivoire », soutenue par les forces françaises et dont la composante militaire contient plus de 6000 soldats, 200 observateurs militaires, 120 officiers d’état-major, 350 membres de la police civile ainsi qu’un effectif civil, judiciaire et pénitentiaire approprié.

Dotée d’un mandat de douze mois avec effet le 4 avril 2003, cette mission de maintien de la paix a été créée pour assurer la protection des civils en Côte d’Ivoire et pour appuyer le processus de paix ivoirien. Enfin, lors du Sommet d’Accra qui s’est tenu les 29 et 30 juillet 2004, l’ensemble des forces politiques ivoiriennes s’est engagé à relancer les activités du gouvernement, à assurer un retour à la normale dans le pays et à appliquer intégralement les accords de Linas-Marcoussis. Les parties se sont également engagées à commencer le programme de désarmement de tous les groupes paramilitaires et milices. Le Conseil de Sécurité des Nations Unies a par ailleurs salué l’esprit de dialogue et de responsabilité dont ont fait preuve le Président Gbagbo et chacune des parties ivoiriennes, qui ont clairement montré leur volonté de conduire à son terme le processus politique en Côte d’Ivoire lors de ce sommet.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Suite à un recours gracieux introduit par lettre de son mandataire le 1er octobre 2004 et à une décision confirmative du refus initial prise par le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration le 11 octobre 2004, Monsieur …, par requête déposée le 10 novembre 2004, a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation des décisions prévisées du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration des 6 septembre et 11 octobre 2004.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles critiquées. – Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est irrecevable.

Le recours principal en réformation est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Quant au fond, le demandeur reproche en substance au ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration d’avoir commis une erreur d’appréciation et une mauvaise application de la loi en refusant sa demande d’asile. Il soutient remplir les conditions pour être admis au statut de réfugié, au motif qu’il aurait été contraint de quitter son village d’origine pour se protéger d’un risque d’être attaqué par des militants du « RDR », qui seraient au courant de ce qu’il n’a pas voté pour eux lors des élections présidentielles de 2000 et qu’en cas de retour dans son pays d’origine, ce risque persisterait, étant relevé que son pays connaîtrait toujours un grave problème d’instabilité politique.

Le représentant étatique soutient que le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que son recours laisserait d’être fondé.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par le demandeur lors de ses auditions, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, une crainte de persécution doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, le demandeur d’asile risque de subir des persécutions et force est de constater que l’existence de pareils éléments ne se dégage pas des éléments d’appréciation soumis au tribunal, alors que le récit du demandeur traduit essentiellement un sentiment général d’insécurité, sans qu’il n’ait fait état d’une persécution personnelle vécue ou d’une crainte qui serait telle que la vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine.

Pour le surplus, même en admettant l’existence d’un risque concret émanant de militants du « RDR », connaissant personnellement Monsieur … et lui reprochant le fait de ne pas avoir soutenu leur candidat aux élections organisées en 2000, force est de constater que Monsieur … ne saurait être considéré comme y étant exposé que dans une zone géographiquement limitée à son village d’origine et ses proches alentours et il n’établit pas ne pas pouvoir trouver refuge dans un autre village ou ville de la Côte d’Ivoire, étant entendu que la Convention de Genève vise le pays d’origine ou de nationalité du demandeur d’asile sans restriction territoriale et que le défaut d’établir les raisons suffisantes pour lesquelles un demandeur d’asile ne serait pas en mesure de s’installer dans une autre région de son pays d’origine et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne doit être pris en compte pour refuser la reconnaissance du statut de réfugié (cf. trib. adm. 10 janvier 2001, n° 12240 du rôle, Pas. adm. 2004, V° Etrangers, n° 48 et autres références y citées).

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours principal en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Campill, vice-président, M. Spielmann, juge, Mme Gillardin, juge et lu à l’audience publique du 28 février 2004 par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Campill 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 18846
Date de la décision : 28/02/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-02-28;18846 ?

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