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24/02/2005 | LUXEMBOURG | N°19307

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 24 février 2005, 19307


Tribunal administratif Numéro 19307 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 14 février 2005 Audience publique du 24 février 2005 Recours formé par Monsieur … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de rétention administrative

JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 19307 du rôle, déposée le 14 février 2005 au greffe du tribunal administratif par Maître Daniel BAULISCH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch, au nom de Monsieur …, né le … (Cap-Vert) et de n

ationalité cap-verdienne, actuellement placé au Centre de séjour provisoire pour étrangers...

Tribunal administratif Numéro 19307 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 14 février 2005 Audience publique du 24 février 2005 Recours formé par Monsieur … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de rétention administrative

JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 19307 du rôle, déposée le 14 février 2005 au greffe du tribunal administratif par Maître Daniel BAULISCH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch, au nom de Monsieur …, né le … (Cap-Vert) et de nationalité cap-verdienne, actuellement placé au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig, tendant à la réformation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 29 octobre 2004, notifiée le 10 février 2005, ordonnant son placement audit Centre pour une durée maximale d’un mois à partir de la notification de la décision ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 17 février 2005 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;

Entendu le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Daniel BAULISCH et Monsieur le délégué du Gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 23 février 2005.

Monsieur …, soupçonné d’avoir commis diverses infractions, a été placé en détention préventive sur mandat de dépôt du juge d’instruction près du tribunal d’arrondissement de et à Diekirch daté du 23 septembre 2004.

En date du 29 octobre 2004, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration prit de son côté à l’encontre de Monsieur … une décision de placement au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig pour une durée maximale d’un 1mois à partir de la notification de la décision en question, en attendant son éloignement du territoire luxembourgeois, décision qui fut notifiée à l’intéressé en date du 10 février 2005.

La décision de placement est libellée comme suit :

« Vu l'article 15 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant l'entrée et le séjour des étrangers ;

Vu le règlement grand-ducal du 20 septembre 2002 créant un Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière ;

Vu les nombreux procès-verbaux établis par la Police grand-ducale ;

Considérant que l'intéressé ne dispose pas de moyens d'existence personnels légalement acquis ;

- qu'il se trouve en séjour irrégulier au pays ;

- que l'éloignement immédiat de l’intéressé n'est pas possible ;

Considérant qu'il existe un risque de fuite, alors que l'intéressé est susceptible de se soustraire à la mesure d'éloignement ; (…) » Par requête déposée le 14 février 2005 au greffe du tribunal administratif, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation à l’encontre de la décision ministérielle de placement du 29 octobre 2004.

Etant donné que l’article 15, paragraphe (9) de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1. l’entrée et le séjour des étrangers ; 2. le contrôle médical des étrangers ; 3.

l’emploi de la main-d’œuvre étrangère, institue un recours de pleine juridiction contre une décision de placement, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit contre la décision litigieuse. Ledit recours ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

A l’appui de son recours, le demandeur fait exposer qu’il aurait « omis » de prolonger l’autorisation de séjour dont il bénéficiait jusqu’alors et que sa détention préventive ainsi que son placement subséquent au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig l’auraient empêché de régulariser sa situation.

Le demandeur fait encore valoir que la décision de placement serait contraire aux critères fixés par la loi et la jurisprudence, alors qu’un placement devrait rester une mesure d’exception, n’applicable qu’en cas de nécessité absolue.

Il estime par ailleurs que la décision de placement violerait l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, en faisant valoir que cette disposition tendrait pour l’essentiel à garantir un droit au regroupement familial.

Il fait encore plaider que la décision déférée violerait l’article 5, paragraphe 1 de la Convention européenne des droits de l’homme, en soulignant qu’aux termes de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, « seul le déroulement de la procédure d’expulsion justifie la privation de liberté fondée sur l’article 5-1-f de la 2Convention. Si la procédure n’est pas menée avec la diligence requise, la détention cesse d’être justifiée au regard de la Convention ».

Il reproche enfin à la décision déférée de procéder d’une erreur manifeste d’appréciation « en ce que c’est à tort que le Ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration a retenu que le requérant ne dispose pas de moyens d’existence personnels légalement acquis ».

A titre subsidiaire, il conclut encore au caractère disproportionné de la décision litigieuse tant au regard des exigences de la loi du 28 mars 1972 concernant l’entrée et le séjour des étrangers qu’au regard de sa situation personnelle.

Concernant d’abord le moyen basé sur la considération que seule une absolue nécessité justifierait une mesure de rétention administrative, force est de constater qu’aucune condition afférente n’est inscrite dans la loi.

En effet, l’article 15, paragraphe (1), alinéa 1er de la loi modifiée du 28 mars 1972, en disposant que « lorsque l’exécution d’une mesure d’expulsion ou de refoulement en application des articles 9 ou 12 [de la loi du 28 mars 1972] est impossible en raison des circonstances de fait, l’étranger peut, sur décision du ministre de la Justice, être placé dans un établissement approprié à cet effet pour une durée d’un mois », exige la réunion de deux conditions légales sous-jacentes à une décision de placement, en l’occurrence 1) une mesure d’expulsion ou de refoulement en application des articles 9 ou 12 de la loi du 28 mars 1972 et 2) l’impossibilité de l’éloignement de l’étranger en raison de circonstances de fait.

Etant donné que Monsieur … soulève que la décision sous examen serait contraire aux critères fixés par la loi, le tribunal est amené à vérifier si, en l’espèce, le ministre a pu prendre une décision de placement à son encontre.

En l’espèce, il est constant que la décision de placement n’est pas basée sur une décision d’expulsion en application de l’article 9 de la loi du 28 mars 1972.

Il convient partant d’examiner si la décision de placement est basée sur une mesure de refoulement prise en application de l’article 12 de la loi du 28 mars 1972.

L’article 12 dispose que : « Peuvent être éloignés du territoire par la force publique, sans autre forme de procédure que la simple constatation du fait par un procès-verbal à adresser au Ministre (…) les étrangers non autorisés à résidence :

« 1) qui sont trouvés en état de vagabondage ou de mendicité ou en contravention à la loi sur le colportage ;

2) qui ne disposent pas de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour ;

3) auxquels l’entrée dans le pays a été refusée en conformité de l’article 2 de [la loi du 28 mars 1972] ;

3 4) qui ne sont pas en possession des papiers de légitimation prescrits et de visa si celui-ci est requis ;

5) qui, dans les hypothèses prévues à l’article 2 paragraphe 2 de la Convention d’application de l’accord de Schengen, sont trouvés en contravention à la loi modifiée du 15 mars 1983 sur les armes et munitions ou sont susceptibles de compromettre la sécurité, la tranquillité ou l’ordre publics ».

Dans la mesure où aucune disposition législative ou réglementaire ne détermine la forme d’une décision de refoulement, celle-ci est censée avoir été prise par le ministre à partir du moment où les conditions de forme et de fond justifiant un refoulement, telles que déterminées par l’article 12 de la loi modifiée du 28 mars 1972 sont remplies, et où, par la suite, une décision de placement a été prise à l’encontre de l’intéressé. En effet, une telle mesure de refoulement est nécessairement sous-jacente à la décision de placement à partir du moment où il n’existe pas de décision d’expulsion.

Dès lors, étant donné que Monsieur … ne dispose pas des papiers de légitimation prescrits pour avoir, selon ses propres dires, « omis de prolonger son autorisation de séjour au Luxembourg », hypothèse visée sous le numéro 4 de l’article 12 cité ci-avant, une mesure de refoulement a valablement pu être prise à son encontre.

Par ailleurs, contrairement à un recours en annulation dans lequel la juridiction administrative est appelée à apprécier la décision dévolue par rapport aux circonstances de droit et de fait telles qu’elles existaient au moment où la décision a été prise, dans le cadre d’un recours en réformation, tel que prévu par l’article 15, paragraphe (9) de la loi modifiée du 28 mars 1972, la juridiction est amenée à considérer les éléments de fait et de droit de la cause au moment où elle statue, en tenant compte le cas échéant de changements intervenus depuis la décision de l’autorité administrative lui déférée.

Force est de constater à ce sujet en l’espèce que Monsieur … a encore fait l’objet d’un arrêté de refus d’entrée et de séjour daté du 11 février 2005, sur base de l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 précitée, de sorte que les conditions légales d’une décision de refoulement sur base de l’article 12 de ladite loi sont remplies en l’espèce.

Le tribunal tient à souligner à ce sujet qu’il ne suffit pas de contester l’un des motifs retenus par le ministre dans la décision déférée, à savoir l’absence de moyens personnels légalement acquis, mais qu’il appartient au demandeur de rapporter la preuve positive, qu’il dispose effectivement de tels moyens, et de préciser dans quelle mesure ce fait énerverait la décision ministérielle de placement au vu des seules conditions légales sous-jacentes à une telle décision de placement.

En ce qui concerne la seconde condition inscrite à l’article 15, paragraphe (1), alinéa 1er de la loi modifiée du 28 mars 1972 précitée, à savoir l’impossibilité de l’éloignement de l’étranger en raison de circonstances de fait, force est de constater que le demandeur, originaire du Cap-Vert et se trouvant en situation irrégulière au Luxembourg, est démuni de toute pièce d’identité. Or, l’absence de documents d’identité ainsi que l’organisation des modalités juridiques et pratiques inhérentes au rapatriement du demandeur nécessitant un certain délai, permettent d’estimer valablement que l’exécution immédiate de la mesure 4d’éloignement est impossible (voir trib. adm. 6 juin 2002, n° 14975, Pas. adm. 2004, V° Etrangers, n° 302, p. 267 et autres références y citées).

Par ailleurs, eu égard aux précisions apportées en cours d’instance contentieuse par le délégué du Gouvernement au sujet des démarches entreprises en vue d’organiser l’éloignement de Monsieur …, démarches ayant été entamées dès le 15 février 2005, soit 3 jours ouvrables après le placement du demandeur, force est en effet de constater que les reproches d’ordre général afférents formulés par le demandeur ne sont pas de nature à énerver la régularité de la décision litigieuse pour ne pas être vérifiés en fait.

La même conclusion s’impose en ce qui concerne le moyen non autrement précisé d’une violation alléguée de l’article 5, paragraphe 1 de la Convention européenne des droits de l’homme.

En effet, si le placement d’une personne au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig par application de l’article 15 (1) de la loi modifiée du 28 mars 1972 précitée comporte une restriction à la liberté, de sorte qu’une mesure de rétention doit être examinée quant à sa compatibilité avec l’article 5 paragraphe 1er de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, une telle mesure privative de liberté se justifie cependant dans le cas de l’arrestation ou de la détention régulière d’une personne pour l’empêcher de pénétrer irrégulièrement sur le territoire, ou contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours, situation vérifiée en l’espèce, le terme d’expulsion devant être entendu dans son acceptation la plus large et vise toutes les mesures respectivement d’éloignement et de refoulement de personnes qui se trouvent en séjour irrégulier dans un pays (cf. trib. adm. 22 mars 1999, n° 11185, Pas. adm., 2004, V° Droits de l’homme, n° 6, p.118).

La régularité de la mesure de placement telle que retenue ci-avant n’est pas non plus mise en échec par la référence à l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. En effet, la décision de refoulement constituant une décision distincte de la décision de placement, le moyen basé sur une violation de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, en raison d’une prétendue séparation de l’unité familiale par le fait de l’éloignement ne saurait être invoqué dans le cadre d’un recours visant exclusivement la décision de placement ( trib. adm., 8 septembre 2003, n° 17024, Pas. adm. 2004, V° Etrangers, n° 288, p. 265 et autres références y citées).

Enfin, en ce qui concerne le moyen basé sur le caractère prétendument disproportionné de la décision litigieuse tant au regard des exigences de la loi du 28 mars 1972 concernant l’entrée et le séjour des étrangers qu’au regard de la situation personnelle de Monsieur …, force est encore de constater qu’en l’absence d’arguments concrets tenant à la situation spécifique du demandeur, avancés en cause pour sous-tendre ce moyen en fait, aucune illégalité de la décision litigieuse ne saurait en être dégagée.

En effet, la mise en place d’un Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière repose précisément sur la prémisse qu’au-delà de toute considération tenant à une dangerosité éventuelle des personnes concernées, celles-ci, eu égard au seul fait de l’irrégularité de leur séjour et de l’imminence éventuelle de l’exécution d’une mesure d’éloignement dans leur chef, présentent en principe et par essence un risque de se soustraire à 5la mesure d’éloignement, fût-il minime, justifiant leur rétention dans un centre de séjour spécial afin d’éviter que l’exécution de la mesure prévue ne soit compromise.

Le demandeur n’ayant pas contesté en l’espèce entrer dans les prévisions de la définition des « retenus » telle que consacrée à l’article 2 du règlement grand-ducal du 20 septembre 2002 créant un Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière, le moyen basé sur le caractère disproportionné, non autrement spécifié, de la décision litigieuse laisse encore d’être fondé.

Il s’ensuit que la décision de placement entreprise est motivée à suffisance de fait et de droit, indépendamment d’ailleurs de la considération que le ministre a encore relevé dans ladite décision l’insuffisance des moyens d’existence personnels dans le chef du demandeur.

Au vu de ce qui précède, le recours sous analyse est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 24 février 2005 par :

Mme Lenert, premier juge, M. Spielmann, juge, M. Sünnen, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Lenert 6


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 19307
Date de la décision : 24/02/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-02-24;19307 ?

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