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23/02/2005 | LUXEMBOURG | N°19318C

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 23 février 2005, 19318C


GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 19318 C Inscrit le 16 février 2005

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AUDIENCE PUBLIQUE EXTRAORDINAIRE DU 23 FEVRIER 2005 Recours formé par …, alias …contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de rétention administrative - Appel -

(jugement entrepris du 9 février 2005, no 19230 du rôle)

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Vu l’acte d’appel déposé a...

GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 19318 C Inscrit le 16 février 2005

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AUDIENCE PUBLIQUE EXTRAORDINAIRE DU 23 FEVRIER 2005 Recours formé par …, alias …contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de rétention administrative - Appel -

(jugement entrepris du 9 février 2005, no 19230 du rôle)

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Vu l’acte d’appel déposé au greffe de la Cour administrative le 16 février 2005 par Maître Ardavan Fatholahzadeh, avocat à la Cour, au nom de …, alias …, née le …, de nationalité chinoise, actuellement placée au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig, contre un jugement rendu en matière de rétention administrative par le tribunal administratif à la date du 9 février 2005, à la requête de l’actuelle appelante contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 17 janvier 2005 ordonnant son placement audit Centre de séjour provisoire.

Vu le mémoire en réponse déposé au greffe de la Cour administrative le 21 février 2005 par le délégué du Gouvernement Guy Schleder.

Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris.

Ouï le conseiller en son rapport ainsi que Maître Ardavan Fatholahzadeh et la déléguée du Gouvernement Claudine Konsbrück en leurs observations orales.

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Par requête inscrite sous le numéro 19230 du rôle et déposée le 31 janvier 2005 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan Fatholahzadeh, avocat à la Cour, …, alias …, née le …, de nationalité chinoise, actuellement placée au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig, a demandé la réformation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 17 janvier 2005 ordonnant son placement pour la durée maximum d’un mois audit Centre de séjour provisoire.

Le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties en date du 9 février 2005, a reçu le recours en réformation en la forme, au fond, l’a déclaré non justifié et en a débouté.

Maître Ardavan Fatholahzadeh, avocat à la Cour, a déposé une requête d’appel au greffe de la Cour administrative en date du 16 février 2005.

La partie appelante soulève en ordre principal la nullité, respectivement l’illégalité du règlement du 20 septembre 2002 créant un Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière.

Les juges de première instance auraient estimé à tort que la détention lui imposée dans un bloc enfermé était la conséquence directe de sa tentative de suicide, laquelle tentative n'aurait pas été contredite par l'autorité administrative, La partie appelante concède qu’une rétention administrative puisse se traduire par une absence de liberté de circulation en vue d'éviter la fuite d’un étranger, mais donne à considérer qu’il serait anormal voire illégal que cette mesure se traduise par une négation totale des droits et libertés fondamentaux d'un individu alors qu’elle subirait actuellement un régime carcéral et non une rétention administrative.

Elle reprend en instance d’appel son argumentation destinée à contester que le Centre de séjour provisoire puisse être considéré comme un établissement approprié eu égard à des conditions d'incarcération qui seraient contraires au respect de la dignité humaine que doit réserver tout Etat membre à la Convention des Droits de l'Homme au sens de son article 3 de la Convention Européenne, alors qu’elle serait plutôt détenue que retenue par le Gouverne-

ment dès sa mise à disposition.

Le délégué du Gouvernement a déposé un mémoire en réponse en date du 21 février 2005 dans lequel il se rapporte à prudence de justice au niveau de la recevabilité de l’appel quant au délai.

L'appel serait encore irrecevable dans la mesure où la réformation du jugement entrepris et le placement de l'appelante dans un autre établissement plus approprié à sa situation personnelle sont demandés.

La demande d’annulation ou du moins l'inapplicabilité pour défaut d'habilitation par une loi du règlement grand-ducal en question serait une demande nouvelle n'ayant pas été formulée en première instance et serait partant prohibée.

A titre subsidiaire, le Gouvernement souligne que le règlement grand-ducal précité invoque comme base légale non seulement la loi du 27 juillet 1997 portant réorganisation de l'administration pénitentiaire, mais également la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant l'entrée et le séjour des étrangers.

L'article 15 de la loi modifiée du 28 mars 1972 précité prévoirait que le Ministre a la possibilité d'ordonner le placement d'une personne en situation irrégulière dont l'expulsion ou le refoulement est impossible en raison de circonstances de fait, ce placement devant être ordonné dans un établissement approprié. Il appartiendrait dans ces conditions au pouvoir 2 exécutif de décider des lieux dans lesquels une personne qui ne peut être refoulée ou expulsée peut être retenue en attendant la possibilité de la transférer dans son pays d'origine.

Quant au fond, le délégué du Gouvernement demande la confirmation du jugement entrepris en précisant que l’article 7 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme serait inapplicable au cas d’espèce alors que le fait de placer une personne dans une cellule d'infirmerie au cours d'une rétention administrative, ceci dans son propre intérêt, ne constituerait certainement pas une violation de cet article.

La requête d’appel est à déclarer recevable pour avoir été introduite dans le délai légal.

A l’appui de son recours, l’appelante argue en premier lieu que la décision entreprise devrait être annulée pour cause de nullité du règlement grand-ducal du 20 septembre 2002 créant un Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière, pour défaut de base légale, estimant que la loi modifiée du 27 juin 1997 portant réorganisation de l’administration pénitentiaire n’offrirait pas de base légale suffisante à la création, par voie de règlement grand-ducal, d’une structure spécifique au sein du Centre pénitentiaire de Luxembourg destinée à accueillir les étrangers faisant l’objet d’une mesure de placement, en renvoyant à cet égard à l’avis du Conseil d’Etat rendu dans le cadre de l’élaboration de cette dernière loi et ayant estimé que la création d’un nouvel établissement pénitentiaire nécessiterait l’intervention du législateur.

Ce moyen tiré de la prétendue nullité du règlement grand-ducal du 20 septembre 2002 n’est cependant pas fondé, étant donné que la base légale dudit règlement grand-ducal est donnée par l’article 15 de la loi modifiée du 28 mars 1972 précitée, tel que cela ressort d’ailleurs du libellé même dudit règlement grand-ducal. Dans ce contexte, il est indifférent que le Conseil d’Etat, au moment de l’élaboration de la loi du 27 juillet 1997 portant réorganisation de l’administration pénitentiaire, a estimé que l’intervention du législateur serait de mise pour l’hypothèse d’une modification des attributions d’un établissement pénitentiaire, étant donné que le Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière n’est pas à considérer comme un établissement pénitentiaire.

Quant au fond, l’appelante continue à conclure en instance d’appel au caractère dispro-

portionné de la décision litigieuse tant au regard de sa situation personnelle qu’au regard de la loi précitée du 28 mars 1972. Elle souligne à cet égard qu’elle se trouverait, depuis sa rétention, dans un état « qualifié suicidaire », et que les autorités médicales du Centre l’ont placée dans la partie G1 de Schrassig, surveillée en permanence par caméra. Eu égard à son état très critique et compte tenu du fait qu’elle aurait déjà tenté de se suicider en se coupant les veines alors même qu’elle aurait été sous surveillance de caméra, elle estime que la mesure de rétention litigieuse ne serait actuellement pas exécutée dans un établissement approprié.

Le délégué du Gouvernement rappelle d’abord que lors d’un contrôle effectué par le service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, dans un restaurant chinois à Differdange, l’actuelle appelante a été trouvée cachée sous un lit et qu’à défaut de collaboration de sa part, un contrôle des empreintes digitales, effectué par le Centre de coopération policière et douanière, a permis de constater qu’elle s’appelle …, qu’elle est de nationalité chinoise, qu’elle est née en 1961 et qu’elle a séjourné en Allemagne au mois d’octobre 2002 où elle avait demandé l’asile plus tard le 31 mai 2003, mais qu’elle avait quitté l’Allemagne le 10 janvier 2004. Comme la demanderesse a refusé de donner la moindre 3 indication relativement à son lieu de séjour pendant l’année 2004, une demande de reprise a été adressée aux autorités allemandes sur base de la réglementation communautaire applicable.

Quant au moyen invoqué à l’appui du recours basé sur le caractère inapproprié du lieu de rétention, le délégué du Gouvernement fait valoir que la situation de la demanderesse, qui se trouve en séjour irrégulier au Grand-Duché de Luxembourg après avoir séjourné dans un autre pays de l’Union européenne, ne serait pas différente de celle de centaines d’autres personnes en situation irrégulière, de sorte qu’il n’y aurait aucune raison justifiant son placement dans un autre endroit que le Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière.

Par règlement grand-ducal du 20 septembre 2002 créant un Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière, et modifiant le règlement grand-ducal modifié du 24 mars 1989 concernant l’administration et le régime interne des établissements pénitentiaires, a été créée au Centre pénitentiaire de Luxembourg une section spéciale pour les retenus appelée « Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière », où peuvent être placés les retenus, à savoir « tous les étrangers qui subissent une mesure privative de liberté sur base de l’article 15 de la loi [précitée] du 28 mars 1972 (…) ».

Par ledit règlement grand-ducal du 20 septembre 2002, le Gouvernement a ainsi entendu créer, en application de l’article 15 de la loi du 28 mars 1972, un centre de séjour où peuvent être placées, sur ordre du ministre compétent, en application de l’article 15 précité, certaines catégories d’étrangers se trouvant sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg pour lesquelles ledit centre de séjour provisoire est considéré comme un établissement approprié, conformément à l’article 15, paragraphe (1), alinéa 1er de la loi précitée du 28 mars 1972, en attendant leur éloignement du territoire luxembourgeois.

Dans la mesure où il n’est pas contesté en cause que …, alias …. est en séjour irrégulier au pays et qu’elle se trouve dans l’attente de son éloignement du territoire luxembourgeois, il reste à examiner si les circonstances particulières tenant à son état de détresse sont de nature à dénoter en l’espèce un caractère inapproprié du Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière pour l’exécution de la mesure litigieuse.

C’est à bon escient que le tribunal administratif a relevé que le degré avancé de désespoir de …, alias …, qui s’est d’ailleurs manifesté dès son interception par les autorités policières et a motivé le ministre à ordonner d’emblée le placement de la requérante dans la cellule du bloc d’infirmerie, afin de voir assurer sa surveillance d’un point de vue médical et de permettre, le cas échéant, une intervention médicale en cas d’urgence a pu se justifier au moment de la prise de décision en date du 17 janvier 2005.

Il découle néanmoins d’une pièce soumise à la Cour en date du 21 février 2005 signée par le docteur …, médecin-généraliste et le docteur …, psychiatre, que …, alias … est apte du point de vue médical et psychiatrique à être transférée dans une section de détention normale.

Il en résulte que le placement ordonné dans une cellule d’infirmerie située dans la partie G1 du Centre Pénitentiaire de Schrassig, et sans qu’il y ait lieu d’analyser l’argumentation de la partie appelante au niveau du respect des dispositions des articles 3 et 7 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme, est à considérer comme inapproprié en l’espèce.

4 Il est de jurisprudence que la juridiction administrative saisie d’un recours en pleine juridiction, c’est-à-dire visant à la réformation de la décision de l’administration et à voir le cas échéant prononcer une décision nouvelle à la place de celle jugée inappropriée, peut et doit vider le fond de l’affaire si celle-ci se trouve en état de recevoir une décision définitive.

(CA 13884 C du 28 février 2002 Pëtschter Wand c/ Administration communale de Putscheid et ministre de l’Environnement ; CA 14595C du 13 juin 2002 : Ministre des Classes Moyennes c/ Transports Cital ) Il y a partant lieu, par réformation du jugement du 9 février 2005, d’ordonner que …, alias … est à placer au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière destinée aux personnes faisant l’objet de mesures de rétention administrative.

Par ces motifs la Cour, statuant contradictoirement, sur le rapport de son conseiller, reçoit l’acte d’appel du 16 février 2005, le déclare également fondé, réformant, ordonne le transfert de …, alias …de la cellule d’infirmerie située dans la partie G1 du Centre Pénitentiaire de Schrassig au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière, condamne l’Etat aux dépens des deux instances.

Ainsi délibéré et jugé par Jean Mathias Goerens, vice-président Marc Feyereisen, conseiller, rapporteur Carlo Schockweiler, conseiller et lu par le conseiller Marc Feyereisen, délégué à cette fin, en l’audience publique au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en tête en présence du greffier de la Cour Anne-Marie Wiltzius.

le greffier le vice-président 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 19318C
Date de la décision : 23/02/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-02-23;19318c ?

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