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23/02/2005 | LUXEMBOURG | N°18834

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 23 février 2005, 18834


Tribunal administratif N° 18834 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 8 novembre 2004 Audience publique du 23 février 2005

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Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice et une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18834 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 8 novembre 2004 par Maître Frank WIES, avocat à la

Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Klina (Koso...

Tribunal administratif N° 18834 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 8 novembre 2004 Audience publique du 23 février 2005

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Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice et une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18834 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 8 novembre 2004 par Maître Frank WIES, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Klina (Kosovo/Etat de Serbie-et-Monténégro), de nationalité serbo-monténégrine, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 28 juillet 2004 rejetant sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme étant non fondée, ainsi que d’une décision confirmative prise par le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration le 30 septembre 2004 suite à un recours gracieux du demandeur ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 21 décembre 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Le juge rapporteur entendu en son rapport et Maître Olivier LANG, en remplacement de Maître Frank WIES, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives.

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En date du 1er juin 2004, Monsieur … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Monsieur … fut entendu le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il fut encore entendu le 10 juin 2004 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Le 28 juillet 2004, le ministre de la Justice l’informa que sa demande avait été refusée.

Cette décision est libellée comme suit :

« En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 1er juin 2004 et le rapport d’audition de l’agent du Ministère de la Justice du 10 juin 2004. Vous ne présentez aucune pièce d’identité.

Il ressort du rapport du Service de Police Judiciaire du 1er juin 2004 que vous auriez quitté votre domicile au Kosovo le 25 mai 2004 à bord d’un mini-bus qui vous aurait emmené au Luxembourg où vous seriez arrivé le 28 mai 2004. Vous ne pouvez pas donner d’indications quant au trajet emprunté. Le passeur aurait retenu votre passeport et votre carte identité, documents émis par l’UNMIK.

Il résulte de vos déclarations que vous auriez été demandeur d’asile en Allemagne entre 1996 et 2001. En 2001, vous seriez retourné au Kosovo. Vos problèmes auraient commencé en mars 2004 après les manifestations au Kosovo. En avril 2004, deux personnes masquées seraient rentrées dans votre magasin et auraient reproché le fait que votre mère serait originaire de la Bosnie-Herzégovine, que vous auriez été en Allemagne lors du conflit du Kosovo et qu’en tant qu’albanais du Kosovo vous n’auriez pas combattu. Ces personnes auraient exigé que vous tueriez quelqu’un pour prouver de quel côté vous seriez. Après une semaine, ces personnes seraient revenues et auraient exigé que vous lanciez une grenade dans une maison, ce que vous auriez refusé. Vous auriez alors été frappé et ces personnes que vous croyez être membres d’un groupe radical vous auraient seulement laissé parce que vous auriez fini par accepter. Vous auriez alors décidé de quitter le Kosovo. Vous dites ne pas avoir porté plainte et avoir peur de ces personnes.

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Je me dois tout d’abord de constater que vous n’êtes pas en mesure de prouver que votre dernier lieu de résidence a effectivement été au Kosovo.

Par ailleurs, il ne résulte pas de vos allégations, qui ne sont d’ailleurs corroborées par aucun élément de preuve tangible, que vous risquiez ou risquez d’être persécuté dans votre pays d’origine pour un des motifs énumérés par l’article 1er, A., §2 de la Convention de Genève. Ainsi, les motifs que vous invoquez ne sont pas de nature à constituer une crainte justifiée de persécution selon la Convention de Genève. En effet, le fait que vous auriez été menacé et frappé par deux personnes masquées que vous croyez être membres d’un groupe radical ne saurait fonder une demande en obtention du statut de réfugié étant donné que ces personnes ne sauraient être considérées comme agents de persécution au sens de la Convention de Genève.

Force est plutôt de constater que vous avez été victime d’une infraction de droit commun. A cela s’ajoute que vous n’avez pas demandé la protection de la police ou des autorités onusiennes et il ne ressort pas du dossier que ces autorités auraient été dans l’incapacité de vous fournir une protection quelconque. Il faut également souligner que la police des Nations Unies au Kosovo a arrêté environ 270 personnes soupçonnées d’être impliquées dans les violences meurtrières de mars 2004 et qu’une enquête est en cours. Votre peur traduit plutôt un sentiment général d’insécurité qu’une crainte de persécution. Or, un sentiment général d’insécurité ne constitue pas une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Vous n’avez également à aucun moment apporté un élément de preuve permettant d’établir des raisons pour lesquelles vous ne seriez pas en mesure de vous installer dans une autre partie du Kosovo ou au Monténégro pour ainsi profiter d’une possibilité de fuite interne.

Il faut également souligner qu’une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, est installée au Kosovo pour assurer la coexistence pacifique entre les différentes communautés et une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, a été mise en place. Les élections municipales du 28 octobre 2000 se sont conclues avec la victoire des partis modérés et une défaite des partis extrémistes. Le Kosovo doit également être considéré comme territoire où il n’existe pas en règle générale des risques de persécutions pour les albanais.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Suite à un recours gracieux formulé par le mandataire de Monsieur … suivant courrier du 3 septembre 2004 à l’encontre de la décision ministérielle précitée, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration confirma le 30 septembre 2004 la décision initiale de refus du ministre de la Justice du 28 juillet 2004.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 8 novembre 2004, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation à l’encontre des deux décisions ministérielles prévisées des 28 juillet et 30 septembre 2004.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les deux décisions ministérielles critiquées.

Le recours en réformation est encore recevable pour avoir par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi.

Quant au fond, le demandeur expose qu’il aurait quitté le Kosovo en 1996 pour y retourner après la fin du conflit armé en 2001, qu’en avril 2004, il aurait reçu la visite dans son magasin de deux membres d’une milice albanaise qui lui auraient reproché de ne pas avoir combattu à leur côté durant la guerre et qui lui auraient reproché ses origines bosniaques du côté maternel. Il expose plus particulièrement que ces personnes auraient exigé de sa part d’aller jeter une grenade dans une maison afin de prouver son allégeance à la cause albanaise et que devant son refus elles l’auraient battu et blessé, qu’il aurait fini par accepter tout en demandant un délai de deux jours avant de s’exécuter à cause de ses blessures et qu’il en aurait profité pour prendre la fuite craignant pour sa vie. Il relève encore l’impuissance des forces armées internationales présentes au Kosovo par rapport aux violences interethniques du mois de mars 2004 pour en déduire qu’il ne pourrait personnellement bénéficier d’aucune protection adéquate. Enfin, il conteste l’existence d’une possibilité de fuite interne dans son chef en se prévalant du rapport de l’UNHCR daté d’août 2004 sur la situation des minorités au Kosovo.

Le délégué du gouvernement estime que le ministre de la Justice a fait une saine appréciation de la situation du demandeur, de sorte qu’il serait à débouter de son recours.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition du 10 juin 2004, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, force est de constater que l’agression physique perpétrée et les menaces de mort proférées par deux personnes masquées non identifiées, prétendument membres d’une milice albanaise, à les supposer établies, s’analysent non pas en une persécution émanant de l’Etat, mais d’un groupe de la population et ne sauraient dès lors être reconnues comme motif d’octroi du statut de réfugié que si la personne en cause ne bénéfice pas de la protection des autorités de son pays d’origine pour l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève. Or, la notion de protection de la part des autorités du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion.

Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée. Il faut en plus que le demandeur d’asile ait concrètement recherché cette protection, de sorte que ce n’est qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf. Jean-Yves CARLIER : Qu’est-ce qu’un réfugié ?, p. 113, nos 73-s).

Or, en l’espèce, le demandeur reste en défaut d’établir à suffisance de droit que les autorités chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre publics en place au Kosovo ne soient ni disposées ni capables de lui fournir une protection adéquate, étant relevé qu’il n’a pas fait état d’un quelconque fait concret qui serait de nature à établir un défaut caractérisé de protection de la part des autorités en place. En effet, il ressort du rapport d’audition qu’il n’a pas déposé de plainte auprès de la police, estimant que celle-ci serait impuissante. Par ailleurs, c’est à tort que le demandeur se prévaut du fait que les forces armées internationales présentes au Kosovo seraient incapables de lui fournir une protection adéquate, étant donné qu’il n’a pas recherché la protection des forces de la KFOR.

Il suit de ce qui précède qu’indépendamment de toutes considérations relativement à une possibilité de fuite interne, le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, déclare le recours non justifié et en déboute ;

donne acte au demandeur de ce qu’il déclare bénéficier de l’assistance judiciaire ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Campill, vice-président, M. Spielmann, juge, Mme Gillardin, juge, et lu à l’audience publique du 23 février 2005 par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

Legille Campill 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 18834
Date de la décision : 23/02/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-02-23;18834 ?

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