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23/02/2005 | LUXEMBOURG | N°18810

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 23 février 2005, 18810


Tribunal administratif N° 18810 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 5 novembre 2004 Audience publique du 23 février 2005 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18810 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 5 novembre 2004 par Maître Yvette NGONO YAH, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre

des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Aqareve (Kosovo/Etat de Serbie-et-Mo...

Tribunal administratif N° 18810 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 5 novembre 2004 Audience publique du 23 février 2005 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18810 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 5 novembre 2004 par Maître Yvette NGONO YAH, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Aqareve (Kosovo/Etat de Serbie-et-Monténégro), de nationalité serbo-

monténégrine, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 8 septembre 2004, portant rejet de sa demande tendant à la reconnaissance du statut de réfugié comme non fondée ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 17 décembre 2004 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 17 janvier 2005 en nom et pour compte du demandeur ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en sa plaidoirie.

En date du 18 juin 2004, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Il fut entendu en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

En date du 1er juillet 2004, il fut entendu par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 8 septembre 2004, lui notifiée par voie de courrier recommandé expédié en date du 17 septembre 2004, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration l’informa que sa demande avait été refusée. Cette décision est libellée comme suit :

« Vous auriez quitté le Kosovo le 13 juin 2004 pour venir au Luxembourg. Vous auriez changé de véhicule à plusieurs reprises. Vous seriez descendu de voiture à Metz et vous auriez pris le train pour Luxembourg.

Vous avez déposé votre demande en obtention du statut de réfugié le 18 juin 2004.

Vous n’auriez pas fait votre service militaire. Vous ne seriez membre d’aucun parti.

Vous dites avoir quitté le Kosovo car la situation y serait troublée. Il y aurait eu quelques manifestations et des gens tués. Vous auriez entendu dire que la guerre allait recommencer.

Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié politique n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécutions au sens de la Convention de Genève.

Je vous rends attentif au fait que, pour invoquer l’article 1er A,2 de la Convention de Genève, il faut une crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays.

Par contre, selon l’article 9, alinéa 1 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire « une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsqu’elle ne répond à aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève, si la crainte du demandeur d’asile d’être persécuté dans son propre pays est manifestement dénuée de fondement ou si la demande repose sur une fraude délibérée ou constitue un recours abusif aux procédures en matière d’asile. » Je constate que vous ne faites état d’aucun acte de persécution et que rien n’étaye votre supposition qu’une guerre serait sur le point de se déclencher au Kosovo. Tout au plus, vos dires peuvent s’analyser comme un sentiment d’insécurité mais non comme une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

D’ailleurs, le Kosovo, pour un Albanais ne saurait être considéré comme un territoire sur lequel des risques de persécutions sont à craindre.

Votre demande ne répond à aucun des critères de fonds définis par la Convention de Genève.

Une demande d’asile qui peut être déclarée manifestement infondée peut, a fortiori, être déclarée non fondée pour les mêmes motifs.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Suite à un recours gracieux formulé par le mandataire de Monsieur … suivant courrier du 5 octobre 2004 à l’encontre de la décision ministérielle précitée, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration confirma le 11 octobre 2004 sa décision initiale du 8 septembre 2004 dans son intégralité.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 5 novembre 2004, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation contre la décision ministérielle prévisée du 8 septembre 2004.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre la décision ministérielle critiquée. Le recours en réformation est encore recevable pour avoir été formé dans les formes et délai de la loi.

Quant au fond, le demandeur soutient que le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration aurait fait une appréciation erronée des circonstances de droit et de fait.

Ainsi, il reproche audit ministre d’avoir retenu à tort qu’il n’aurait pas invoqué de crainte de persécution justifiant la reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève, dans la mesure où il aurait fait état de ce qu’un retour au Kosovo mettrait sa sécurité et sa vie en danger. Dans ce contexte, il expose que son départ du Kosovo aurait été motivé par le climat politique régnant au Kosovo et le risque d’y voir éclater un nouveau conflit entre les Serbes et les Albanais. En ordre subsidiaire, il reproche encore au ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration de ne pas lui avoir accordé « la protection temporaire » telle que prévue à « l’article 11.2) de la loi précitée du 3 avril 1996 ».

Le délégué du gouvernement estime que le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration a fait une saine appréciation de la situation du demandeur, de sorte qu’il serait à débouter de son recours.

Dans son mémoire en réplique, le demandeur reproche encore au ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration de ne pas avoir tenu compte de sa déclaration à l’audition qu’il n’aurait pas fait son service militaire et d’avoir retenu à tort qu’il bénéficierait d’une possibilité de fuite interne, alors qu’il risquerait d’être arrêté pour désertion en cas de retour dans son pays d’origine. Enfin, il estime que les autorités chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre publics en place au Kosovo ne seraient pas en mesure de lui offrir une protection adéquate.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition le 1er juillet 2004, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte-rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

Une crainte de persécution doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, le demandeur d’asile risque de subir des persécutions et force est de constater que l’existence de pareils éléments ne se dégage pas des éléments d’appréciation soumis au tribunal.

Or, il se dégage à suffisance du rapport d’audition du 1er juillet 2004 que les raisons ayant poussé le demandeur à quitter son pays d’origine ont trait d’une manière générale au malaise caractérisant les relations interethniques au Kosovo et que partant sa situation individuelle ne se distingue pas fondamentalement de celle de ses concitoyens globalement considérés qui, même si c’est à des degrés variables, doivent tous faire face aux difficultés d’une situation d’après-guerre.

C’est partant à bon escient que l’autorité ministérielle a pu retenir que les craintes exprimées par l’intéressé se résument en définitive en l’expression d’un sentiment général d’insécurité, mais non pas en l’expression d’une crainte de persécution personnelle concrète dans le chef du demandeur, ce dernier, en tant que membre de la communauté albanaise largement majoritaire vivant au Kosovo, omettant de circonstancier un risque personnel suffisamment caractérisé.

Le demandeur invoque encore pour la première fois dans son mémoire en réplique sa prétendue désertion en indiquant qu’il risquerait de ce fait une peine d’emprisonnement d’au moins 20 ans dans son pays d’origine. Force est de constater que ni au niveau de ses déclarations ni encore dans son recours gracieux ni dans sa requête introductive d’instance le demandeur a fait état de ce motif. Or, non seulement la l’insoumission ou la désertion ne constituent pas, en elles-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’elles ne sauraient, à elles seules, fonder dans le chef du demandeur une crainte justifiée d’être persécuté pour un des motifs prévus par la Convention de Genève, mais en plus ce motif n’est pas fondé en fait étant en contradiction flagrante avec les déclarations du demandeur à l’audition qui, interrogé s’il avait été appelé au service militaire, a répondu par la négative.

Il résulte de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Quant à la demande de « protection temporaire » Il convient de relever que le recours contentieux du demandeur tend également à la reconnaissance d’un statut de protection temporaire, demande qui est également formulée en ordre subsidiaire dans le dispositif de la requête introductive d’instance, par rapport à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève.

Comme il se dégage de ce qui précède que le recours du demandeur a été déclaré non fondé dans la mesure où il a été dirigé contre la décision ministérielle déférée par laquelle ladite reconnaissance du statut de réfugié lui a été refusée, il y a encore lieu d’analyser cette demande subsidiaire.

Il échet de constater que cette demande a été présentée pour la première fois devant le tribunal administratif, par le biais de la requête introductive d’instance déposée au greffe du tribunal le 5 novembre 2004, sans qu’auparavant le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration ait été saisi d’une demande afférente, et que de ce fait aucune décision n’a encore pu être prise relativement à une telle demande en admission à un statut de tolérance, de sorte qu’il n’y a pas lieu de procéder à l’examen de ce volet du recours.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

déclare le recours irrecevable à défaut d’objet dans la mesure où il tend à la reconnaissance d’un statut de protection temporaire ;

pour le surplus, reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Campill, vice-président, M. Schroeder, premier juge, Mme Gillardin, juge et lu à l’audience publique du 23 février 2005 par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

Legille Campill 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 18810
Date de la décision : 23/02/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-02-23;18810 ?

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