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23/02/2005 | LUXEMBOURG | N°18691

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 23 février 2005, 18691


Tribunal administratif N° 18691 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 6 octobre 2004 Audience publique du 23 février 2005

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Recours formé par Madame …, … contre une décision du ministre du Travail et de l’Emploi en matière de permis de travail

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18691 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 6 octobre 2004 par Maître Sylvain L’HOTE, avocat à la Cour, inscrit au tableau

de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, épouse …, …, demeurant à L-…, tendant à l’ann...

Tribunal administratif N° 18691 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 6 octobre 2004 Audience publique du 23 février 2005

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Recours formé par Madame …, … contre une décision du ministre du Travail et de l’Emploi en matière de permis de travail

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18691 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 6 octobre 2004 par Maître Sylvain L’HOTE, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, épouse …, …, demeurant à L-…, tendant à l’annulation de la décision du ministre du Travail et de l’Emploi du 6 juillet 2004 portant refus du permis de travail par elle sollicité en tant qu’aide-cuisinière auprès de la société à responsabilité limitée … s. à r. l., établie et ayant son siège social à L-…;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 5 janvier 2005 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision ministérielle attaquée ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Sylvain L’HOTE et Monsieur le délégué du Gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 21 février 2005.

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Considérant que par arrêté du 3 décembre 2002, le ministre du Travail et de l’Emploi, ci-après dénommé « le ministre », refusa le permis de travail à Madame … pour un emploi d’aide-cuisinière auprès de la société … s. à r.l., « pour les raisons inhérentes à la situation et à l’organisation du marché de l’emploi suivantes - des demandeurs d’emploi appropriés sont disponibles sur place : 1885 ouvriers non-qualifiés inscrits comme demandeurs d’emploi aux bureaux de placement de l’Administration de l’Emploi - priorité à l’emploi des ressortissants de l’Espace Economique Européen (E.E.E.) - poste de travail non déclaré vacant par l’employeur - occupation irrégulière depuis le 25.06.2002 » ;

Que par jugement du 22 mai 2003 (n° 15801 du rôle), le tribunal administratif a débouté Madame … de son recours en annulation dirigé contre l’arrêté ministériel précité du 3 décembre 2002 en retenant qu’il résultait d’un certificat d’annulation établi par l’officier de l’état civil de la Ville de … au Sénégal que le mariage entre la demanderesse et Monsieur … avait été annulé, de sorte qu’elle ne pouvait pas se prévaloir des dispositions du règlement CEE n° 1612/68 du Conseil relatif à la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de la Communauté et que pour le surplus le refus ministériel était justifié pour non-déclaration formelle et explicite de vacance de poste à l’administration de l’Emploi ;

Que sur appel de Madame …, la Cour administrative, par arrêt du 4 décembre 2003, a, avant tout autre progrès en cause, ordonné la rupture du délibéré pour permettre au ministre de la Justice de renseigner la Cour sur le caractère fiable de deux pièces versées au dossier, à savoir le certificat de mariage et le certificat d’annulation du mariage … ;

Que par arrêt du 10 juin 2004 (n° 16637C du rôle), la Cour de retenir, sur l’information du consul honoraire du Grand-Duché de Luxembourg à Dakar que le certificat d’annulation de mariage précité n’existait pas, que l’appelante en tant que conjoint d’un ressortissant d’un Etat membre de l’Union Européenne avait en principe le droit d’accéder à toute activité salariée sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg conformément aux dispositions de l’article 11 du règlement CEE 1612/68 du Conseil précité, de sorte à annuler, par réformation du jugement du 22 mai 2003, l’arrêté précité du ministre du Travail et de l’Emploi du 3 décembre 2002 et à renvoyer le dossier devant ledit ministre ;

Que par arrêté du 6 juillet 2004, le ministre du Travail et de l’Emploi, sur avis de la commission spéciale instituée par règlement grand-ducal du 17 juin 1994 de constater que le conjoint de Madame , Monsieur …, de nationalité française, ne vivait, ni ne travaillait au Grand-Duché de Luxembourg, pour déclarer inapplicable les dispositions du règlement CEE 1612/68 du Conseil précité et refuser le permis de travail sollicité « pour les raisons inhérentes à la situation et à l’organisation du marché de l’emploi suivantes :

- des demandeurs d’emploi appropriés bénéficiant de la priorité à l’embauche sont disponibles sur place : 2.440 ouvriers non qualifiés inscrits comme demandeurs d’emploi au bureaux de placement de l’Administration de l’Emploi ;

- augmentation inquiétante de nombre de demandeurs d’emploi au courant des douze derniers mois ;

- priorité à l’embauche des ressortissants de l’Espace Economique Européen, - poste de travail non déclaré vacant ;

- recrutement à l’étranger non autorisé » ;

Considérant que par requête déposée en date du 6 octobre 2004, Madame … a fait introduire un recours en annulation dirigé contre la décision ministérielle de refus de permis de travail prérelatée du 6 juillet 2004 ;

Considérant que le recours est recevable pour avoir été introduit suivant les formes et délai prévus par la loi ;

Considérant qu’à l’appui de son recours, Madame fait valoir en premier lieu que le règlement grand-ducal modifié du 12 mai 1972 déterminant les mesures applicables pour l’emploi des travailleurs étrangers sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg serait inapplicable dans son chef, étant donné qu’en tant qu’épouse de Monsieur …, de nationalité française, et conformément aux dispositions de l’article 11 du règlement CEE 1612/68 précité, elle aurait le droit d’accéder à toute activité salariée sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg, de sorte que l’argument ministériel invoqué relatif à la priorité des ressortissants de l’Espace Economique Européen serait dénué de fondement à son égard ;

Considérant qu’aux termes de l’article 11 du règlement CEE 1612/68 du Conseil précité « le conjoint et les enfants de moins de 21 ans ou à charge d’un ressortissant d’un Etat membre exerçant sur le territoire d’un Etat membre une activité salariée ou non salariée, ont le droit d’accéder à toute activité salariée sur l’ensemble du territoire de ce même Etat, même s’ils n’ont pas la nationalité d’un Etat membre » ;

Considérant que les droits que confèrent les articles 10 et 11 dudit règlement CEE 1612/68 au conjoint du travailleur migrant sont liés à ceux que détient ce travailleur en vertu de l’article 39 (ex 48) du Traité et des articles 1er et suivants du règlement ;

Que dans la mesure où le conjoint peut invoquer ces droits dérivés et où ces droits impliquent l’accès à des activités salariées conformément à l’article 11, ces activités doivent pouvoir être exercées dans les mêmes conditions que le travailleur, titulaire du droit à la libre circulation, exerce les siennes ;

Que l’article 3, paragraphe 1, du règlement impose pour autant aux autorités de l’Etat membre d’accueil d’appliquer un traitement non discriminatoire à ce conjoint, le « traitement national » dont bénéficient à cet égard les travailleurs des Etats membres étant ainsi étendu à leurs conjoints, (cf. CJCE, arrêt 131/85 du 7 mai 1986, n° 20) ;

Considérant que ledit article 11 institue partant un droit au profit du conjoint du travailleur, bénéficiaire de la libre circulation, d’accéder à toute activité salariée dans l’Etat membre où ledit travailleur communautaire exerce sa propre activité salariée ou non salariée et ledit droit dérivé confère ainsi un droit à un traitement national pour l’accès à l’activité salariée, l’existence du droit dérivé du conjoint étant cependant conditionnée par la nécessité d’un facteur de rattachement avec une situation envisagée par le droit communautaire, en l’occurrence une circulation intra-communautaire d’un travailleur ressortissant d’un autre Etat membre des communautés (cf. trib. adm. 27 juin 2001, n° 12703 du rôle, Pas. adm. 2004, V° Travail, n° 79, p. 703 et autres décisions y citées) ;

Considérant que si à travers son arrêt du 4 décembre 2003, la Cour administrative a pu, sur base de l’inexistence retenue d’un certificat d’annulation de mariage, conclure à l’applicabilité in abstracto du règlement CEE 1612/68 du Conseil précité, il n’en reste pas moins qu’à la date où le ministre a statué, aucun facteur de rattachement avec le Grand-Duché de Luxembourg n’existait in concreto de façon vérifiée dans le chef de Monsieur …, en ce sens que celui-ci n’a ni résidé sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg, ni n’y a-t-il exercé une activité salariée ;

Qu’il résulte en effet d’une information non contestée par la demanderesse relatée par le délégué du Gouvernement que depuis le 24 mars 2003, Monsieur … a fait un changement d’adresse à l’administration communale de la Ville de …, sa destination déclarée étant la Ville de Dakar au Sénégal en l’adresse y plus amplement émargée ;

Que le mandataire de la demanderesse de confirmer à la barre qu’il n’avait pas de précision complémentaire concernant les lieux de résidence et de travail effectifs de Monsieur …, aucun rattachement afférent par rapport au Grand-Duché de Luxembourg n’ayant pu être établi concrètement par la demanderesse ;

Que force est dès lors encore au tribunal de conclure à l’inapplicabilité in concreto des dispositions du règlement CEE 1612/68 du Conseil précité au cas d’espèce à la date de référence du 6 juillet 2004 à laquelle l’arrêté ministériel déféré a été pris ;

Considérant que la demanderesse reproche ensuite au ministre une absence de précision des motifs à la base de la décision du 6 juillet 2004 en ce qu’il n’aurait pas indiqué les motifs spécifiques justifiant le refus d’accorder le permis de travail sollicité et que l’indication du nombre de 2440 ouvriers non qualifiés inscrits comme demandeurs d’emploi ne constituerait pas un motif spécifique de refus, de sorte que le tribunal serait dans l’impossibilité d’apprécier l’existence et la légalité des motifs à la base de la décision attaquée ;

Considérant qu’en application de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, toute décision administrative doit baser sur des motifs légaux et une décision refusant de faire droit à la demande de l’intéressé doit formellement indiquer les motifs par l’énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui lui sert de fondement et des circonstances de fait à sa base ;

Que dès lors que la motivation expresse d’une décision peut se limiter, conformément à l’article 6 précité, à un énoncé sommaire de son contenu, il suffit en l’occurrence, pour que l’acte de refus soit valable, que les motifs aient existé au moment du refus, quitte à ce que l’administration concernée les fournisse a posteriori sur demande de l’administré, le cas échéant au cours d’une procédure contentieuse (cf. Cour adm. 13 janvier 1998, n° 10241C du rôle, Pas. adm. 2004, V° Travail, n° 44, p. 693 et autres références y citées) ;

Qu’en l’espèce, l’arrêté ministériel attaqué du 6 juillet 2004 non seulement énonce les motifs engendrant l’inapplicabilité du règlement CEE 1612/68 précité, mais encore indique cinq motifs tirés de la législation sur l’emploi de la main-d’œuvre étrangère, de manière à suffire aux exigences de l’article 6 précité, cette motivation ayant par ailleurs été utilement complétée en cours d’instance contentieuse par le représentant étatique, de sorte que la demanderesse n’a pas pu se méprendre sur la portée à attribuer à la décision litigieuse ;

Que l’existence de motifs ayant été vérifiée, il s’agit encore d’examiner si lesdits motifs, sinon certains d’entre eux, sont de nature à justifier la décision attaquée ;

Considérant que relativement au motif de refus de délivrance d’un permis de travail en faveur de Madame tiré de la non-déclaration de poste vacant par l’employeur, la demanderesse expose que la société … aurait averti l’administration de l’Emploi, dénommée ci-après l’ADEM, courant mai-juin 2002 de la vacance du poste concerné ;

Que le délégué du Gouvernement de conclure au rejet de ce moyen, en soutenant que le motif tiré de l’absence de déclaration du poste vacant a valablement pu être invoqué par le ministre à la base de la décision litigieuse, en se référant à l’article 10 (1) du règlement grand-

ducal modifié du 12 mai 1972, précité, dans sa teneur lui conférée par le règlement grand-

ducal du 29 avril 1999 ;

Considérant que le susdit article 10(1) dispose dans son deuxième alinéa que « la non-

déclaration formelle et explicite de la vacance de poste à l’administration de l’Emploi, conformément à l’article 9 (2) de la loi modifiée du 21 février 1976 concernant l’organisation et le fonctionnement de l’administration de l’Emploi et portant création d’une commission nationale de l’Emploi, constitue un motif valable et suffisant de refus du permis de travail » ;

Qu’en l’espèce, il se dégage de la déclaration d’engagement que la société … a engagé Madame avec effet au 25 juin 2002, ladite déclaration n’ayant été introduite auprès de l’ADEM qu’en date du 13 août 2002 ;

Qu’il est encore constant que le dossier ne renseigne aucune autre déclaration de poste vacant au nom de la société … et que, d’après le représentant étatique non-contredit sur ce point, uniquement le sieur …, gérant de ladite société, a déclaré en date du 24 mai 2002 sous son numéro de matricule personnel une vacance de poste pour un plongeur, de sorte que le tribunal est encore amené à retenir que Madame a été occupée d’une manière irrégulière depuis le 25 juin 2002 ;

Considérant que face au caractère clair et précis de la disposition réglementaire précitée et eu égard aux circonstances de l’espèce, le ministre a partant valablement pu refuser le permis de travail sollicité au seul motif que le poste de travail ne fut pas déclaré vacant par l’employeur, de sorte que l’examen des autres motifs à la base de l’arrêté ministériel déféré, de même que des moyens d’annulation y afférents invoqués par la demanderesse, devient surabondant ;

Qu’il suit des considérations qui précèdent que le recours est à rejeter comme n’étant pas fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, le dit non justifié ;

partant en déboute ;

condamne la demanderesse aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 23 février 2005 par:

M. Delaporte, premier vice-président, Mme Lenert, premier juge, M. Sünnen, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Delaporte 6


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 18691
Date de la décision : 23/02/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-02-23;18691 ?

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